Affrontement informationnel sur le nucléaire français : le renversement du rapport de force
La France rayonne dans le monde par son excellence scientifique et technologique. L’amputer de l’atome revient à lui soustraire une partie d’elle-même. Créée par De Gaulle à son entrée en fonction en 1958 et développée à grande échelle lors du plan Messmer1 de 1974, la filière nucléaire est l’un des plus grands atouts de la puissance française. L’atome garantit une électricité abondante, peu chère et décarbonée à l’hexagone dépourvu cruellement de ressource énergétique.
Depuis les années 1980, deux visions s’affrontent en questionnant la pérennité de notre modèle économique et énergétique : la première idéologique, jouant sur la peur et la persuasion ; la seconde plutôt scientifique, préférant le raisonnement et l’argumentation. Longtemps dominée par la première, la seconde recouvre un dynamisme à l’aube de la présidentielle d’avril 2022, point névralgique.
Un combat perdu, car non mené
La filière nucléaire française a été défaite lors de nombreuses batailles clés pour sa survie. Les luttes informationnelles perdues ponctuellement ont conduit à la fermeture de Fessenheim2 et du projet Astrid, variables d’ajustement politique pour la présidentielle remportée par Hollande. Macron, avec la majorité aux législatives, aurait pu revenir sur les décisions, mais l’absence de stratégie et d’intensité n’ont pu juguler l’inertie.
Plus récemment, malgré l’aide d’autres pays, la France n’a pas encore réussi à imposer l’ajout du nucléaire à la taxonomie européenne3. Ce qui est, peut-être, la plus grande déroute pour l’avenir de l’atome français. Comme expliqué par la Nuclear Energy Agency (NEA), la majorité du coût de production d’électricité provient du « coût de l’argent » lors d’un financement privé alors qu’il est nul dans le cas public (Projected Costs of Generating Electricity, fig 5.1) 4. Indépendamment des considérations pour le client, laisser les états financer l’atome limiterait le nombre de projets privés et donc la rente financière associée, d’où l’action via les lobbys.
Pourtant, les efforts ont des résultats tangibles. Les Français sont maintenant en majorité pour le nucléaire (59% en 2021 contre 47% en 2018, selon un sondage Odexa 5). En cela, le dogmatisme antinucléaire qui mine l’Occident s’effrite rapidement.
Les avis de la population française sont fonction de la désinformation sur les questions énergétiques touchant notre pays. A titre d’illustration, les renouvelables apparaissent comme plus sûr que le nucléaire alors que la perte en espérance de vie est équivalente en quantité d’énergie produite6. Non moins, ils paraissent plus propres alors qu’aucune solution de stockage de masse n’est proposée et qu’ils sont plus émissifs de CO27.
Une nouvelle génération de défenseur
Depuis quelques années, la posture des pros nucléaires a évolué en intégrant les méthodes du camp adverse. Loin des conduites attentistes et défensives, une volonté offensive de conquête est née. Certaines associations, comme Voix du Nucléaire, défendent l’atome sur les plateaux de télévision, lors les manifestations avec des stand up pour informer8 ou avec des actions coup de poing comme devant les locaux de leur adversaire Greenpeace9. Par conséquent, les associations prennent une posture démonstratrice en occupant le terrain loin d’un attentisme historique.
Deux égéries, Valérie Faudon et Myrto Tripathi, promeuvent activement la filière, soustrayant l’argument démagogique de non-présence féminine, cheval de bataille du front connexe, aux opposants au nucléaire.
Une double campagne de réinformation et de dénonciation de la désinformation est en cours par de nombreux influenceurs10 :
- Notons la contribution de Tristan Kamin11, ingénieur sécurité nucléaire sur la production de connaissance sur divers sujets : la diabolisation du nucléaire12, le stockage géologique des déchets13 ou lors d’accident sur des centrales14.
- De même, Francois-Marie Bréon15, Diplômé ENS ULM et président de l’AFIS, remet en cause, de manière sourcée16, le prétendu mensonge du gouvernement sur l’arrêt du nuage de Tchernobyl à la frontière.
- André Pellen, ancien ingénieur d’exploitation, propose même de réouvrir Fessenheim17, ce qui est possible si la décision est prise avant mars 2022. La crise Covid a dangereusement fragilisé les finances françaises, réouvrir la centrale permettrait de pallier, au moins partiellement, les 10 milliards de pertes estimées18.
Ainsi, les acteurs du nucléaire ont repris une position d’attaque avec l’intention de reconquérir les terrains stratégiques. Actons une inversion de la dynamique, des moyens et des rapports d’influence.
