La question de l’indépendance en Nouvelle-Calédonie : une nouvelle porte d’entrée pour la Chine dans le Pacifique Sud
Archipel stratégique du Pacifique Sud, la Nouvelle-Calédonie est l’objet de nombreuses convoitises, notamment de la part de la Chine. Son éventuel accès à l’indépendance permettrait de rebattre les cartes des relations géopolitiques et économiques dans la région, devenue le théâtre de luttes d’influence entre les grandes puissances mondiales. Dans les années 1980, la Nouvelle-Calédonie connait une escalade de violence entre opposants et partisans de l’indépendance.
L’archipel est en effet un territoire français, qui possède aujourd’hui le statut de collectivité, et dont la population est composée essentiellement de Kanaks (peuple autochtone) et d’européens. En 1988, les accords de Matignon prévoient donc la tenue d’un référendum d’auto-détermination, au terme d’une période de transition de dix ans. Finalement l’accord de Nouméa est signé en 1989, entre l’État, les loyalistes et les indépendantistes. Le référendum initial est reporté à 2018 au plus tard, et pourra être suivi de deux autres votes en cas de rejet de l’indépendance. À la question « Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante ? » (1), le non l’emporte successivement à 56,40% en novembre 2018 puis 53,26% en octobre 2020. Un troisième référendum devrait suivre d’ici deux ans, mais le résultat reste à ce jour très incertain. Les enjeux liés à ce processus d’indépendance sont nombreux, tant sur le plan économique que social ou politique.
La question économique en suspens
La Nouvelle-Calédonie est le troisième producteur de nickel dans le monde (2). Elle représente de ce fait un atout non négligeable pour la France, qui a investi massivement dans la construction d’usines d’extraction. Grâce à son statut de collectivité française, la Nouvelle-Calédonie bénéficie par ailleurs d’importantes aides publiques au développement de la part de Paris. Mais selon l’économiste Olivier Sudrie, « l’indépendance économique sera extrêmement difficile à obtenir » (3). La question est pourtant assez peu évoquée dans les débats et les discussions autour des référendums d’autodétermination. « Les Calédoniens ne sont pas réceptifs au discours économique, pour des questions historiques, anthropologiques » (4) explique Bastien Vandendyck, spécialiste des questions mélanésiennes. En effet dans les deux camps, le discours se situe sur le plan de l’affect : on cherche à toucher l’électorat et les indécis, afin de les mobiliser dans un camp ou dans l’autre. Les unionistes jouent notamment sur l’accentuation des risques ; par exemple, la perte de nationalité française.
Concrètement, la Nouvelle-Calédonie est déjà dans une situation délicate qui ne s’est pas arrangée avec la crise sanitaire. En cause, la volatilité des taux du nickel, qui est pourtant le principal pilier de son économie ; le manque d’investissements étrangers, lié à l’incertitude économique ; enfin, les inégalités sociales et économiques entre les trois provinces. Tout ceci a conduit à une forte baisse de croissance du PIB depuis près d’une décennie. De plus, le passage à une monnaie souveraine en cas d’indépendance entrainerait probablement une forte dévaluation monétaire accompagnée d’un choc économique.
Néanmoins, chaque camp a sa théorie quant à l’évolution de la situation économique en cas de vote de l’indépendance. Les unionistes y voient une porte ouverte pour Pékin. Les indépendantistes ont conscience de la fragilité économique de la Nouvelle-Calédonie, mais ils voient dans la Chine un partenaire incontournable qui leur permettrait de compenser la perte de revenus liée à la rupture avec la France. « Nous n’avons pas peur de la Chine. C’est la France, pas elle, qui nous a colonisés. » (5) argumente le chef kanak indépendantiste Roch Wamytan. Pékin apparait ainsi comme un bienfaiteur aidant à la libération colonialiste.
