L’influence du lobby écologiste sur le plan de soutien à la filière aéronautique

La pandémie de covid-19, obligeant les Etats à réduire les déplacements humains transfrontaliers, a durement touché l’industrie aéronautique. Cela explique l’aide publique en soutien à la filière dans cette période de récession. Mais ce plan de soutien répond également aux exigences des groupes écologistes qui ont su porter leurs revendications au sein de l’appareil d’Etat.

Un contexte inédit qui mêle critique écologiste et pandémie de Covid-19

Le 14 août 2019, la jeune militante écologiste suédoise Greta Thunberg, partait en voilier de Plymouth[i], en Angleterre, pour rejoindre le siège des Nations Unies à New York où avait lieu un sommet sur le climat. Cette démonstration a mis en lumière des mouvements comme « We Stay On Ground »[ii], qui militent pour changer les comportements vis-à-vis du transport aérien, dénonçant ses émissions de CO². En Suède, ce mouvement a pris le nom de « Flygskam » (littéralement, « la honte de prendre l’avion »), et s’est étendu en Europe[iii]. Cette idée s’est matérialisée en France dans les propositions de la Convention Citoyenne pour le Climat (CCC) ; « Organiser progressivement la fin du trafic aérien sur les vols intérieurs d’ici 2025, uniquement sur les lignes où il existe une alternative bas carbone satisfaisante en prix et en temps (sur un trajet de moins de 4h) », « Interdire la construction de nouveaux aéroports et l’extension des aéroports existants », « Taxer davantage le carburant pour l’aviation de loisir »[iv] entre autres.

Depuis le début de l’année 2020, la pandémie de Covid-19 a cloué au sol les avions du monde entier et a obligé les gouvernements à réduire les flux aériens[v]. Ce phénomène a fait baisser les commandes d’aéronefs auprès des constructeurs, comme Airbus et Safran[vi]. Il ne faut cependant pas confondre les deux phénomènes sous la dénomination de « crise ». Le premier s’envisage à moyen terme ; la critique du transport aérien, basée sur son empreinte écologique, date d’environ un an. Le second est un évènement mondial et imprévu qui explique l’aide publique auprès de la filière aéronautique (le plan aéro)[vii]. Autrement dit, la pandémie a généré le contexte dans lequel peut se développer le rapport de force.

Un match qui oppose industrie aéronautique et mouvements écologistes, arbitré par les pouvoirs publics

Le rapport de force présenté ici compte deux types d’acteurs qui s’opposent. D’un côté, l’industrie aéronautique française avec en tête Safran et Airbus, principaux constructeurs d’aéronefs[viii]. Elle est représentée par le GIFAS[ix]. Intimement liée à cette industrie, les compagnies aériennes sont représentées notamment à l’échelle mondiale par l’IATA[x]. Fin 2019, l’IATA envisageait une croissance des revenus issus du trafic passagers de 581 milliers de dollars. En l’espace de deux mois, l’IATA a revu ses prévisions à la baisse, et anticipait au mois de juin dernier une contraction de 55% des revenus passagers en 2020. Pour les industriels, un tel contexte entraîne une pression sur les prix de la part des compagnies, un risque de devoir repenser structurellement l’aménagement de l’aéronef, et une absence de commandes. Ces phénomènes sont supportables pour l’industrie à horizon de 2 à 3 ans[xi]. Au-delà, ils mettraient les industriels de l’aéronautique dans une situation particulièrement difficile. L’IATA estime un retour à la normale en 2023[xii].

De l’autre côté, on retrouve les groupes et associations écologistes. Cet écosystème est composé d’associations, notamment Greenpeace[xiii], le Réseau Action Climat[xiv], mais aussi de partis politiques (Europe Ecologie Les Verts), et jusqu’au sein de l’appareil d’Etat, au Ministère de la Transition Ecologique[xv] et de députés qui soutiennent ouvertement les projets écologiques[xvi]. Les mouvements écologistes sont d’autant plus présent qu’ils sont particulièrement représentés auprès des institutions européennes ; la European Federation for Transport and Environment, ouvertement hostile au transport aérien, est le cinquième groupe de lobbying le plus présent à la Commission Européenne[xvii]. Elle regroupe de nombreuses associations écologistes à travers l’Europe, dont certaines sont notamment financées par le secteur du ferroviaire.

