L’Organisation Mondiale de la Santé doit-elle rendre des comptes sur l’influence chinoise dans ses rangs

Il est bon de se rappeler la déclaration du président es Etats-Unis du 7 avril 2020, lorsque Donald Trump a menacé de suspendre la contribution américaine à l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). Selon lui, l’OMS a eu une gestion de crise très favorable à la Chine et a en outre commis de nombreuses erreurs d’appréciation. La question du comportement de l’OMSD lors de la crise de la covid-19 reste un sujet hautement d’actualité.

La pandémie de Coronavirus n’a pas permis un apaisement des tensions entre les Etats-Unis et la Chine. Au contraire, une guerre informationnelle autour de l’origine de ce virus s’est ajoutée à la guerre commerciale opposant les deux puissances. Ce coup d’éclat s’inscrit dans cet affrontement sino-américain sur le terrain informationnel.

Il relève aussi d’une stratégie du président américain de détourner l’attention de sa mauvaise gestion de crise.

Enfin, il doit être analysé au regard de deux évolutions à l’œuvre sur l’échiquier international :

  • Un rejet du multilatéralisme par le président Donald Trump ;
  • Une influence croissante de la Chine, mais pas nouvelle, dans le système onusien.

Gestion de crise américaine : une logique unilatérale

La gestion de crise par les Etats-Unis a révélé l’absence de leadership et la primauté de la méthode unilatérale américaine promue par Donald Trump depuis son élection.

De fait, Donald Trump s’est retiré des traités signés par Washington tels que l’accord de Paris sur le climat en 2019, l’accord sur le nucléaire iranien en 2018, le texte conclu avec la Russie sur la limitation des armements nucléaires en 2019, et a bloqué la nomination des juges américains à l’OMC en 2019, ce qui a paralysé l’organe de règlement des différends de l’institution.

Dans une allocution du 11 mars, les Etats-Unis ont pris la décision de fermer leurs frontières aux ressortissants de l’Union européenne sans avoir au préalable concerté ses alliés européens. Cette décision a été critiquée par l’OMS, considérant que les mesures restrictives à l’encontre des biens et des personnes pourraient être inefficaces et affecter l’économie des pays concernés.

En outre, les Etats-Unis ont perdu leur rôle de premier plan dans cette gestion de crise mondiale au profit de la Chine. De fait, cette dernière apporte un soutien aux pays confrontés à une pénurie de matériels médicaux et de masques. Cette aide incontestablement utile est mise en scène par la Chine qui tient à souligner la faiblesse du modèle occidental qui apparait dépendant et désuni. Elle vise également à masquer les déficiences de sa propre gestion de crise et sa responsabilité dans la genèse du virus.

Thomas Gomart considère à ce titre que cette crise est « la première d’un monde post-américain ».

En somme, au travers de cette crise, la Chine promeut la supériorité de son modèle politique fondé sur l’alliance entre un pouvoir fort et un libéralisme économique sur celui des démocraties libérales, tandis que les Etats-Unis poursuivent une logique unilatérale et de repli.

Une gestion de crise par l'OMS favorable à la Chine ?

Le manque de réactivité de l’OMS est dénoncé par le président américaine et d’autres acteurs de la société civile :

  • Elle a tardé à reconnaitre la transmission d’homme à homme, malgré des signaux évidents et une alerte des autorités de Taiwan, du fait de son statut de province chinoise. Elle s’est contentée de relayer les informations des autorités chinoises jusqu’au 23 janvier.
  • D’après des informations rapportées par le Monde, lors d’une réunion à l’OMS relative à la crise du Corona virus les 22 et 23 janvier, un représentant chinois aurait exhorté le directeur général à ne pas déclarer une situation d’urgence nationale. Une telle déclaration aurait eu pour effet d’entrainer des restrictions sur les marchandises, les personnes et les transports, ce que la Chine voulait éviter. Pour l’OMS, il était nécessaire de trouver un compromis avec la Chine pour permettre à une délégation officielle de se rendre en Chine et acquérir ainsi une meilleure connaissance de l’épidémie. La mission internationale d’experts de l’OMS est arrivé sur le terrain le 13 février, soit un mois et demi après le premier signalement chinois.
  • L’OMS a également tardé à déclarer la situation de pandémie mondiale.

Enfin, le directeur général de l’OMS a apporté son soutien aux mesures prises par la Chine tout au long de la crise, ce qui a évidemment nourrit les accusations de collusion avec la Chine.

A la lumière de ces éléments, il semble qu’il y ait eu une volonté de minimiser la gravité de la crise à des fins éventuelles d’éviter un effet de panique.

Il est donc légitime d’interroger l’influence qu’a pu exercer la Chine sur l’OMS.

Une Chine plus influente au sein des instances onusiennes

L’OMS ne dépend pas financièrement de la Chine qui finance l’institution à hauteur de 86 millions de dollars en 2019 sur un budget de 3,8 milliards de dollars Les Etats-Unis sont les premiers contributeurs bien au-delà de la Chine. Le facteur financier ne permet donc pas d’expliquer la sollicitude de l’OMS à l’égard de la Chine.

La Chine exerce un lobbying croissant sur les organes de l’ONU. Elle est désormais le deuxième contributeur de l’ONU. En 2019, quatre agences sur les quinze agences que comptent l’ONU étaient dirigés par des ressortissants chinois. La Chine protège ses intérêts économiques et politiques à l’étranger à travers la participation active à des opérations de maintien de la paix.

Par ailleurs, sur le plan des droits de l’homme, elle n’adopte plus une stratégie défensive pour faire taire les critiques sur son bilan critique. Sa stratégie consiste désormais à  imposer ses propres valeurs. En 2014, la Chine a eu l’initiative d’une résolution adoptée par le Conseil des droits humains « la contribution du développement au bénéfice de tous les droits de l’homme » qui met en avant le principe de non-ingérence très cher à la Chine.  Enfin, le Haut-Commissariat aux réfugiés soutient l’initiative chinoise des nouvelles routes de la soie, alors que là aussi sa contribution est marginale.

En parallèle, la Chine œuvre également à créer un multilatéralisme sous son leadership. A ce titre, la Banque asiatique d’investissement vise à concurrencer le FMI et l’Organisation de coopération de Shanghai a des objectifs similaires à ceux de l’OTAN relatifs à la sécurité mutuelle des Etats membres.

Il semblerait que la Chine par son poids économique et géopolitique et par le biais d’un lobbying auprès des instances onusiennes parviennent habilement à imposer ses valeurs et ses positions.

Le même mécanisme a pu être à l’œuvre concernant la gestion de crise du Corona virus.

Cette crise révèle l’évolution en cours des rapports entre les deux puissances et pourrait même l’accélérer.

 

Sophie Guldner