La polémique sur le travail des enfants pour produire le cacao ivoirien

Le cacao ivoirien représente environ 40% des parts du marché mondial et 10% du PIB du pays, selon la dernière estimation de la Banque mondiale. L’or brun représente aussi les deux tiers des emplois et des revenus de la population du pays. Néanmoins, de nombreuses familles agricoles font toujours face à une pauvreté persistante avec moins d’un dollar par jour de revenu. Cette situation est liée, en partie,  aux cours du cacao sur le marché international dont les règles échappent totalement à la Côte d’Ivoire. C’est le combat permanent entre les producteurs et les chocolatiers. Le sujet favori trouvé en Côte d’Ivoire pour mener cette bataille fortement médiatique porte sur le travail des enfants dans les plantations de cacao.  Il est mené par les États-Unis, à travers différents supports (média, élus, ONG, etc..), considérés par certains Africains comme des écrans de fumée masquant les intentions réelles des vrais maîtres d’ouvrage, tapis dans l’ombre.

Face à des menaces d’embargo incessantes de la partie américaine, les initiatives ivoiriennes se multiplient pour apporter de la lumière sur une affaire nuisible à l’économie locale. Les activistes américains Dans un contexte de montée en puissance de la guerre commerciale contre le premier producteur mondial du cacao, les activistes nord-américains ont amené, cette semaine, les autorités ivoiriennes à sortir de leur réserve.

Une escalade d'accusations contre la Côte d'Ivoire

Le dossier est ancien aux Etats-Unis. Mais il a été ravivé en juin 2019, lorsque le Washington Post a publié un article « Cocoa’s child laborers », d’ONG, sur des enfants burkinabés travaillant dans des plantations de cacao en Côte d’Ivoire. Les ONG sont Corporate Accountability Lab, International Rights Advocates and Civil Rights Litigation Clinic at University of California at Irvine School of Law. Dans le dossier que ces ONG ont remis au Washington Post, se trouveraient des vidéos et enregistrements témoignant d’enfants travaillant sur les fermes en Côte d’Ivoire. Leur objectif : interdire l’entrée aux États-Unis des fèves de cacao ivoiriennes provenant du travail forcé. Ces associations voudraient que la charge de la preuve d’un cacao non produit par du travail forcé d’enfant repose sur l’industrie, notamment Nestlé, Mars, Hershey et Mondelez. L’industrie devrait apporter ces preuves d’ici le mois d’août, sinon le cacao importé de Côte d’Ivoire devrait être bloqué à la douane.

Cette campagne a provoqué une onde de choc. « 85% des enfants impliqués dans la culture du cacao vont à l’école, ils vivent avec leurs parents et vont occasionnellement au champ », contre-attaque Dominique Ouattara qui a conduit une mission d’urgence aux Etats-Unis, en septembre 2019. Ron Wyden et Sherrod Brown n’en démordent pas pour autant . Ils demandent que des enquêteurs américains soient missionnés en Côte d’Ivoire, avant la fin de l’année.

Une enquête qui sera menée par l'accusation, une affaire de juge et partie

Pour adresser la question du travail des enfants dans la cacoculture, la Côte d’Ivoire a signé un accord de partenariat avec les États-Unis pour, dit-on de source officielle, enquêter sur les  »pires formes de travail des enfants » dans les zones de production cacaoyère. Signé entre le Comité National de Surveillance des actions de lutte contre la traite, l’exploitation et le travail des enfants en Côte d’Ivoire (CNS) et l’Institut de recherche NORC de l’Université de Chicago, cet accord qui s’étend de 2018 à 2019, devait permettre d’établir l’incidence du travail des enfants dans les zones de productions cacaoyères.

« La signature de cet accord aujourd’hui réaffirme notre engagement à travailler ensemble et à faire le nécessaire pour veiller à ce que les enfants ne soient pas exploités ni mis en danger dans la production du cacao », a déclaré David G. Mosby, premier secrétaire de l’ambassade des États-Unis à Abidjan lors de la cérémonie de signature de l’accord. Selon lui, cette coopération entre la Côte d’Ivoire et les Etats-Unis devait permettre de procéder à une  »étude techniquement valable, juste et objective » en matière de travail des enfants dans la cacao-culture. Une idée qu’approuvent les autorités ivoiriennes qui estiment que les résultats issus de cette enquête leur permettront de mieux orienter les campagnes de sensibilisation en direction des couches touchées par le travail des enfants.

Selon  Dominique Ouattara,la présidente du CNS de Côte d’Ivoire, l’enquête était aussi un moyen de faire un état des lieux de la lutte engagée par son pays contre ce mal. Ce projet d’enquête était soutenu par le département du Travail des Etats-Unis d’Amérique  pour la lutte contre le travail des enfants (USDOL) . D’après les termes du partenariat, les parties prenantes travailleront conjointement sur tous les aspects de la méthodologie de l’enquête, et apporteront leur expertise commune à chacune des étapes de la recherche.

La polémique sur le travail des enfants ivoiriens 

le 6 août 2019, la veille de la fête de l’indépendance, le président ivoirien ouvre le bal sur la Radio Télévision Ivoirienne (RTI) par une annonce inattendue : « Nous n’allons pas vendre la récolte de 2020-2021 à moins de 2600 dollars la tonne. Et nous aurons une marge de 400 dollars, pour nous assurer de reverser aux producteurs un minimum de montant.» il y aura bien un prix plancher pour les cacaos ivoirien et ghanéen…  Les acheteurs ont compris ».

