Mayotte La polémique qui enfle derrière la « crise de l’eau »

La « crise de l’eau » que subissent les habitants de l’île de Mayotte n’est pas nouvelle. Déjà en 2016, une sècheresse historique a mis à mal la capacité de l’île à fournir suffisamment d’eau potable à la population mahoraise. Depuis, des coupures d’eau rythment la vie et l’activité économique de l’île pour réguler la demande en eau potable qui ne cesse de croître. Fatigués par cette situation, des Mahorais se sont organisés en « collectifs citoyens » et font désormais cause commune pour faire entendre leur voix auprès des pouvoirs publics. Et selon ces collectifs, la pénurie en eau ne serait pas uniquement la conséquence de bouleversements climatiques comme le fait entendre l’État français au travers de ses « porte-voix », mais un écran de fumée pour cacher une toute autre réalité, celle de l’immigration clandestine.

Le traitement de l'eau dans le contexte insulaire mahorais

Territoire français depuis 1841 et faisant géographiquement partie de l’Archipel des Comores, l’île de Mayotte est devenue le 101e département français en mars 2011. Disposant d’une superficie totale de 374 km², Mayotte est la plus petite île d’Outre-Mer. Elle se répartie principalement en deux îles, Grande-Terre (363 km²) et Petite-Terre (11 km²). Quant à ses ressources en eau, elles sont divisées en deux groupes d’origines différentes.

  • La ressource profonde située dans la nappe phréatique qui est exploitée par des forages,
  • La ressource superficielle qui englobe les rivières, les retenues collinaires et l’eau de mer. Des ressources acheminées par pompage ou gravitairement dans des filières de traitement pour les rendre potables.

« A Mayotte, près de 30% de la production d’eau est assurée par les deux retenues collinaires de Combani et Dzoumogné, qui se remplissent lors de la saison des pluies ». Le reste de l’eau courante est produite par les forages, les rivières et les unités de dessalement. La partie nord de Mayotte, « au nord de la ligne Dembéni-Chiconi, concentre l’essentiel de la population et des besoins (environ 70%) mais, aussi, la quasi-totalité des ressources exploitées. La pluviométrie y est plus abondante, favorisée par les vents dominants de nord pendant la saison des pluies » mais se réduit d’année en année, laissant place à des périodes de sécheresse plus longues. Une sécheresse qui pénalise par ailleurs, les régions du centre et du sud de l’île en particulier sur leur capacité de stockage en eau potable. Au nord de Mayotte, les pentes sont en effet moins prononcées, ce qui favorise l’infiltration et la présence de rivières pérennes.

Le bon usage de l'eau comme axe clivant entre la population et les institutions

Si la sécheresse que connaît toute l’Archipel des Comores s’accentue effectivement, diminuant ainsi les réserves naturelles d’eau potable, cette explication n’est certainement pas la seule selon la société mahoraise. Elle voit d’ailleurs d’un assez mauvais œil le fait qu’on lui rappelle le bon usage de l’eau alors que de graves manquements de la part de la SMEAM, le syndicat en charge de la collecte et des réseaux de distribution de l’eau sur l’île, ont été « épinglés » un an auparavant par la Chambre régionale des comptes de Mayotte pour la mauvaise gestion du réseau et l’utilisation non réglementaire de fonds publics notamment. Et elle l’exprime d’ailleurs assez clairement sur les réseaux sociaux en réponse à la campagne de communication lancée par l’Agence Régionale de Santé (ARS) en septembre 2020, pour la sensibiliser aux gestes à adopter pour réduire sa consommation d’eau et la consommer en toute sécurité. Communications reprises par ailleurs massivement par la Préfecture et la SMEAM sur leurs réseaux sociaux respectifs mais qui réveillent, chez le citoyen mahorais, obligé de payer une eau dont il ne dispose pas selon lui, un sentiment partagé de colère et d’abandon de la part des pouvoirs publics. Il faut dire que les problématiques sur l’île ne manquent pas. A commencer par une démographie qui explose avec près de 750 habitants au km² et plus de 9500 nouveau-nés par an dont les trois quarts sont de mères étrangères, des problématiques sociales et sanitaires que la crise de la Covid amplifie. L’île semble comme à bout de souffle, incapable de faire face à la demande en eau potable d’après les insulaires. Et ce ne sont pas les tentatives de réponse proposées depuis 2017, pour la plupart avortées (tanker citerne, 3e retenue collinaire), qui calment le jeu. Bien au contraire.

