Cet été, la Premier League a mis son veto concernant le rachat du club du Nord de l’Angleterre par le Public Investment Fund, fond d’investissement saoudien, qui avait pour ambition de placer le club au sommet du football anglais et européen. Cette décision n’a pour autant aucun motif purement footballistique ou financier, mais est le résultat de luttes géopolitiques entre puissances du Golfe en quête de soft power.
Le rectangle vert, théâtre de l'affrontement entre Arabie-Saoudite et Qatar
Habitué aux investissements de mécènes, entrepreneurs ou entreprises privées, le football connaît une mue depuis les années 2010 avec l’arrivée d’Etats du Golfe dans l’actionnariat de certains clubs. Le dernier à vouloir y faire son entrée est l’Arabie Saoudite, en témoigne le rachat avorté de Newcastle United par le PIF (Public Investment Fund). Parmi ses principaux détracteurs, le Qatar, qui depuis 2017 fait l’objet d’un embargo terrestre, maritime et aérien par un quartet mené par l’Arabie Saoudite, auquel s’ajoute les Emirats Arabes Unis, l’Egypte et le Bahreïn. Ces alliés reprochent à l’émirat gazier de soutenir l’Iran et de financer des structures terroristes telles que l’Etat Islamique, Al-Qaïda et les Frères Musulmans. Il vise entre autres à rompre les principaux moyens de communication du Qatar, dont BeIN Sports fait office de figure de proue dans le domaine sportif.
BeOutQ vs BeIN Sports
La chaîne qatarie, qui détient les droits télévisuels de la Premier League à l’international, fait l’objet depuis août 2017 d’un piratage organisé par l’Arabie Saoudite, par le biais de la chaîne BeOutQ (signifiant Be Out Qatar), accessible du Moyen-Orient au Maghreb. En effet, le service de télévision pirate permet de diffuser gratuitement l’intégralité des dix chaînes présentes sur le catalogue de la chaîne BeIN Sports en quasi-direct, avec les commentaires des rencontres sportives et les pages de publicités remplacées, pour permettre d’amortir les coûts de piratage. La date du début du piratage n’est pas anodine et remonte au mois d’août 2017, seulement trois mois après l’arrêt des relations diplomatiques entre le Qatar et l’Arabie Saoudite et le début de l’embargo sur le Qatar. D’abord diffusée de façon quelque peu complexe, la chaîne BeOutQ est depuis disponible par satellite. En riposte, BeIN Sports dénonce dès mai 2018 l’opérateur Arabsat, ayant pour actionnaire majoritaire le gouvernement d’Arabie Saoudite, de sponsoriser la chaîne pirate, et d’utiliser son satellite BADR-4 pour la diffusion. Récemment, l’Organisation Mondiale du Commerce a donné raison au Qatar dans ce litige. Ce piratage de grande ampleur a des conséquences financières très importantes pour le diffuseur qatari. Le manque à gagner est très important, estimé à 1 milliards d’euros tous les 6 mois de diffusion de la chaîne pirate.
La contre-attaque qatarie dans le rachat avorté de Newcastle United
A l’annonce de la tentative de rachat de Newcastle par le fond souverain saoudien, BeIN Sports a alors fait pression auprès des instances anglaises pour démanteler cette opération, et mené une campagne d’influence. Son Directeur Général, Yousef Al-Obaidly a écrit à la Premier League : « Le danger de permettre l’acquisition d’une participation majoritaire dans un club de Premier League par ce qui s’avère être le gouvernement saoudien ne peut être ignoré étant donné les actions illégales passées et continues du pays. En tant que partenaire de longue date et grand investisseur en Premier League, nous vous exhortons à examiner attentivement toutes les implications de le faire ». Le diffuseur qatari a également pu bénéficier du soutien de nombreuses ONG dont Amnesty International, qui dénoncent la situation des droits humains en Arabie Saoudite, souligné par l’assassinat de Jamal Khashoggi et le conflit au Yémen depuis 2015.
Le Qatar a finalement obtenu gain de cause. Las d’attendre une réponse formelle, qui n’est jamais venue, de la part de la Premier League, le consortium d’investisseur mené par le PIF avait annoncé finalement renoncer au rachat du club. Cependant, le cirque médiatique n’en est pas moins terminé. Newcastle United et le PIF ont annoncé mener une procédure d’arbitrage contre la Premier League. Celle-ci est remise en cause pour avoir délibérément fait fuiter des informations concernant la procédure confidentielle pour décider de l’aval à donner au rachat du club du nord de l’Angleterre.