Une redistribution des cartes
Pour finir, un dernier facteur clé d’influence est à prendre en considération - le mimétisme étatique -. Il est, en effet, bien plus facile de s’engager dans les projets sous condition de ne pas ouvrir la marche. Bien qu’ayant subi l’accident de Fukushima, le ministre de l’industrie japonais, Koichi Hagiuda, reconnaît l’importance capitale du nucléaire19 pour « assurer un approvisionnement en électricité stable et abordable, tout en luttant contre le changement climatique ». Également, des pays de premier rang, comme la Chine ou le Royaume-Uni, s’activent pour accroître leur capacité installée de nucléaire civile. Dès lors, sans nécessairement être proactif, le politique pourrait renouer avec l’atome en suivant les autres pays meneurs.
L’Occident vit une inversion des rapports d’influence sur le nucléaire : la position des anti diminue alors que celle des pros s’accroît. Un nouveau paysage de lutte informationnelle se façonne sous nos yeux. Le terrain d’affrontement est et restera celui du politique à l’approche des présidentielles.
Les politiques présidentiables ou candidats se sont emparés du sujet avec des divergences sur les scénarios. Au plus grand bénéfice de ses deux filières, car le gaz et les énergies renouvelables sont complémentaires, Macron dans son programme « France 2030 », projettent un scénario couplant à la fois la promotion massive des énergies renouvelables et du nucléaire en support.
Ce scénario hybride semble être en accord avec le rapport20 produit par la RTE le 25 octobre 2021 où il précise que « Atteindre la neutralité carbone est impossible sans un développement significatif des énergies renouvelables » et « Se passer de nouveaux réacteurs nucléaires implique des rythmes de développement des énergies renouvelables plus rapides que ceux des pays européens les plus dynamiques ».
De surcroît, le candidat Éric Zemmour, propose le relancement du projet Astrid pour la quatrième génération, dont la quantité de combustible est largement supérieure à celle en U235, et l’installation de 10 nouveaux réacteurs EPR2 avec un modèle simplifié. Sa position bien plus en faveur s’accompagne d’une volonté de réduire l’implantation des éoliennes et panneaux solaires pour préserver les paysages.
Quant au leader de la France Insoumise, il juge préférable21 la sobriété énergétique avec la conséquence logique de contraction de nos usages et donc de limitation de notre capacité de réindustrialisation post-covid.
La France est au point cardinal de sa souveraineté énergétique, soit elle s’organise et agit pour garantir son apport en énergie, soit elle devra faire face à de graves contraintes. Alors que le pic de production de pétrole22 semblerait être passé et que le pic de production de gaz23 n’est plus très loin, le nucléaire semblerait être la meilleure source de production d’énergie à grande échelle pour nos sociétés modernes très énergivores. Avant les considérations carboniques, le nucléaire est un outil de stabilisation de nos sociétés et de préservation des acquis sociaux.
Comme précisé par le GIEC, le nucléaire est indispensable à la lutte contre le changement climatique. La question n’est pas : aura-t-on du nucléaire en France ? Mais sera-t-il chinois24 ou français ?
Des scénarios aux conséquences diverses sur la puissance française
Le premier scénario « Anti-nucléaire » (Mélenchon) vise à mettre un terme à la filière nucléaire, à ses emplois et ainsi à la souveraineté énergétique acquise. Ce scénario accroîtrait la dépense française vis-à-vis des pays limitrophes, dont l’Allemagne œuvre déjà en coulisse25. La balance commerciale serait aggravée au profit de l’Allemagne et de la Chine. La solution de privilégier massivement les sources intermittentes sachant que les premiers projets pilotes de recyclage ont été lancé en 2018 en France26 pour l’éolien et que le site en Isère va bientôt doubler sa capacité de recyclage en 2023 pour le photovoltaïque27.
Le second scénario « Pro-nucléaire » (Zemmour) 28 s’oriente autour de la construction de 14 nouveaux EPR de seconde génération, de la recherche d’une technologie de 4e génération (ASTRID) et d’un moratoire sur les projets éoliens accompagné d’une diminution de subventions. La solution privilégie les intérêts français au détriment de ceux allemands (éolien) et étrangers (photovoltaïque). Elle permettrait de construire une vitrine du savoir-faire national pertinent pour l’exportation mondiale de la technologie.
Le troisième scénario « Ambivalent » (Macron), en accord avec la majorité des français29, allie les deux mondes à mi-chemin. Bien que la solution permette de produire de l’énergie décarbonée, il ne permet pas de reconstruire une filière industrielle d’excellence vouée à l’exportation. Également, elle ne résorbe pas notre déficit public à l’importation.
