L’association de défense de consommateurs UFC Que Choisir a porté plainte pour « obsolescence programmée « auprès du Procureur de la République de Nanterre le 22 Septembre 2020 dernier contre le géant des jeux vidéo Nintendo. UFC Que Choisir reproche à l’entreprise japonaise de « vendre des manettes qui ont vocation à tomber en panne avant la fin de la première année d’utilisation ». La presse quotidienne nationale et la presse spécialisée nationale et internationale ont relayé largement ce communiqué (1) imposant ainsi à Nintendo de se défendre et d’engager une contre-offensive informationnelle…
Qu'est-ce l'obsolescence programmée ?
L’obsolescence programmée (2) est une stratégie visant à réduire la durée de vie d’un produit pour augmenter son taux de remplacement et provoquer ainsi un nouvel achat prématuré. Les fabricants conçoivent-ils des produits à la durée de vie volontairement limitée, afin d’inciter le consommateur à se rééquiper plus souvent ? C’est difficile de l’affirmer… En revanche, chacun constate régulièrement, au quotidien, diverses pannes sur ses équipements high-tech ou électroménagers, qui interviennent plus ou moins tôt dans la vie du produit. Trop souvent, réparer ne vaut pas le coup, et c’est l’appareil complet qui part au mieux au recyclage, au pire à la poubelle.
Initialement l’obsolescence programmée a été perçue comme un moyen de favoriser la croissance économique et la productivité. En 1932, Bernard London (3), promoteur Américain défend le concept d’une obsolescence légale imposée par le gouvernement pour les biens de consommation afin de stimuler et maintenir la consommation dans son livre « Ending the Depression Through Planned Obsolescence ». En 1942, Joseph Schumpeter, l’un des grands économistes du siècle dernier, décrit le phénomène de « destruction créatrice » (4) en présentant l’innovation comme à la fois source de croissance et facteur de crise.
Dans les années 50, le designer industriel Brooks Steven (5) rend populaire l’obsolescence programmée à travers son design. Aujourd’hui, l’obsolescence programmée tend à être dénoncée comme préjudiciable sur le plan écologique et humain. En France, la loi Hamon publiée au J.O du 18 mars 2014 (6) apporte une première réponse législative pour lutter contre l’obsolescence programmée. L’article 99 de la loi sur la transition énergétique du 17 Août 2015 prévoir une peine de de deux ans d’emprisonnement de 300 000 euros d’amende (susceptible d’être portée à 5% du chiffre d’affaires moyen évalué sur les trois derniers exercices) pour tout fabricant/importateur se rendant coupable du délit d’obsolescence programmée. De nos jours, elle devient donc un enjeu sociétal majeur au carrefour du droit des consommateurs et de la protection de l’environnement.
Stratégie d'attaque informationnelle de L'UFC Que Choisir
L’UFC-Que choisir est une association à but non lucratif entièrement consacrée à satisfaire les besoins des consommateurs et à protéger leurs droits et leurs intérêts par ses campagnes, enquêtes, actions collectives et achats groupés. En Novembre 2019 déjà, L’UFC que Choisir avait dénoncé l’obsolescence programmée des manettes de jeux et avait mis en demeure Nintendo de réparer les manettes défaillantes gratuitement et avait également reproché à Nintendo une facturation de 45 euros pour leur remplacement. Depuis son lancement commercial en 2017, la Console vidéo Nintendo Switch a été un vrai succès commercial. Mais deux ans après son lancement, les possesseurs de la console de jeux ont commencé à se plaindre d’une panne récurrente et bloquante de la manette provoquant des difficultés pour orienter les personnages du jeu ou se déplacer dans les menus.
Selon l’UFC-Que Choisir, Nintendo avait connaissance du dysfonctionnement et en avait identifié les causes. A noter également qu’une action collective similaire avait déjà été lancée en juillet 2019 aux Etats-Unis pour pointer du doigt l’origine de ces défaillances. Pourtant alerté, le fabricant n’est pas intervenu pour modifier la conception de ses manettes et mettre fin à cette fragilité.
UFC- Que Choisir a également lancé un appel à témoignages auprès des utilisateurs de la console Switch afin de pouvoir collecter le maximum d’informations sur les conditions dans lesquelles ces pannes apparaissaient. Avec plus de 5 000 témoignages d’utilisateurs mécontents récoltés en moins de 10 jours, l’UFC-Que Choisir a pu ainsi établir plusieurs constats. Il a été notamment établi que 65 % des consommateurs victimes ont constaté cette panne moins d’un an après l’achat des manettes et que la panne apparaissait quel que soit le profil ou l’âge du joueur, avec moins de 5h par semaine d’utilisation. 25 % des consommateurs ont même vu la panne survenir dans les 6 mois après l’achat, malgré la faible utilisation de la console.