La montée en puissance de la société civile mahoraise face à la « crise de l’eau »

Le 6 septembre 2020, un communiqué de presse tombe. La distribution alternée d’eau est l’alternative choisie par les pouvoirs publics pour faire face à la crise.  Le SMEAM, la Préfecture de Mayotte, l’ARS et la SMAE, filiale de Vinci qui gère la distribution, décident de mettre en place des coupures nocturnes, à raison d’une fois par semaine et par secteur. Chacun relayant l’information à grand renfort de médias télévisés, de publications sur leur page FaceBook, leur compte Twitter, leur sites web ou leur revue de presse. Les coupures d’eau nocturnes seront réalisées en particulier au centre et dans le sud de Mayotte alors qued’après le communiqué relayé par la chaîne de télévision officielle Mayotte La Première, « l’ensemble du département sera concerné de manière équitable, aucune zone ne sera plus touchée qu’une autre ». Malgré les millions d’euros investis dans le réseau provenant de fonds FEDER et les projets proposés dans le cadre du Plan d’urgence de 2017 par l’État, l’histoire semble se répéter. Quid de la réaction des mahorais exaspérés par la situation ? Des collectifs citoyens comme le « Collectif des Assoiffés du Sud » ou le « Comité de Défense des Intérêts de Mayotte » (CODIM) créés lors de la première vague de coupures d’eau (re)montent au créneau. Ce qu’ils dénoncent ? Les manquements des pouvoirs publics face à une situation devenue explosive. Leurs attentes ? Obtenir une égalité de traitement dans l’accès à l’eau mais aussi aux infrastructures de base, au même titre que les autres départements français. Leurs actions ? Elles se déroulent dans les rues de Mayotte, mais aussi à Paris, grâce aux associations mahoraises et des Outre-mer présentes en métropole. Également par l’intermédiaire de personnalités publiques comme Estelle Youssoufa, « journaliste mahoraise consultante en affaires internationales », présidente du CODIM, devenue l’égérie de tout un peuple. Le CODIM est en effet l’un des comités citoyens les plus actifs sur les questions liées à l’eau et plus largement, aux conditions de vie à Mayotte.

La question de l'eau : porte d'entrée à une polémique plus insidieuse ?

Ces collectifs citoyens, à l’image du « Collectif des Assoiffés du Sud », n’hésitent plus à intervenir sur les chaînes de télévision ou les journaux officiels comme Mayotte la Première pour dénoncer ouvertement les failles d’un système. De même qu’ils n’hésitent plus à interpeller l’État comme, par exemple, lors de la visite présidentielle sur l’île le 22 octobre dernier où les mahorais furent appeler par le CODIM à s’habiller en blanc en signe de protestation. Une manifestation qui n’aura pas lieu de se déployer. Estelle Youssouffa se fera arrêter par les forces de l’ordre comme elle le dénonce sur la page FaceBook du collectif et dans les médias.

Réaction qui sera relayée par les journalistes bien sûr, et autant d’individus se sentant proches du combat mené par ces collectifs et prompts à dénoncer via les réseaux sociaux la thèse complotiste d’un État « menteur ». Il est d’ailleurs intéressant de voir que ses propos sur la situation à Mayotte sont relayés par Mediapart, réputé pour être un média de contre-pouvoir. De même que par des relais plus « souterrains », à l’exemple de la chaîne RT France, la branche francophone de la chaîne internationale russe d’information créée en 2017, accusée d’être un organe de soft power du Kremlin et de trouver un certain écho dans les milieux conservateurs et nationalistes. Dès lors, la question posée par Patrick Millan (11.25), patron de la chaîne de télévision privée mahoraise KTV Kwezi, lors de l’interview de Safina Soula, membre du « Collectif des Assoiffés du Sud », serait-elle légitime ? Et si derrière la question de l’eau à Mayotte (et par extension, de la préservation des ressources naturelles) se cachait une problématique plus profonde ? La pirouette semble ici facile et pourtant…

L’immigration clandestine : la cause profonde du désaccord entre l’État et société civile mahoraise