L'écosystème du football inscrit dans les plans stratégiques des pays du Golfe
Malgré la fin non concluante de ce processus de rachat, l’ambition saoudienne reste de devenir propriétaire d’un club de football à court terme. Newcastle n’était que la deuxième option du PIF, après une tentative de rachat infructueuse de Manchester United quelques mois auparavant. L’Arabie Saoudite n’est pas la seule à être intéressée par l’achat d’un club anglais, puisqu’une offre infructueuse a également été faite pour racheter Leeds United par le Qatar Sports Investments, le fond d’investissement qatari dédié au sport, également propriétaire du Paris Saint Germain.
Le football au cœur de la transition économique saoudienne
Cette volonté de rachat d’un club de football par Riyad fait partie d’une stratégie sportive globale. Depuis la nomination du Prince Mohammed Ben Salmane comme prince héritier en juillet 2017, l’Arabie Saoudite, longtemps absente de la sphère sportive internationale, cherche à rattraper son retard sur ses voisins, et devient désormais un acteur ambitieux du sport mondial. L’objectif, transcrit dans le plan Vision 2030, est d’améliorer l’image du pays tout en préparant la transition de son économie sur l’après-pétrole. Orientée sur plusieurs axes notamment le développement du tourisme et du secteur privé, l’accès des femmes au marché du travail ainsi que la préservation des ressources naturelles, le plan accorde une place importante à l’investissement sportif, et ce malgré la crise du Covid-19. Le football étant le sport le plus suivi du monde, celui-ci représentera la figure de proue de cette nouvelle ambition. La priorité est d’investir en Premier League, championnat le plus regardé au monde, pour bénéficier d’un maximum de visibilité.
Les précurseurs émiratis et qataris
L’Arabie Saoudite a ici une dizaine d’années de retard sur ses deux principaux concurrents, le Qatar et les Emirats Arabes Unis. Si ces deux pays ont mené une campagne massive de sponsoring auprès des clubs européens aussi bien par Fly Emirates que Qatar Airways, ces deux pays ont investi massivement, dans une perspective de soft power.
En 2008, Manchester City est racheté par le Cheick Mansour, membre de la famille royale d’Abu Dhabi pour une somme de 232 millions d’euros. Plus d’une décennie plus tard, ce club historiquement habitué au ventre mou du championnat, est devenu un mastodonte sur la scène nationale et européenne. Ayant investi 1,5 milliards d’euros en douze ans, le club a redéfini les standards économiques non pas seulement en achetant des stars planétaires à coups de millions mais également en construisant une multinationale, le City Football Group, dont Manchester City en est la tête. L’Abu Dhabi United Group, qui détient le groupe, est devenu propriétaire d’une dizaine de clubs situés aux quatre coins du globe avec l’AS Nancy-Lorraine comme dernier achat. Ces clubs satellites ont pour objet principal de faire grandir les joueurs pour qu’au final les meilleurs d’entre eux puissent rejoindre Manchester City, le club phare.
Le Qatar a quant à lui une stratégie différente mais également plus agressive. Il est devenu propriétaire du Paris Saint Germain en 2011 et a fait grandir le club pour en faire un finaliste de Champions League, porté par des investissements stratosphériques soulignés par le transfert de Neymar en 2017, joueur le plus cher de l’histoire. Cependant, l’investissement qatari ne s’arrête pas aux clubs mais s’étend à la diffusion – par BeIN Sports – et l’organisation d’évènements sportifs. L’obtention controversée, sous forme de soupçons de corruption, de la Coupe du Monde de la FIFA en 2022 symbolise la réussite de cette stratégie.
Des résultats en demi-teinte
Si ces investissements de ces deux puissances ont permis de faire briller leurs clubs dans leurs championnats respectifs et d’accroître considérablement la visibilité de ces pays du Golfe, aucun d’entre eux n’a pu pour l’instant décrocher la Ligue des Champions, la compétition la plus prestigieuse. De plus, l’objectif principal de ces initiatives n’est pas atteint. Ces pays souffrent d’une image toujours dégradée auprès des spectateurs, notamment du fait du conflit au Yémen débuté en 2015 et la place des droits de l’Homme dans leurs sociétés. Ces mêmes critiques pleuvent également sur l’Arabie Saoudite, et pourraient entraver la perspective d’un rachat d’un club, mettant un frein à leurs velléités sportives.
Thibault Menut
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