Importer d’autres pays signifie accroître notre dépendance vis-à-vis d’eux et donc réduit notre marge de manœuvre pour les négociations internationales. A contrario, avoir un réseau alimenté par le nucléaire très stable nous permettrait d’avoir un levier d’influence auprès des pays européens limitrophes comme l’Allemagne en stabilisant leur réseau quand ils sont dans le besoin.
N'oublions pas que sans énergie (électricité, pétrole, etc.) nous perdrons le niveau de vie actuel. Avant les considérations idéologiques et politiques, il est vital de penser le bien-être des habitants français au-delà du clivage politique.
Théo Caselli
Sources :
- 1974 : le plan Messmer choisit l'option du tout-nucléaire | Alternatives Economiques (alternatives-economiques.fr)
- Fermeture de Fessenheim : tout le monde y perd ! (europe1.fr)
- Guerre de l’information autour du volet énergétique du Green New Deal Européen : taxonomie et énergie nucléaire | Ecole de Guerre Economique (ege.fr)
- Nuclear Energy Agency (NEA) - Projected Costs of Generating Electricity - 2020 Edition (oecd-nea.org)
- « Retour de flamme » des Français en faveur du nucléaire - Odoxa : Odoxa
- Les énergies renouvelables intermittentes et la stabilité des réseaux ? (afis.org)
- https://www.lajauneetlarouge.com/bois-charbon-petrole-gaz-nucleaire-et-autres-memes-problemes/#.Vz8Mf_mLRhE
- Fê(ai)tes du Nucléaire (Stand Up for Nuclear) 2021 - Les Voix du Nucléaire (voix-du-nucleaire.org)
- Fessenheim : opération coup de poing des pro nucléaires devant le siège Greenpeace (rse-magazine.com)
- Comment le nucléaire gagne la bataille des réseaux sociaux (reporterre.net)
- Tristan Kamin ☢️ (@TristanKamin) / Twitter
- Tristan Kamin - pourquoi ne doit-on pas diaboliser l'énergie nucléaire ? - YouTube
- Déchets #1 Principes du stockage géologique – Dose Équivalent Banana (home.blog)
- Fuite à la centrale nucléaire de Taishan : "Un emballement parce que c’est un EPR en Chine" (marianne.net)
- Francois-Marie Bréon sur Twitter : "On m’a suggéré de faire une liste de mes contributions Twitter que je considère comme étant les plus significatives. Je regroupe donc ces contributions ici" / Twitter
- Francois-Marie Bréon sur Twitter : "Depuis longtemps, je veux faire un thread sur le nuage de Tchernobyl prétendument arrêté à la frontière. Une grosse majorité de Français sont persuadés que le gvt a menti à cette occasion Je me demande ce qu’il en est dans ma TL, manifestement à l’écoute d’arguments pro-nuke https://t.co/u3W6bE3DgC" / Twitter
- Démantèlement de Fessenheim : peut-on encore faire machine arrière ? (frontpopulaire.fr)
- Démantèlement de Fessenheim : peut-on encore faire machine arrière ? (frontpopulaire.fr)
- Le Japon considère que le nucléaire est « indispensable » pour atteindre la neutralité carbone (frontpopulaire.fr)
- "Futurs énergétiques 2050" - Consommation et production : les chemins de l’électricité de RTE pour la neutralité carbone | RTE (rte-france.com)
- Ecologie : Zemmour vante le nucléaire, Mélenchon veut en «sortir», mais pas «l'abandonner» — RT en français
- A quand le pic de production mondial pour le pétrole ? – Jean-Marc Jancovici
- A quand le pic de production mondial pour le gaz ? – Jean-Marc Jancovici
- https://www.youtube.com/watch?v=l23AK_isG7Ahttps://doseequivalentbanana.home.blog/2019/06/10/dechets-1-principes-du-stockage-geologique/
- https://www.ege.fr/infoguerre/jattaque-comment-lallemagne-tente-daffaiblir-durablement-la-france-sur-la-question-de-lenergie
- http://www.grand-est.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/6_filiere_d3r.pdf
- https://www.revolution-energetique.com/cette-usine-va-doubler-les-capacites-de-recyclage-des-panneaux-solaires-en-france/
- https://programme.zemmour2022.fr/energie
- Énergie : une majorité de Français favorable à une politique s'appuyant à la fois sur le nucléaire et les renouvelables (lefigaro.fr)