Il faut mentionner une troisième catégorie, qui arbitre le match. Les pouvoirs publics ont en effet joué dans ce cas précis un rôle d’intermédiaire considérable, qui a permis à première vue d’allier au sein du plan de soutien pour l’aéronautique les intérêts de la filière à des conditions écologiques[xviii].

Des stratégies comparables qui s'appuient sur la communication et la représentation d'intérêt

Le rapport de force entre ces deux acteurs s’exerce notamment autour du « plan aéro » mais découle d’une plus longue campagne écologiste contre le transport aérien. En effet, la crise engendrée par le confinement à l’échelle mondiale et la fermeture des frontières a conduit le gouvernement à élaborer un plan de soutien pour la relance de l’industrie aéronautique, industrie certes polluante mais qui compte des entreprises qui sont les garantes de savoirs-faires français. Les négociations en vue de ce plan de relance ont réuni les entreprises concernées, le Ministère des Transports, le Ministère de l’Economie et des Finances mais aussi le Ministère de la Transition Ecologique. L’aide de l’Etat est donc conditionnée par des critères écologiques. La principale d’entre elles consiste notamment à mettre au point un avion « vert », qui utiliserait non plus le kérosène comme carburant mais un biocarburant, à l’horizon 2035[xix]. Une condition qui fait écho à la communication de Safran ou d’Airbus, qui ne cesse de mettre en avant leurs initiatives écologiques ou sociales[xx]. Cette communication peut être considérée comme une réponse directe aux mouvements écologiques qui dénoncent le transport aérien. Du côté de l’écologie, le rapport de force s’appuie sur deux processus. D’abord sur une stratégie médiatique, mise en œuvre par les associations qui organisent des évènements et publient du contenu qui vise les grandes entreprises[xxi] et les pressent à répondre. Ensuite sur une stratégie politique, qui consiste à initier des évènements comme la Convention Citoyenne pour le Climat, à se faire entendre à travers le Ministère de la Transition Ecologique, ou à capter des financements de la part des institutions européennes[xxii]. Décidée par le Président de la République, l’origine d’un évènement comme la CCC reste mal connue.

Du côté de l’aéronautique, la réponse s’organise surtout autour de la communication qui met en avant les progrès scientifiques du secteur vers un avion plus « vert ». Les recherches actuelles consistent notamment à alléger l’appareil afin de réduire la consommation de carburant[xxiii]. De même, le rôle des représentants d’intérêts et des groupes de représentation (GIFAS, IATA), permet au secteur aéronautique d’être présent sur le terrain politique.

Au regard de ces éléments, le rapport de force risque de se déplacer sur le terrain scientifique ; en effet, si les arguments écologiques ne suscitent pas le doute d’un point de vue scientifique, la R&D des entreprises de l’aéronautique semble s’être lancé le défi de concilier la réalité climatique et le transport aérien. Si les résultats restent incertains, c’est pourtant la solution optimale qui permettra aux hommes et aux marchandises de se déplacer sans allonger les temps de trajets.

Un affrontement qui peut encore évoluer

Le secteur de l’aéronautique bénéficie d’un plan de relance d’un total de 15 milliards d’euros. Celui-ci est organisé selon trois axes :

  • Premièrement, répondre à l’urgence en soutenant les entreprises en difficulté et protéger leurs salariés. Pour y répondre, les aides apportées dès le mois de mars continueront à pouvoir être utilisées, notamment les prêts garantis par l’Etat et le dispositif d’activité partielle. Par ailleurs, les garanties export permettront d’éviter les annulations et reports de commande.
  • Deuxièmement, investir dans les PME et ETI pour accompagner la transformation de la filière. Pour y répondre, un milliard d’euros sera engagé pour favoriser le développement et les consolidations des entreprises de la filière, ainsi que 300 millions d’euros de subventions pour accompagner les fournisseurs et sous-traitants de la filière.
  • Troisièmement, investir pour concevoir et produire en France les appareils de demain. Pour y répondre 1,5 milliards d’euros d’aides publiques viseront à soutenir la R&D et l’innovation de la filière sur les trois prochaines années. L’objectif est de faire de la France l’un des pays les plus avancés sur les technologies de l’avion propre[xxiv].

