Tentative de déstabilisation subversive de la france par une guerre de l’information turque
Pour comprendre l’offensive informationnelle turque contre la France du mois de septembre/octobre 2020, il est important de rappeler le contexte dans lequel se déroule cet affrontement informationnel qui prend l’aspect d’une tentative d’encerclement cognitif d’Erdogan à l’égard de la France, compte tenu des multiples enjeux sous-jacents à ce rapport de force.
L’offensive géopolitique turque
Le retrait progressif des Etats-Unis du Moyen-Orient avec son « pivot vers l’Asie » initié sous la présidence Obama et continué par le Président Trump, laisse un vide dans la région Moyenne Orientale et Méditerranéenne. Cette tectonique des plaques géopolitiques laisse une fenêtre stratégique dont la Turquie souhaite tirer avantage, tandis que la France joue un rôle de puissance stabilisatrice. Elles se retrouvent face à face dans tous les conflits :
- En Lybie lorsque la Turquie soutient Fayez el-Sarraj issu du « Gouvernement d’Accord National » (GAN) et qui est officiellement reconnu par l’ONU. La France soutient officieusement le camp opposé du général Haftar de « l’Armée Nationale Libyenne » (ANL).
- En Syrie, la France dénonce l’offensive turque sur les kurdes, qui étaient les alliés de la coalition contre DAECH. Kurdes syriens que la Turquie qualifie de terroristes.
- Au Liban, la France intervient pour protéger son influence mais aussi pour s’opposer à ce que la Turquie prenne pied en Méditerranée.
- Dans le Haut-Karabakh, la Turquie soutient officiellement l’Azerbaïdjan, tandis que la France, membre du club de Minsk au côté de la Russie et des Etats-Unis, soutient l’Arménie.
- Enfin en Méditerranéen Orientale avec le conflit gréco-turc sur la délimitation des eaux territoriales dont la France est engagée diplomatiquement et militairement aux côtés des grecs.
Les ambitions géoéconomiques d’Ankara
La Turquie déjà très active en Afrique et au Maghreb y voit aussi une opportunité de mener une guerre informationnelle et économique contre la France, concurrent dans cette zone. Les ressources gazières en Méditerranée pourraient permettre à la Turquie d’être moins dépendante du gaz Russe et de diminuer son déficit commercial. Elle pourrait également devenir un hub de transit gazier de premier plan vers l’Europe.
Les retombées sur la politique intérieure turque
La dégradation de l’économie turque, point faible du président Erdogan, se fait ressentir dans les urnes lors des élections municipales de 2019. Bastion de l’AKP depuis 1994, Istanbul poumon économique du pays dont Erdogan a été le maire de 1994 à 1998, passe au parti de l’opposition CHP (parti Kémaliste social-démocrate et laïc), ainsi qu’Ankara, capitale politique du pays.
Le rapport de force idéologique entre la Turquie et la France
Sur l’échiquier religieux, le monde musulman n’est pas monolithique et plusieurs courants s’affrontent pour ses quelques 1,8 milliards de fidèles. On observe un axe Turquie / Qatar affilié aux frères musulmans qui prônent un islam politique, et de l’autre l’axe Arabie Saoudite / EAU deux pétro-monarchies avec un islam wahhabite rigoriste pour l’Arabie. Ces monarchies n’entendent pas partager le pouvoir royal avec les religieux, et les combattent fermement.
C’est dans ce contexte conflictuel sur de multiples échiquiers que s’inscrit la rhétorique populiste du Président Erdogan, pour s’affirmer tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de ses frontières. L’augmentation de la puissance turque sont les fruits de sa politique au long cours en alliant hard et soft power, ce qui lui permet aujourd’hui d’avoir des moyens de déstabilisation par une guerre informationnelle.
Pierre-Charles Hirson
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