La nouvelle cible de Pékin dans le Pacifique Sud
Dans le cas d’un troisième référendum favorable à l’indépendance, la Nouvelle-Calédonie perdrait au moins une partie du soutien financier français. Dans l’état actuel des choses, deux alternatives probables se dessinent. La première solution serait une hausse conséquente de la fiscalité, avec un impact inévitable sur le plan social. La deuxième option, redoutée et dénoncée par les unionistes, serait que la Chine étende son influence sur une Nouvelle-Calédonie indépendante, renforçant ainsi son hégémonie sur la région. On observe déjà un intérêt croissant de Pékin pour l’archipel calédonien. Ainsi, le groupe brésilien Vale, qui détient l’Usine de Nickel du Sud à 80%, est actuellement en pleines négociations pour le rachat de celle-ci. Pour le moment, les négociations n’ont pas abouti, et la Chine commence à s’y intéresser ouvertement.
Si la priorité de Pékin reste le contrôle des deux mers de Chine, la richesse du Pacifique Sud en ressources naturelles attise toutefois son intérêt. Ainsi, pour ne citer qu’un seul exemple, le Vanuatu est passé sous la domination économique de la Chine depuis sa prise d’indépendance en 1980 (ports en eaux profondes, réseaux de télécommunications, infrastructures, etc.). La Chine voit donc dans les référendums calédoniens l’opportunité d’étendre davantage son influence sur la région. Sans la protection de la France, le rapport de force serait clairement défavorable à la Nouvelle-Calédonie, qui n’a pas les moyens économiques et stratégiques de se défendre. La Chine « trouve également dans ces capitales océaniennes d’opportuns appuis diplomatiques pour ses politiques internationales, particulièrement pour l’élaboration de ses Nouvelles Routes de la Soie. » (6). Au-delà de la question économique, il y aurait donc un certain nombre de retombées géopolitiques sur la région.
À l’heure actuelle, on ne peut que spéculer sur l’avenir de la Nouvelle-Calédonie. Les problèmes internes liés à l’indépendance sont encore nombreux, ne serait-ce que sur le plan social. Mais l’expansion de l’influence chinoise sur l’archipel semble inévitable en cas de victoire du « oui » à l’éventuel prochain référendum. Il serait intéressant à ce propos d’analyser si des entités chinoises ou appartenant à la diaspora ont entamé des procédures d’approche vers les milieux indépendantistes locaux. Les jeux d’influence de puissance étrangère auprès de certains cadres du milieu indépendantiste kanak ont déjà été détectés dans les années 80/90.
Pour la France, l’indépendance de la Nouvelle Calédonie représenterait une perte stratégique conséquente. Elle marquerait également l’échec d’une partie du projet d’axe indopacifique, pensé par le Président Emmanuel Macron afin de préserver le multilatéralisme dans la région, face aux velléités chinoises.
Anne-Laure Michaux
- « Décret n° 2018-457 du 6 juin 2018 portant convocation des électeurs et organisation de la consultation sur l’accession à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie », 7 juin 2018.
- https://fr.statista.com/statistiques/565212/principaux-pays-producteurs-de-nickel/
- Olivier Sudrie, économiste spécialiste de l’outre-mer, cité dans « Nouvelle-Calédonie : « L’indépendance économique sera extrêmement difficile à obtenir » », Franceinfo, 3 mai 2018.
- Bastien Vandendyck, analyste en relations internationales et spécialiste des questions mélanésiennes, cité dans « Nouvelle-Calédonie : l’économie grande absente de la campagne référendaire », Les Échos, 4 août 2020.
- Roch Wamytan, président du Congrès de Nouvelle-Calédonie, cité dans « La Chine lorgne la Nouvelle-Calédonie et ses réserves de nickel », Le Monde, 2 octobre 2020.
- Bastien Vandendyck, « Opinion | Référendum : les Calédoniens jouent leur avenir et celui du projet d’axe indopacifique », Les Échos, 30 septembre 2020.