« L’industrie du cacao et du chocolat veut voir les enfants à l’école et non travailler dur sur les fermes, et elle travaille depuis des décennies avec les gouvernements ouest-africains pour réduire le travail des enfants dans la chaîne de valeur. Les résultats sont mitigés, ce qui signifie que nous avons besoin, de façon urgente, d’adopter une approche nouvelle afin de régler le problème », déclare le patron de la WCF dans une tribune publiée sur fooddive.com.

A la suite de cette déclaration, en février 2020, La Fondation Mondiale du Cacao monte au créneau pour dénoncer des menaces inopportunes et contre-productives des Etats-Unis d ‘Amérique. Le président de la Fondation Mondiale du Cacao (World Cocoa Foundation, WCF), Richard Scobey, a appelé le gouvernement des Etats-Unis à ne pas interdire les importations de cacao de Côte d’Ivoire.  « Cet appel irresponsable, de US Customs and Border Protection, pour une interdiction américaine à l’importation de cacao de Côte d’Ivoire va dégrader la situation plus que l’aider », selon une déclaration de Richard Scobey dans le Wasinghton Post et rapportée par The Seattle Times.

Le risque de déstabilisation de l'économie ivoirienne

Si les Etats-Unis interdisent l’importation de ce cacao, « cela pousserait des millions de fermiers pauvres dans encore plus de pauvreté, bien que la grande majorité est innocente de telles pratiques ; cela risque de porter atteinte à l’économie et à la sécurité d’un partenaire vital des Etats-Unis en Afrique de l’Ouest. » Et Richard Scobey de rappeler que l’industrie du chocolat a investi plus de $ 215 millions dans la lutte contre le travail des enfants. Avec des résultats : selon l’International Cocoa Initiative, le travail des enfants a chuté d’environ 50% parmi ceux identifiés par le programme.

Aussi le monde scientifique s’invite-t-il  dans le débat à travers une publication de la socio-anthropologue Clarisse Buono,  et  du sociologue Alfred Babo. Ces derniers ont mené une étude  qu’il ont publiée sur le travail des enfants en Côte d’Ivoire. Selon les résultats de leur étude, après d’une dizaine d’années de mobilisation, le problème du travail des enfants dans les communautés productrices de cacao reste entier, notamment en Côte d’Ivoire. Les enfants continuent d’aller aux champs avec leurs parents dans les communautés, sensibilisées ou non. L’étude établit que le travail des enfants relève de la pratique sociale de la vie quotidienne dans le milieu rural. Cette perception entre en décalage avec les normes internationales sur les notions d’enfance, de travail et de protection sociale. Si le travail est un maillon incontournable du processus de socialisation de l’enfant dans les communautés ivoiriennes, on note que, pour l’essentiel, il ne se départit pas de la manipulation permanente des instruments des savoirs économique (machette), social (« bic ») et culturel (balai). Participation aux travaux des champs, aux travaux domestiques et à l’éducation scolaire moderne sont les éléments d’un tout indissociable. Ils permettent à l’enfant de s’assumer dans sa famille et de s’assurer un futur. Sous cet angle, les normes internationales ne sont guère adaptées et leurs retombées gagneraient à s’imprégner davantage des normes de vie dans les communautés qu’elles ont à cœur de vouloir accompagner.

Le contre polémique ivoirienne

Ce lundi 26 mai 2020, la polémique a pris une autre tournure. La Côte vient de dénoncer ouvertement le rapport  de la fameuse enquête sur le travail des enfants dans les plantations ivoiriennes. Madame Dominique Ouattara et le Comité National de Surveillance des actions de lutte contre la traite, l’exploitation et le travail des enfants (CNS) ne sont pas d’accord avec les conclusions de l’enquête de NORC.

En effet, le 29 juin 2020, l’Institut de recherche NORC de l’Université de Chicago publiera officiellement les résultats de son rapport d’enquête 2018/19 sur le travail des enfants dans les zones productrices de cacao en Côte d’Ivoire et au Ghana. Ce rapport vise à évaluer la prévalence du travail des enfants dans les zones productrices de cacao dans ces deux grands pays exportateurs de fèves de cacao. Bien que le rapport NORC fait état d’avancées significatives dans la lutte contre le travail des enfants dans l’industrie du cacao en Côte d’Ivoire ces dernières  années, Dominique Ouattara, Présidente du Comité National de Surveillance des actions de lutte contre la traite, l’exploitation et le travail des enfants (CNS), conteste les résultats de l’enquête 2018/19.

« Au cours des derniers mois, plusieurs ateliers techniques se sont tenus à Abidjan et à Washington, au cours desquels nous avons fait part à NORC et à l’USDOL de nos préoccupations concernant les insuffisances de la méthodologie de l’enquête 2018/19. Bien qu’ils aient reconnu ces erreurs et leur impact potentiel sur la crédibilité des conclusions de l’enquête 2018/19, NORC et l’USDOL n’ont jusqu’à présent pas voulu apporter les changements nécessaires, évoquant des contraintes de comparaison des données », a fait savoir la Première dame de Côte d’Ivoire .

Siaka Traore