En juin 2019, le gouvernement italien, et plus particulièrement la Ligue, se remémore une idée déjà présente dans le programme du parti en 2017 : les mini « Buoni ordinari del Tresoro », plus connu sous le nom de MiniBots, œuvre de l’économiste et député de la Ligue président de la puissante commission du budget, Claudio Borghi. Le projet MiniBot est voté par toutes les grandes forces politiques du pays, même par le parti d’opposition, le parti démocrate de Nicola Zingaretti, équivalent italien de la République en marche (1). Réponse du berger à la bergère, il se trouve que la Commission a ouverte en mai une procédure contre l’Italie pour déficit excessif. C’est un séisme en Italie comme en Europe et le début d’une crise grave, pourtant, elle sera bien moins médiatisée que le conflit d’octobre 2018 sur le budget qui a une importance bien plus modeste.
Qu'est-ce qu'un MiniBot ?
La réponse de Draghi en conférence de presse ne se fait pas attendre, il déclare le 6 juin « Soit les MiniBots sont de la monnaie, auquel cas ils sont illégaux, soit c’est de la dette et alors l’endettement italien va encore augmenter. » Mais pourquoi diable une telle réaction européenne ? Pour le comprendre il faut au préalable comprendre les MiniBots. L’idée de Borghi est simple, l’État italien doit environ 50 milliards d’euros aux entreprises italiennes, soit 3% du PIB, il n’est pas possible de payer ces entreprises sans faire exploser le déficit italien et les entreprises italiennes lésées refusent de payer leurs impôts tant que l’État n’a pas régularisé, pour résoudre ce problème l’Italie va titriser cette créance. Les mini bons ordinaires du Trésor permettent à l’Italie de régulariser sa situation avec les entreprises italiennes qui sont payées en MiniBots et qui en retour règlent leurs impôts en MiniBots avec des bons allant de 5 à 500 euros (comme pour les coupures d’une monnaie…) (2). Jeu à somme nulle donc ? Pas du tout, parce qu’il s’agit d’un plan de relance déguisé, ces entreprises ne devant pas 50 milliards d’impôts à l’État, elles pourront utiliser leurs bons auprès d’autres entreprises italiennes qui payent des impôts mais qui ne sont pas créditrices de l’État. Cela signifie que les italiens en plus de mettre en place une politique de relance tant souhaité par le Gouvernement Conte et en partie refusé par la Commission, mettent en place une monnaie fiscale qui, si elle n’est pas encore une vraie monnaie, pourrait d’un trait de plume le devenir. C’est cette dernière raison qui rend fou de rage les institutions européennes, les Italiens mettent ainsi à leur disposition une arme de négociation massive, voir une arme de destruction monétaire massive (3).
Panique en Euroland
Le réveil en Europe est brutal, la Banque centrale européenne comme la Commission ne se méprennent pas, l’Italie vient de mettre en place un outil qui, s’il n’est pas illégal du point de vue du droit européen, peut faire exploser la zone Euro. La stratégie italienne qui consistait à faire profil bas le temps de préparer la venue des MiniBots a parfaitement fonctionné, les erreurs de 2018 n’ont pas été oubliées. L’Europe s’est laissé endormir par les promesses italiennes, la concentration des objectifs sur la politique migratoire et l’affaire du budget qui est passé pour un compromis au goût de victoire à Bruxelles. L’UE et ses institutions n’ont rien préparé et seront contraintes de subir les assauts italiens comme les autrichiens à Pastrengo. Pourtant ce ne sont pas les prémices qui manquaient, Borghi avait déjà parlé de son souhait d’instauré les MiniBots et le journaliste financier du Telegraph, Ambrose Evans-Pritchard en parlait dès mai 2018 {VII} ! L’Italie n’est pas la Grèce et Salvini certainement pas un nouveau Tsípras, son mandat ne lui permet pas de sortir de l’Euro mais son euroscepticisme n’était un secret pour personne. L’Europe a commis une grave erreur en sous-estimant le gouvernement italien et est désormais prise dans une position délicate. En effet, un conflit ouvert peut provoquer une sortie de l’Italie, qui n’aurait qu’à donner un pouvoir libératoire accru aux MiniBots pour les transformer en une monnaie nationale. Mais l’Union européenne ne peut pas non plus laisser l’Italie agir impunément, cela provoquerait un dangereux précédent qui pourrait donner des idées, voire des envies, aux Espagnols ou aux Français.
Autre problème, comment engager un rapport de force avec des autorités taliennes qui jurent qu’il ne s’agit en aucun cas d’un moyen de sortir de la zone Euro, mais seulement de régulariser la situation italienne avec ses entreprises, l’Union Européenne risque de passer pour la méchante de l’histoire. Ce n’est pas tout, les italiens prétendent aussi suivre une recommandation de Mario Draghi, président de la BCE qui encourageait quelques années auparavant les États membres à appuyer la politique monétaire européenne avec… la politique budgétaire. De plus, le spread, qui en Europe est l’écart de taux d’intérêt entre les bons du trésor allemand et italien s’accroît dangereusement du fait de l’annonce des MiniBots, ce qui menace la solvabilité de la dette italienne et donc, la survie de la zone Euro. Ce spread est un élément essentiel de la défense improvisée européenne, l’Europe réagit en menaçant de laisser les taux d’intérêts italiens filer en ne soutenant plus la dette italienne par des politiques d’achat, ce qui ferait porter la responsabilité d’une banqueroute sur le Gouvernement Conte et plus particulièrement Salvini qui n’a pas de mandat pour sortir de l’Euro. Cette perspective fait paniquer le parti démocrate qui retire son soutien au projet MiniBot, Bruxelles joue habilement des dissensions italiennes et accuse Salvini de chercher à détruire la construction européenne (4).