A court terme, l’industrie aéronautique semble avoir remporté l’affrontement puisque malgré les campagnes et les pressions écologistes contre le transport aérien, l’Etat a déployé une aide considérable pour la filière. Il faut aussi souligner que malgré les crises, le transport aérien a augmenté de manière régulière et jusqu’à présent. L’industrie n’a cependant pas eu à affronter une telle crise de la demande depuis trente ans.

 

 

Florine Moreau

 

Notes

[i] Il demeure qu’on ignore comment Greta Thunberg s’est rendue de la Suède à Plymouth.

[ii] We Stay on the Ground. « We Stay on the Ground: Flight 2020 ».

[iii] Slate.fr. « De plus en plus de personnes refusent de prendre l’avion pour protéger la planète ». Slate.fr, 22 mai 2019. .

[iv] https://propositions.conventioncitoyennepourleclimat.fr/objectif/limiter-les-effets-nefastes-du-transport-aerien/

[v] https://www.syndex.fr/sites/default/files/files/pdf/2020-06/Syndex_ConjonctureFiliereAero_Juin2020.pdf

[vi] Ibid.

[vii] « Présentation du plan de soutien à l’aéronautique ».

[viii] Airbus. « Airbus Home ». Consulté le 8 octobre 2020.. et Safran. « Safran ». .

[ix] GIFAS. « GIFAS : Groupement des Industries Françaises Aéronautiques et Spatiales ».

[x] « IATA ».

[xi] https://www.syndex.fr/sites/default/files/files/pdf/2020-06/Syndex_ConjonctureFiliereAero_Juin2020.pdf

[xii] Ibid.

[xiii] Greenpeace France. « Plan de soutien à l’industrie aéronautique : réaction de Greenpeace France ». Consulté le 8 octobre 2020. https://www.greenpeace.fr/espace-presse/plan-de-soutien-a-lindustrie-aeronautique-reaction-de-greenpeace-france/.

[xiv] « Climat : que vaut le plan du gouvernement pour l’aérien ? ».

[xv] Ministère de la Transition écologique. « Ministère de la Transition écologique ».

[xvi] « Trombinoscope députés climat | Accueil ». Consulté le 13 octobre 2020.

[xvii] « EU Integrity Watch: Monitor Potential Conflicts of Interests ».

[xviii] Plan de soutien à l’aéronautique & « Climat : que vaut le plan du gouvernement pour l’aérien ? ».

[xix] « Présentation du plan de soutien à l’aéronautique ».

[xx] Safran. « Un groupe écoresponsable », 22 octobre 2018.

[xxi] Observatoire des multinationales. « « Allô Bercy ? » Des aides publiques massives pour le CAC40, sans contrepartie ».

[xxii] « Campaigning for cleaner transport in Europe | Transport & Environment ».

[xxiii] Documentaire « L’avion du Futur » (Arte).

[xxiv]https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/DP%20-%20Plan%20de%20soutien%20a%CC%80%20l%27ae%CC%81ronautique.pdf

Articles similaires :

  1. Sur la colonisation des esprits en matière juridique
  2. La montée de l’influence turque dans les pays arabes
  3. Les héros Masha et Michka sont-ils vraiment une nouvelle stratégie de propagande russe ?
  4. Les stratégies d’influence sur l’expérimentation animale
  5. Analyse comparée des stratégies française et chinoise en matière de formation en Afrique