Les débats sur le climat génèrent des problématiques de guerre de l’information par le contenu dans différents secteurs liés à la solution énergétique mis en avant pour réduire les émissions de CO2. La filière gaz est au cœur d’attaques informationnelles initiées par des ONG défendant la solution du véhicule électrique.
Les points de repère contextuels
Le 12 Décembre 2015, l’Accord de Paris sur le climat (COP 21) est signé par 196 délégations dont l’Union Européenne afin de limiter l’augmentation de la température mondiale de 2°C. Chaque participant s’est engagé à réduire ses émissions de gaz à effet de serre[1]. Cette
L’Union Européenne, avec le Pacte Vert pour l’Europe[2] (« Green Deal ») s’est donné comme objectif pour 2030 de réduire ses émissions d’au moins 40% par rapport à 1990 et atteindre une neutralité carbone en 2050. Si la plupart des secteurs a réduit ses émissions de CO2 depuis 1990, le transport routier a augmenté ses émissions de 10% sur la même période tout en en représentant une part non négligeable en France (28%)[3]. Par conséquent, le parlement européen impose au secteur du transport routier dans le cadre de la « mobilité durable »[4]:
- Un objectif de 95 g de CO2/km pour les émissions moyennes des voitures particulières neuves depuis le 1er Janvier 2020[5] et
- Une réduction de 15% à partir de 2025 et de 30% à partir de 2030 des émissions de CO2 du parc de véhicules utilitaires lourds[6].
- De plus, afin de réduire la pollution atmosphérique résultante du transport routier, des normes fixant des limites maximales de rejets polluants[7] s’appliquent aux véhicules neufs. Elles sont de plus en plus contraignantes. Actuellement, la norme Euro 6 concerne les véhicules légers et la norme Euro VI, les poids lourds.
Une compétition énergétique et technologique
Afin de satisfaire aux objectifs bas carbone définis par la Communauté Européenne, le secteur des transports routiers doit opérer sa transition énergétique. L’abandon progressif des carburants fossiles les plus polluants a nécessité l’émergence d’autres vecteurs énergétiques : l’électrique, l’hydrogène et le gaz naturel pour véhicules (GNV) pour ne citer que les principaux.
S’il semble que le véhicule électrique s’impose sur le segment des véhicules légers[8], plus adaptés aux courtes distances et bénéficiant de points de recharge urbains, le cas des véhicules lourds est plus problématique. Bien qu’aujourd’hui, les véhicules roulant au GNV ont une autonomie et une rentabilité énergétique supérieures à celles des véhicules électriques, l’évolution de la technologie, notamment des batteries, peut permettre de réduire l’écart entre les deux. Les choix effectués par les différents acteurs économiques impliqués dans le secteur sont fortement influencés par l’évolution de la réglementation européenne car ils nécessitent des investissements importants de la part des fabricants, mais aussi des infrastructures appropriées (station d’avitaillement en GNV ou en hydrogène et points de recharge électrique) qui ne sont pas encore suffisamment déployées.
Enfin, il s’avère indispensable de stimuler l’achat des véhicules à faible émission de CO2 par les particuliers et les entreprises à l’aide d’incitations tant fiscales (subventions, primes, exonérations de taxes, déductions de charges, bonus/malus écologiques…) que financières (facilités de prêt). Des choix politiques clairs au niveau européen n’ayant pas été annoncés, la demande reste timorée pour les véhicules lourds et les constructeurs attendent un soutien des pouvoirs publics (On peut noter que l’exception notable est l’Italie qui compte un million de véhicules au GNV tous segments confondus)[9].
L'attaque de Transport et Environnement contre la filière du GNV
Le marché des véhicules à carburant alternatif n’en est qu’à ses prémices. Si les objectifs ambitieux de la loi d’orientation des mobilités (LOM)[10] en France sont tenus (la fin des ventes des véhicules à énergies fossiles carbonées en 2040), le potentiel pour les véhicules bas carbone est considérable[11].
Le 19 septembre 2019, Transport et Environnement (T&E)[12], une organisation européenne représentant plus de 50 ONG[13] et qui soutient la mobilité électrique, diffuse une étude « Les camions au gaz réduisent-ils les émissions ? » dans laquelle elle accuse les fabricants de véhicules roulant au GNL (Gaz Naturel Liquéfié) de travestir la réalité sur les émissions de polluants de leurs camions. L’association déclare que les émissions de NOX sont de 2 à 5 fois plus importantes que des camions roulant au diesel. Elle s’insurge que l’Union Européenne investisse davantage dans la recherche de la filière gaz que dans la recherche sur l’électrification des camions et déplore que l’UE favorise la filière GNL par des avantages fiscaux. L’étude a été traduite en plusieurs langues et a largement trouvé un relai dans la presse[14]. Elle se fonde sur des tests réalisés par TNO[15], un organisme néerlandais. Cet effet d’annonce est un choc pour les transporteurs routiers qui possèdent ou envisagent de se munir d’un parc de véhicules au GNV.
La finalité de l’opération est d’inciter les décideurs politiques au niveau européen à privilégier la solution électrique au détriment de la solution gaz naturel et ainsi de capter la majorité des subventions, des aides fiscales et des financements d’infrastructures pour cette technologie. La parade ne s’est pas fait pas attendre.
