Affrontement autour de la redevance Copie Privée

Dans un monde tentant d’adopter de plus en plus des démarches éco responsables, soucieuses de l’environnement, la production, chaque année, de milliard d’appareils électriques et électroniques, reste une vraie problématique. En 2019, 53.6 millions de tonnes de déchets électroniques, soit 7.3kg par habitant, ont été générées. Dans ce contexte, en 2014, une startup française, appelée BackMarket, décide de s’attaquer au recyclage des téléphones portables et autres matériels informatiques. Via une plateforme numérique, elle met en relation professionnels et particuliers concernant la vente de produits reconditionnés et/ou d’occasion, permettant de donner une seconde vie à un objet voué à être détruit. Avec 1200 vendeurs, suivis et notés en fonction de la satisfaction client, et un volume d’affaires de plus de 300 millions en 2020 (il était de 3 millions fin 2015), les ambitions affichées de cette startup sont de s’exporter aux états unis. Une levée de fond de 276 millions d’euros a ainsi été réalisée en mai 2021. Cependant, une certaine menace pèse sur cette startup et plus globalement sur l’ensemble de l’industrie du recyclage électronique français. En effet, début 2020, le collecteur Copie France, dont 25% des collectes permettent de financer des festivals et autres actions culturelles, souhaite assujettir cette industrie à la redevance Copie Privée, ciblant jusqu’alors les appareils neufs. Il assigne même en justice plusieurs reconditionneurs en leur demandant de verser rétroactivement cette redevance sur les 5 années passées. S’il est difficile de comprendre la logique de cette redevance, risquant de pénaliser fortement une industrie « éco friendly » naissante, il apparaît qu’elle représente désormais un second souffle à la manne financière dont bénéficie l’industrie de la Culture, quitte à mettre de côté les aspects environnementaux.

Le fonctionnement de la reproduction de copies

Selon l’article L.122-5 du Code de la Propriété Intellectuelle, le mécanisme de copie privée permet à un particulier de faire des copies d’une œuvre originale pour son usage personnel sans avoir à demander l’autorisation des différents acteurs de la création de celle-ci (auteurs, interprètes, producteurs…). De manière à pouvoir dédommager ces acteurs, compte tenu du manque à gagner que représentent ces copies privées, une redevance a été mise en place dès 1985. Elle est intégrée au prix d’achat de tous les appareils électroniques permettant de stocker du contenu (clé USB, ordinateur, téléphone portable, CD, disques durs externes, box internet). A titre d’exemple, de nos jours, le montant de cette redevance est de 14€ pour l’achat d’un smartphone Iphone 8 neuf ayant une mémoire interne de 64 Gb. Si en 1986, les revenus générés étaient de l’ordre de 40 millions d’euros, ils sont aujourd’hui de plus de 270 millions d’euros. La véritable croissance de ceux-ci commence entre 1999 et 2000, lors de l’apparition des logiciels d’échanges de fichiers en Peer-to-Peer comme Napster ou Emule. La société est alors dans une logique de stockage, dans laquelle le particulier remplit des disques durs de fichiers audios et vidéos.

La redevance Copie Privée apparaît donc comme un dédommagement juste des artistes, interprètes et producteurs. Cependant depuis 5 ans, le streaming gagne du terrain sur les œuvres enregistrées et copiées. En 2020, le streaming représentait 72% du chiffre d’affaires du secteur artistique et la tendance s’est accentuée avec l’épidémie du Covid. Récemment les plus grandes plateformes de contenus en ligne, telles que Netflix, Prime ou Spotify, ont vu leur nombre d’abonnés croître de manière exponentielle. Spotify comptent fin 2020, 350 millions d’abonnés dont 30 millions ont été gagnés sur la seule année 2020. Ces accès illimités mais payants aux œuvres artistiques ont eu pour effet de réduire drastiquement l’écoute de musique ou de visionnage de films de façon illégale. L’industrie du disque estime qu’aujourd’hui moins de 7% des écoutes de musique sont illicites.

Passage de la société de consommation d'œuvres stockées/enregistrées à une consommation en live streaming

Cette évolution a a été très profitable à l’industrie culturelle car elle a non seulement fait croître ses revenus, le streaming audio ayant bondi de 23% l’année dernière à 351 millions d’euros, tout en limitant fortement la consommation illicite d’œuvres.

Ainsi de manière factuelle, en prenant en compte cette évolution dans la consommation du grand public de musiques ou de films, la pertinence ou les arguments consistant à maintenir la redevance Copie Privée sont fortement amoindris. De manière à prendre un peu de recul sur le sujet, il est important de se pencher sur l’organisme collecteur de cette redevance et plus particulièrement sur la commission décidant des montants de cette redevance et de quels biens vont y être soumis.

Copie France est une société chargée de percevoir la redevance auprès des fabricants ou importateurs de biens électroniques permettant le stockage de données. Elle répartit ensuite les revenus de cette redevance entre ses sociétés membres et celles lui ayant donné le mandat de perception. Il existe aujourd’hui, au sein de Copie France, 5 collèges regroupant les sociétés membres : le collège des auteurs, des artistes-interprètes, des producteurs, des écrits et des arts visuels. Si cette société est juridiquement indépendante de la SACEM, cette dernière réalise tout de même l’ensemble des tâches administratives et de comptabilité nécessaires à son fonctionnement.