Devant l’ampleur des plaintes, l’UFC-Que Choisir a fait diligenter une expertise sur plusieurs manettes défectueuses, plus ou moins récentes, afin d’analyser l’origine de cette panne. Les experts ont relevé que des modifications avaient été réalisées par Nintendo dans la conception de ses manettes mais pas sur le problème à l’origine des pannes. Déterminée à ce que Nintendo revoit la fabrication de ses manettes pour éviter l’apparition quasi systématique de cette panne, l’UFC-Que Choisir a donc décidé de créer un électrochoc et a donc porté donc plainte le 22 Septembre 2020 pour obsolescence programmée auprès du Procureur de la République de Nanterre.
La réponse minimaliste de Nintendo
Après la mise en demeure de Nintendo en Novembre 2019, Nintendo France avait minimisé le problème en mettant en avant « le nombre de cas extrêmement faible » et le peu de remontées de dysfonctionnements significatifs. Il est à noter que Nintendo France avait dépassé ses objectifs commerciaux avec 3,3 millions de consoles vendues après son lancement commercial et cela n’a donc pas incité Nintendo France à faire d’efforts. Malgré tout, sous la pression et compte-tenu d’un grand nombre de plaintes, le président de Nintendo France Philippe Lavoué avait finalement annoncé dans la presse et notamment au Monde la mise en place d’un service après-vente afin que les manettes défectueuses soient remplacées facilement même lorsque la garantie commerciale était expirée. Nintendo n’a pas revu la fabrication de ses manettes pour éviter l’apparition quasiment systématique de la panne et c’est ce qui va motiver UFC à porter plainte le 22 Septembre 2020 auprès du Procureur de la République à Nanterre.
Nintendo n’a fait aucune communication à la suite du dépôt de plainte de l’UFC Que choisir. Comment expliquer cette inertie ? Certainement la puissance de Nintendo qui réside dans le fait de savoir que tous les gamers continuent à acheter. Il est vrai que la société japonaise a vu son chiffre d’affaires bondir de 73 % par rapport à l’année précédente, avec 6,2 milliards d’euros (7) …et son bénéfice net a triplé et atteint 2,4 milliards d’euros. Les foyers confinés ont été très friands de jeux vidéo. Nintendo a ainsi écoulé durant cette période 12,5 millions de consoles Switch, soit 80 % de plus que l’an passé. Ces résultats ont conduit Nintendo à revoir à la hausse ses prévisions pour l’année fiscale close au 30 mars 2021. Son bénéfice net attendu passe à 3,6 milliards d’euros, soit 50 % de plus…
Il est encore trop tôt pour le dire mais l’image de Nintendo risque d’être gravement ternie par la plainte de UFC-Que Choisir auprès du Procureur de la République de Nanterre pour obsolescence programmée. Nintendo devra vraisemblablement faire mieux que de proposer une réparation gratuite afin de répondre à cette plainte… L’instruction de cette plainte et la décision de justice seront donc particulièrement intéressantes à suivre, par rapport à la notion même d’obsolescence programmée. Il est intéressant de voir que l’association HOP qui soutient la décision de l’UFC-Que choisir avait en effet déposé la première plainte en matière d’obsolescence programmée contre les imprimantes Epson. Cela fait 3 ans que HOP attend une décision de justice dans cette affaire. Toutefois, il est important de souligner que l’ association HOP est sortie vainqueur suite à son dépôt de plainte contre Apple condamnée à une amende de 25 millions d’euros suite aux ralentissements et autres dysfonctionnements rencontrés par les iPhones 6, 6S, SE et 7 du fait de la mise à jour du système d’exploitation.
Jérôme Volclair
Sources complémentaires
Morgane Tual, « L’UFC-Que choisir porte plainte contre Nintendo pour obsolescence programmée », Le Monde, 22 Septembre 2020.
L’Obs, 22 Septembre 2020.
01net.com, « Manettes défaillantes de la Switch : l’UFC-Que choisir porte plainte contre Nintendo ».
La voix du Nord, « Nintendo : UFC- Que Choisir saisit la justice sur l’usure de manettes »
Marie Dealessandri, GamesIndustry.biz, 22 Septembre 2020