La parade de la filière du GNV
Le jour même de la publication, l’AFGNV (Association Française du GNV) désamorce la polémique par un communiqué[16] qui dénonce l’interprétation tronquée des tests de TNO et d’avoir comparé des tests en laboratoire pour les camions diesel avec des mesures prises en conditions réelles pour les véhicules au GNV. L’AFGNV réaffirme que : « en usage réel, les camions au gaz réduisent les émissions polluantes, jusqu’à -66% de NOX par rapport au Diesel ». La NGVA[17] se joint à l’AFGNV en démontant point par point les arguments de T&E en citant une étude antérieure de TNO[18] qui contredit les conclusions de T&E. Le projet Equilibre[19] donne son analyse de la communication de T&E. Il souligne que TNO prévient qu’il serait hasardeux de tirer des conclusions d’un test sur 2 véhicules au GNL.[20] Il publie pour l’occasion son rapport de test[21] en situation réelle d’exploitation qui contredit l’étude de T&E.
La riposte
Après le désamorçage et la réfutation point par point des arguments de T&E par le lobby du gaz, la réponse apportée par l’ONG[22] Bruxelloise n’a pas eu d’effet. En retour, la contre-attaque informationnelle est lancée le jour même (le 19 septembre 2019) par la diffusion d’une étude réalisée par l’IFP Energies Nouvelles (successeur de l’Institut Français du Pétrole) : « Etude ACV de véhicules roulant au GNV et bioGNV ». Elle compare l’impact sur l’environnement de véhicules de transport routier dotés de technologies différentes par l’analyse du cycle de vie (AVC).[23] Parmi ses conclusions, elle met en évidence que les véhicules roulant au BioGNV ont de meilleures performances environnementales en termes d’émission de GES que les véhicules électriques, désavantagés par l’empreinte carbone de la fabrication des batteries.
Le front informationnel d'opposition entre le lobby gazier et les partisans de la mobilité électrique
L’agression dont a fait preuve T&E a provoqué une guerre de l’information entre deux tenants de la mobilité par des technologies différentes. GRDF s’est néanmoins réjoui que le journal le Monde parle de GNV. Cela a permis d’obtenir une visibilité dans la presse nationale de vulgarisation. A cet effet, GRDF a référencé toutes les études connues sur le GNV sur son site à destination des institutionnels dans un but de transparence (les tests de TNO inclus).
La filière du GNV a pris conscience de l’importance d’informer si elle ne veut pas être isolée. La course à la norme n’est toujours pas terminée. Depuis, la filière du GNV s’applique à communiquer sur la légitimité du GNV et surtout du BioGNV dans la transition énergétique bas carbone.
Gérald Monbel
[1] Gaz à effet de serre (GES): Ce sont essentiellement la vapeur d’eau, le dioxyde de carbone (CO2) et le méthane (CH4). Ils participent au réchauffement climatique. La concentration de CO2 a augmenté de 30% dans l’atmosphère en près de 200 ans. La part du CO2 s’élève à plus de 75% des GES.
[2] Un pacte vert pour l’Europe
[3] Chiffres clés du climat – France, Europe et Monde p37
[5] Règlement (UE) 2019/631 du parlement européen et du conseil du 17 avril 2019
[6] Règlement (UE) 2019/1242 du parlement européen et du conseil du 20 juin 2019
[7] Les polluants concernés sont les oxydes d’azote (NOx), le monoxyde de carbone (CO), les hydrocarbures (HC) et les particules fines (PM).
[8] Objectif 100 000 bornes : tous mobilisés pour accélérer le virage du véhicule électrique
[9] L’utilisation du gaz naturel dans le transport routier, une spécificité italienne
[10] Projet de loi d’orientation des mobilités : la fin des ventes de voitures à énergies fossiles carbonées d’ici 2040 inscrite dans la loi
[11] La Norvège ne veut immatriculer que des véhicules zéro émission à partir de 2025 ; le Danemark et les Pays-Bas veulent en interdire les ventes en 2030 ; l’Irlande veut les interdire de circuler en 2045 ; l’Allemagne, fortement dépendante du secteur automobile évoque le sujet pour 2030.
[12] Transport et environnement
[13] Il est intéressant de constater que FNE (France Nature Environnement), bien que membre de T&E, tient un discours beaucoup plus mesuré sur le GNV et l’électrique : « La mobilité durable ne doit pas se résumer au véhicule électrique » (15 février 2019) et « Note de positionnement : La place du GNV/BioGNV dans la transition énergétique »
[14] La presse relaie l’étude de T&E :
Le Moniteur Matériels : « GNV : une ONG crée la polémique » (23 Septembre 2019)
Flotauto.com : « NOx et GNV : une étude fait polémique » (24 Septembre 2019)
[15] Le rapport de TNO du 8 Avril 2019
[16] Réponse de l’AFGNV à la publication de T&E (19 septembre 2019)
[17] La réponse de la NVGA : « Est-ce que les camions au gaz réduisent les émissions ? La réponse est : Oui »
[18] Le rapport de TNO du 29 Novembre 2018
[19] Le projet Équilibre a été lancé en 2016 pour évaluer comparativement les performances économiques et environnementales des véhicules diesels et gaz (Gaz Naturel Liquéfié et Gaz Naturel Compressé) en situation réelle d’exploitation
[20] Projet Equilibre : Analyse de la communication de T&E sur les émissions des poids-lourds GNL
[21] Projet Equilibre : Analyse des consommations et émissions de CO2 et NOX sur des poids-lourds GNV et Diesel
[22] Réponse de T&E – « Do gas trucks reduce emissions? Your questions answered ? »
[23] L’analyse du cycle de vie (AVC) « évalue les impacts environnementaux potentiels de différents moyens de transport routier en prenant en compte à la fois le cycle de vie du véhicule et le cycle de vie du carburant » (IFPEN)