Comme souligné précédemment, Copie France est chargée de ventiler les revenus perçus de la redevance tel que 75% de ceux-ci sont distribués aux ayants droits (artistes, interprètes, producteurs) et 25 % sont affectés au financement d'actions d'aide à la création, à la diffusion du spectacle vivant et à la formation d'artistes (pourcentage défini dans l’article L 324-17 du Code de la Propriété Intellectuelle). A la tête de Copie France siège une commission qui, selon l’article L311-5 du Code de la Propriété Intellectuelle, définit le type de supports concernés par la redevance Copie Privée, ainsi que les taux et les modalités de versement de celle-ci. Cette commission est composée d’ayants droits (artistes, interprètes, producteurs), de consommateurs et d’industriels (fabricants / importateurs de biens permettant le stockage). Le fait perturbant concernant la composition de cette commission est que sur 24 membres, 12 sont des ayants droits, c’est-à-dire des personnes qui bénéficient des revenus de la redevance et seulement 6 sont des représentants des fabricants / importateurs, les 6 derniers représentant les consommateurs. Se pose donc la question de la pertinence de cette commission pour remplir ses devoirs tout en garantissant de respecter une démarche gagnante-gagnante tripartite.

Une bataille politique et sociétale

Si la redevance Copie Privée ainsi que la composition de la commission de Copie France sont sujet à débats depuis quelques années, les attaques se sont intensifiées depuis la décision de Copie France d’intégrer les biens reconditionnés à la liste de ceux étant assujettis à la redevance. En effet, pour pouvoir appliquer cette décision, les industriels du recyclage/reconditionnement des biens électroniques devraient, soit impacter leurs résultats en absorbant le coût de la taxe, soit répercuter celle-ci sur le prix que paiera le consommateur final. Les opposants de cette taxe argumentent donc que d’un côté elle grève les résultats d’une industrie pertinente d’un point de vue environnemental mais qui est naissante et encore fragile et de l’autre côté elle vient impacter directement les consommateurs d’objets reconditionnés qui, dans la majorité des cas, sont des personnes ayant peu de revenus, ne pouvant acheter des biens neufs.

Aussi avons-nous assisté à une bataille politique entre, d’un côté le ministère de la culture soutenant les ayants droits de la taxe Copie Privée et Copie France, et de l’autre les ministères de l’écologie et du numérique, les industriels fabricant/importateur des biens numériques ainsi que du Sénat. Ainsi en 2020, Copie France assigne plusieurs reconditionneurs, leur réclamant des millions d’euros pour l’ensemble des biens reconditionnés depuis 2015. De plus, en juin 2021, la commission de Copie France a validé la mise en place de la taxe sur les objets reconditionnés, avec un taux correspondant à 40% de celle concernant les biens neufs. Ainsi depuis juillet 2021, les ayant droits des revenus générés par la taxe Copie Privée bénéficient officiellement de la redevance prélevée pour chaque objet numérique reconditionné vendu. Pour assurer leur victoire, ils ont dû faire pression sur les députés pour qu’apparaisse dans une proposition de loi visant à réduire l’impact sur l’environnement du numérique, le fait que les biens reconditionnés soient assujettis à la taxe Copie Privée.

La confrontation sur la taxation

Cette proposition de loi avait été retoquée, en première lecture, au Sénat, notamment à la suite de l’intervention du sénateur Patrick Chaize, fervent défenseur du numérique et de son industrie. En attendant que cette proposition soit ré examinée, lors d’une seconde lecture au Sénat en novembre 2021, les opposants à la taxe ont attaqué. L’association UFC-Que Choisir conteste le taux de la taxe adopté en juin 2021 en sollicitant le conseil d’état, les reconditionneurs ont déposé 2 recours durant l’été 2021, l’un attaquant la composition de la commission et plus particulièrement le fait que plusieurs membres représentant les consommateurs étaient absents lors de la définition des taux de la taxe, l’autre mettant en avant que ces nouveaux barèmes ont été actés trop vite, alors que les hausses précédentes de la taxe avaient découlé d’études de marché plus poussées. Du côté Culture, la défense s’organise aussi à grand renfort de communication se voulant la plus transparente possible, avec un site internet dédié à expliquer le bienfondé de la redevance Copie Privée, un autre site expliquant les missions de la société Copie France (omettant de détailler la composition de la commission) et enfin une pétition regroupant 1600 artistes défendant l’application de la taxe. Il apparaît cependant que certains artistes n’ont pas le souvenir d’avoir signé cette pétition...

Si la taxe Copie Privée semblait pertinente jusqu’au début des années 2000, le passage d’une logique de stockage à une logique de flux des données numériques vient fortement amoindrir sa justification. En effet dans un contexte dans lequel les problématiques environnementales sont de plus en plus prégnantes, il est difficile de comprendre que l’alimentation des budgets culturels justifie d’impacter à hauteur de 10% le prix d’achat un appareil reconditionné. Il est alors évident que le monde de la culture ne semble pas prêt à se passer de la manne financière que représente la taxe Copie privée, et fera tout ce qui est en son pouvoir pour pérenniser ce revenu dont la légitimité est fortement entamée. L’avenir nous dira si la proposition révisée du monde de la culture saura convaincre le Sénat.

 

Jérémy Blanchard
Auditeur de la 37ème promotion MSIE

Références :

- Site du Sénat, https://www.senat.fr/rap/r15-850/r15-850_mono.html, 27 sept 2016

- Site Statista, https://fr.statista.com/infographie/24389/evolution-nombre-abonnes-payants-svod-plateformes-streaming-video-netflix-prime-video-disney-/, 11 mars 2021

- Site Nextinpact, https://www.nextinpact.com/article/45803/copie-privee-bataille-sur-extension-redevance-aux-biens-reconditionnes, 29 janvier 2021

- Site Copie Privée, https://www.copieprivee.org/copie-privee-les-projets-soutenus/, 2021

- Site Copie France, https://www.copiefrance.fr/fr/la-copie-privee/la-remuneration-pour-copie-privee, 2021.