Fin d'une idylle romaine
Le projet MiniBot peine à se concrétiser, le parti démocrate qui a retiré son soutien au projet de peur d’une sortie de l’Union européenne, est rejoint par une partie des élus du M5S dont Di Maio qui se montrent également réticents à la mise en place d’une mesure qui pourrait conduire à une sortie de la zone Euro. Un double conflit s’installe, externe, avec l’Union européenne mais qui n’a jamais réellement disparu depuis l’élection de mars 2018, et interne, entre eurosceptiques et europhiles. La coalition italienne, dont Salvini est devenu l’homme fort suite aux élections européenne vacille, le M5S qui s’effondre électoralement devient un boulet qui l’empêche de mettre en place les politiques qu’il désire. En août, la coalition (5) explose sous les coups de Salvini qui prêche pour de nouvelles élections, mais le pouvoir de dissoudre le Parlement appartient au président Matarella qui est loin d’apprécier le président de la Ligue et sa volonté d’obtenir un mandat en vue d’un potentiel Italexit. La mise en place des élections traine, le Parlement n’est pas dissout et une nouvelle coalition prend le pouvoir entre le M5S et le parti démocrate, c’est le deuxième gouvernement Conte (6). Le Covid empêche pour l’instant la mise en place d’élections anticipées, et ce nouveau pouvoir qui ne devait être qu’intermittent se range du côté de Bruxelles qui remporte une victoire en rase campagne face à la Ligue, pour cette dernière Pastrengo se mue en Caporetto. De son côté, Merkel sort renforcée de ce deuxième conflit, Salvini est parti, l’Europe a tenu, les MiniBots n’ont pas été mis en circulation et ce nouveau gouvernement est bien plus favorable à l’Union européenne.
Tout ça pour ça ?
Pas vraiment, car si le projet des MiniBots n’a pas vu le jour au pays de Machiavel, la Lega de Salvini, Fratelli d’Italia de la sulfureuse Giorgia Meloni, Forza Italia du Cavaliere Berlusconi ou encore Italexit de Gianluigi Paragone qui rassemblent environ 50% des voix aujourd’hui sont favorables aux MiniBots (7). Qui plus est, dans une période ou le Covid-19 a fortement touché le pays, où l’économie est sinistrée et les problèmes de trésorerie colossaux pour les entreprises italiennes, les MiniBots pourraient soulager les tourments nationaux et favoriser une reprise. À cela se rajoute la forte poussée eurosceptique en Italie liée à la gestion européenne de la pandémie, certains sondages donnent la majorité des italiens favorables à une sortie de l’Union européenne et Salvini lui-même a précisé qu’il serait parfaitement compréhensible de lancer un référendum sur la sortie de l’UE en Italie. Le plan de relance européen, plus que favorable à l’Italie qui est le pays qui empoche le plus de fonds (80 milliards), alors que selon les prévisions économiques elle serait moins touchée que la France (qui empoche 40 milliards) dévoile la nouvelle stratégie européenne (8). Il est plus que probable que cette générosité envers l’Italie soit liée à une volonté de calmer les italiens, et de redonner de la légitimité à un Gouvernement Conte, affaibli par la crise et qui a fait savoir que si l’Union Européenne n’aidait pas l’Italie, elle trouverait des moyens de s’en sortir par elle-même. La présence là encore des MiniBots, plane sur l’échiquier politique européen et un retour probable au pouvoir d’une coalition eurosceptique menée par Salvini dans les trois ans qui arrivent ne manquera pas de les rappeler à notre souvenir, à moins que la coalition actuellement au pouvoir accède aux désirs de l’opposition et ne les mette en circulation pour revigorer une économie sinistrée comme le réclame à grands cris Claudio Borghi, ce serait alors un grand pas vers la fin de l’Euro.
Julien Cossu
Notes explicatives de la photographie d'illustration
1 : L’homme sur le MiniBot de 100 euros est Enrico Mattei, patron charismatique de l’ENI qui a tenté d’assurer l’indépendance énergétique de l’Italie en s’opposant aux sept sœurs du pétrole, expression qu’il a popularisé. Il est mort dans un accident d’avion en 1962, peut-être assassiné.
2 : Le MiniBot de 5 euros représente Marco Tardelli, footballeur italien des années 70/80, connu pour son but en final de la coupe du monde 1982 remporté par l’Italie contre… l’Allemagne, probablement un hasard.
Notes du texte :
2- Les MiniBots
3- Les MiniBots expliqués par Jacques Sapir