A en croire le « Collectif des Assoiffés », la raison qui expliquerait ce déficit en eau serait la surpopulation liée à l’immigration clandestine. Selon le collectif, l’afflux massif de population venue des Comores et de la région africaine des Grands Lacs participerait à la pénurie en eau potable sur l’île qui ne dispose pas des ressources nécessaires à l’approvisionnement de toute la population présente à Mayotte (450 000 habitants d’après les collectifs citoyens, migrants compris). Un afflux de population qui, de par la promiscuité qu’il engendre sur la petite île, les problèmes d’insalubrité et d’accès aux ressources qu’il crée, engendrerait un climat d’insécurité. En retour, les pouvoirs publics tentent d’expliquer, de rassurer la population par les faits. Sur les réseaux sociaux et à grand renfort de médias, la Préfecture de Mayotte montre la présence de services de sécurité, ses actions comme l’arrestation de migrants clandestins, (ré)affirmant ainsi sa volonté de travailler sur ce sujet, dans « le respect des règles de la République », terminologie souvent utilisée par les collectifs citoyens eux-mêmes. Des blocages seront organisés par la société civile mahoraise pour dénoncer la surpopulation et l’insécurité ambiante.

Pour tenter de désamorcer cette polémique, la ville de Mamoudzou en partenariat avec la préfecture, le Conseil départemental et l’Association des Maires, a organisé les 9 et 10 novembre 2020, les premières « Assises sur la sécurité et la citoyenneté », invitant la société civile à s’exprimer. Le 12 novembre, Estelle Youssouffa prendra la parole sur la chaîne Mayotte La Première dénonçant « le mépris », « l’incapacité », « la rupture d’égalité », mais aussi la saturation des services publics et les dépenses liées à cet état de fait. Elle pointera du doigt « l’appel d’air » migratoire « organisé » par le gouvernement français. Les infrastructures de l’île seraient donc sous pression.

Avec « près de 10 000 naissances annuelles dont 75% sont le fait de ressortissantes comoriennes » qui voudraient donner la nationalité française à leur nouveau-né, l’unique maternité ne désemplirait pas. Et ce serait le même phénomène d’attraction avec les soins gratuits pour les étrangers, les écoles pour les jeunes Comoriens et les visas territorialisés d’un an que la Préfecture de Mayotte délivrerait aux clandestins massivement et avec complaisance comme accuse Moutouin Soufiyane, l’un des leaders du CODIM. Sur ce point,  la réponse des pouvoirs publics ne se fera pas attendre. Le membre du collectif ayant soutenu cette thèse dans les médias sera convoqué devant le tribunal correctionnel le 1er octobre dans le cadre d’un procès pour diffamation à l’encontre de Camille Miansoni, le Procureur de la République mis en cause ; celui-là même qui sera muté à Brest d’ici la fin de l’année.

Gestion de l’eau, immigration clandestine, respect du sol français : quel sera le point de rupture ?

Derrière la question de l’eau se profilerait donc un autre enjeu auquel les pouvoirs en place ne semblent trouver ni les solutions, ni les réponses aux yeux de la société civile mahoraise qui l’attaque désormais sur tous les fronts. Pour les Mahorais, le changement climatique n’expliquerait pas à lui seul la pénurie en eau. L’immigration clandestine serait le mal profond. Un mal qui accentuerait le rapport de force entre l’État et la petite île qui l’accuse d’être incapable de faire respecter sa « souveraineté » face aux « envahisseurs ». Un mal qui, si l’État ne trouve pas de remède efficace, amplifiera ce vent de contestation qui souffle déjà et continuera, à en croire les dires des collectifs citoyens et les résultats du Rassemblement National à Mayotte aux dernières élections. Et ils le crient de plus en plus fort : « sous-dotée en tout, manquant d’infrastructures, supportant l’incurie de certains responsables locaux, ne pouvant compter que sur un seul centre hospitalier et sous le joug de nombreuses violences » entre migrants et mahorais, Mayotte semble arriver au point de rupture. Et ce ne sont pas les communications d’ONG ou d’associations humanitaires qui semblent réussir à calmer les esprits et le rapport de force désormais palpable entre les pouvoirs publics et les Mahorais qui n’hésitent plus à bloquer leurs actions.

Que dire alors de l’avenir de Mayotte dans ce climat sous tension ? Quel sera le résultat de la guerre informationnelle que les deux camps se livrent depuis 2017 ? Des avancées sur le droit du sol ont abouti, certes. Mais combien de temps encore les habitants supporteront-ils la situation ? Le gouvernement actuel trouvera-t-il le moyen de calmer le jeu ? La petite île arrivera-t-elle à se faire entendre sur l’ensemble de « ses » dossiers dans le respect du droit républicain français ? Il sera intéressant de voir de quelles manières la société mahoraise continuera ses combats.

 

Véronique Langrand

 

 

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