Le mythe récurrent de l'armée européenne face aux limites de l'OTAN

 

 


Les relations tendues entre l’OTAN et les États-Unis et les craintes d’une politique d’expansion russe ont poussé l’Union européenne à augmenter rapidement la coopération en matière de défense et de sécurité au cours des cinq dernières années. Cependant, rien n’indique que l’appel du président de la république française Emmanuel Macron à une "véritable armée européenne" se réalisera dans un avenir prévisible.

Accroissement des défenses européennes

La défense européenne repose essentiellement sur les dirigeants américains et l’OTAN depuis la fin de la guerre froide mais les actions de l’administration Trump ont profondément modifié cette relation. Le président Trump a appelé à plusieurs reprises publiquement les pays membres (notamment européens) de l’OTAN à augmenter leurs cotisations, sérieusement proposé de retirer les États-Unis de l’OTAN, et a déjà coupé les États-Unis de l’accord sur le nucléaire iranien et du traité INF. En faisant cela, l’administration Trump a non seulement érodé la confiance que sous-entendait l’engagement transatlantique en matière de sécurité, mais a également érodé la fiabilité de tout potentiel futur accord de sécurité.

En conséquence, les dirigeants européens ont commencé à retravailler intensément leurs programmes de défense. Par exemple, en 2017, l’Union européenne a créé le Fonds européen de défense, qui consacre 5,5 milliards d’euros par an à des projets de recherche, de développement et d’acquisition de défense, et a activé  les projets permanents de défense de la coopération structurée (PESCO). De plus, l’Union européenne a créé la capacité de planification et de conduite militaires, un commandement centralisé pour les missions militaires de l’UE. Le risque de la réélection du président Trump potentiellement à l’horizon ainsi que les craintes de la poursuite de l’agression russe, la pression sur la communauté européenne pour augmenter leurs capacités de défense indépendantes ne fera qu’augmenter.

 

Souveraineté et leadership

En dépit de ces efforts, il y a encore un écart conséquent entre la politique actuelle commune de sécurité et de défense (CSDP) et l’objectif voulu de Macron d’une "véritable armée européenne". Tout d’abord, n’importe quelle tentative de former une armée paneuropéenne fera face à l’opposition des États membres qui ne veulent pas renoncer à la souveraineté sur leurs forces armées. En 1952, par exemple, la France, l’Allemagne, l’Italie et le Benelux ont signé le traité de Paris établissant une Communauté européenne de défense (EDC). La SEE aurait créé une armée supranationale dotée d’un budget commun et d’institutions communes, mais le parlement Français n’a pas ratifié le traité. Leur réticence à céder la souveraineté ainsi que les craintes de réarmement allemand ont fait en sorte que l’OTAN seule assumait la responsabilité de la défense européenne.

Les décennies qui ont suivi l’amitié franco-allemande ont atténué le spectre du réarmement allemand, mais la réticence historique de la France à céder la souveraineté militaire (et surtout nucléaire) persiste. Malgré les commentaires d’Emmanuel Macron sur le contraire de cette cession, il est peu probable que la France accepterait un officier hongrois commandant des soldats français, et vice versa. Sans une ordonnance claire que les contingents nationaux devraient répondre à une chaîne de commandement supranational unifiée, cette armée serait simplement une alliance militaire, pas une armée.

Même si l’UE pouvait trouver une structure de commandement satisfaisante, comment 27 pays élaboreraient-ils une politique militaire unifiée ? L’Union européenne est l’une des plus grandes réussites de l’après-guerre, mais sa gouvernance représentative rend difficile l’accord sur une politique de défense commune, et encore moins une armée commune.

La politique commune actuelle de sécurité et de défense de l’UE se concentre en grande partie sur les missions humanitaires et de maintien de la paix; un remaniement fondamental nécessiterait le consentement des 27 pays. Le dénominateur commun le plus faible de cette nouvelle force qui en résulterait n’aurait probablement pas la puissance de frappe militaire de l’OTAN. Au lieu de cela, l’UE pourrait chercher à créer une force qui intégrerait de manière horizontale la cyberguerre et la politique de sécurité intérieure tout en se concentrant sur la projection de puissance à large spectre pour compléter, plutôt que de remplacer, l’OTAN. Cette structure serait certainement plus favorable à une acceptation unanime mais néanmoins loin d’une armée européenne permanente.

Alternativement, les pays européens pourraient poursuivre une armée permanente indépendante de l’UE et de l’OTAN. Les Européens eux-mêmes soutiennent de plus en plus une armée européenne et la coopération politique et militaire franco-allemande  constituent un noyau plausible pour une telle organisation.

 

Deux visions : française et allemande

Cependant, une armée européenne sans tous les pays de l’UE pourrait s’avérer désastreuse pour la solidarité européenne. Paris et Berlin ont été contraints de faire face à cette question lorsque l’UE a activé leurs projets de défense de coopération structurée permanente (PESCO). La discussion s’est centrée autour de deux approches concurrentes : une vision française favorisant des normes opérationnelles et d’engagement robustes et une vision allemande mettant l’accent sur l’inclusivité pour éviter de s’aliéner d’autres États membres. Bien que problématique, les PESCO ne sont que des projets limités d’intégration de la défense. Une armée européenne créée pour être indépendante de l’UE amplifierait dangereusement ce fossé, exacerbant les tensions intra-européennes - en particulier avec des pays de l’UE traditionnellement neutres comme l’Irlande, l’Autriche et la Suède - et affaiblirait donc l’UE elle-même.

En outre, le leadership de cette organisation militaire est rendu difficile par la parité militaire et économique relative des pays européens. Selon Usherwood et Pinder, le succès de l’OTAN s’est construit sur le « leadership hégémonial » des États-Unis, car le PIB américain et les dépenses de l’OTAN ont largement dépassé leurs alliés européens et l’OTAN était avant tout une organisation militaire américaine. En conséquence, les alliés européens ont largement suivi l’exemple de l’Amérique. En revanche, les armées et les économies européennes sont beaucoup plus comparables et les relations intergouvernementales en Europe sont fondamentalement coopératives, conformément à la nature démocratique de l’Union européenne.

Bien que la France et l’Allemagne soient clairement les premières puissances de l’Europe, il est difficile d’imaginer le maintien d’un commandement régulier nécessaire à une alliance militaire intégrée comme l’OTAN et encore moins une force militaire permanente. Sans un leadership décisif, cette alliance militaire n’aura pas la direction singulière nécessaire pour fonctionner de manière décisive. Ainsi, alors qu’une armée européenne indépendante est une idée attrayante, de sérieuses préoccupations existent.

 

Des groupements militaires embryonnaires

Confrontés à une Amérique de plus en plus affirmée et à la peur d’une Russie expansionniste, les pays européens devront faire face à des pressions croissantes pour accroître leurs capacités de sécurité indépendantes au cours de la prochaine décennie. En réponse, l’Europe se concentrera probablement sur les efforts supranationaux visant à faire de l’intégration militaire son fer de lance et en mettant l’accent sur l’augmentation du financement, de la recherche et du développement. Il est toutefois douteux qu’une armée européenne supranationale à part entière se forme de sitôt même s’il existe des groupements militaires européens dans chaque branche qui sont seulement fondés sur la bonne participation de ses Etats membres.

Fabrice Villa