Plutôt que de chercher des raisons épidémiologiques aux incohérences des chiffres comparés, il faut considérer l’origine et la construction de l’information elle-même. L’état de développement du système de santé d’un pays va fortement influencer cette donnée. Moins le système de santé est développé et plus la donnée va être minorée. En effet, pour pouvoir être déclaré cas COVID confirmé, il faut au moins être en contact avec un médecin. En outre, même si le médecin ou l’hôpital existe, plus le pays est pauvre, et plus la part de population ayant les moyens financiers d’accéder à ces ressources est faible. La statistique s’en trouve minorée d’autant.
La complexité des contextes
L’information publié est déclarative, y compris celle transmise à l’OMS. Dans chaque pays, une organisation, un institut, publie ces données (Santé Publique France en France). Or tout système déclaratif, comme tout système de mesure, comporte son degré d’incertitude ou marge d’erreur. Cet organisme de mesure et de diffusion de la statistique dépend, directement ou non, d’un ministère de tutelle, c’est-à-dire du gouvernement du pays. Dans des pays démocratiques où les contre-pouvoirs informationnels existent, il est très difficile voire impossible de manipuler cette donnée. Ce n’est pas le cas sous d’autres régimes politiques à information contrôlée.
Il est donc clair que plus un pays est développé et démocratique, et plus la donnée a des chances d’être fiable. On notera cependant que même sur ce périmètre, certains « points aberrants » restent difficiles à expliquer, comme le taux de mortalité ramené à la population en Allemagne, de cinq à dix fois inférieur à celui de ses voisins européens. A contrario, moins le pays est développé et moins il est démocratique, plus la donnée sera mécaniquement, et possiblement intentionnellement, minorée : certains des pays à faible taux de contamination que nous avons cités plus haut en sont de bons exemples. Au final, si la donnée à l’intérieur d’un pays donné peut être utilisée pour décrire voire anticiper l’évolution de l’épidémie, les données d’un pays à l’autre ne peuvent pas être utilisées à fin de comparaison.
Pourquoi est-ce un problème ?
Tout d’abord, parce-que si des chiffres alarmistes peuvent créer un climat de peur exagérée voire de panique, à l’inverse, des chiffres minimisés -intentionnellement ou non- font courir le risque d’une prise de conscience insuffisante par la population concernée. Celle-ci sera donc moins encline à respecter les règles de prudence appropriées -si elles existent- puisqu’elle n’en comprendra pas la portée voire l’utilité. La conséquence est évidemment un risque sanitaire accru et la mise en danger de vies. Une minoration intentionnelle des chiffres peut donc être qualifiée d’irresponsable, voire de criminelle.
Ensuite, il y a un enjeu politique. En effet, chaque gouvernement de chaque pays a évidemment à cœur de montrer qu’il gère la crise au mieux. Il y a une réelle compétition, et cette période de pandémie est l’occasion d’une vague de sondages de la popularité des chefs d’état face à la crise. Or minorer les statistiques est évidemment un moyen simple faire croire à l’efficacité des mesures de gestion de crise prises, tout autant qu’à la qualité et au sérieux de l’organisation du pays en temps normal. Cette possibilité de modifier des statistiques officielles pour leur donner le sens voulu est naturellement plus répandue et la pratique plus aisée et courante dans des états autoritaires et à liberté d’expression contrôlée. Le risque induit à l’échelle mondiale est de laisser s’installer le message que les régimes anti-démocratiques sont mieux organisés et plus efficaces que les démocraties. Ce peut être pourquoi pas un débat de fond, mais il se trouve qu’ici, il est alimenté par des données erronées pour ne pas dire mensongères.
Enfin il y a un enjeu économique de la plus haute importance. Dans les démocraties, le poids de l’opinion publique est très fort. Cette opinion publique va évidemment réagir par rapport aux données publiées, et mettre la pression sur les gouvernements en place pour qu’ils gèrent la crise au mieux, c’est-à-dire en limitant autant que possible le nombre de victimes. Pour exemple la posture du Premier Ministre britannique, tout d’abord réticent à prendre des mesures contraignantes pour finalement céder sous la pression des chiffres -et peut-être aussi de sa situation personnelle- et imposer le confinement qu’il avait tout d’abord exclu.
Ceci a des conséquences terribles car qui aurait pu imaginer il y a quelques mois que la France puisse être amenée un jour à prendre des dispositions -le confinement- qui conduiraient à une baisse de son PIB de 8% ? Qui aurait pu imaginer, que dans les mêmes circonstances, le chômage aux Etats-Unis, qui était à un plus bas historique depuis 50 ans, passerait en quelques semaines de 3.5% à 18%, soit 20 millions d’américains ayant perdu leur emploi ?
La particularité des pays non démocratiques
Or que se passe-t-il dans les pays non ou pseudo-démocratiques ? Des mesures sont prises, certes, mais comme la pression de l’opinion publique est plus faible, elles sont de moindre ampleur que dans les démocraties. Elles sont moins contraignantes, plus courtes, et pénalisent donc moins l’économie. Par exemple, en Thaïlande, ont certes été décidés la fermeture des lieux publics et un couvre-feu nocturne mais pas de confinement obligatoire, et la sortie de ces mesures commence à être évoquée seulement 15 jours après leur mise en œuvre. On rappellera que même en Chine, le confinement a concerné Wuhan, soit une population de 11 millions de personnes. En France, par exemple, le confinement implique la totalité de la population soit près de 70 millions de personnes.
Dans un certain nombre de ces pays « à démocratie dirigée », la fortune personnelle des dirigeants du pays étant directement liée à celle du pays, ils n’ont évidemment aucun intérêt à prendre des mesures pénalisant trop durement l’économie. De fait, les prévisions de récession 2020 dans des pays comme ceux de l’Asie du Sud-Est sont modérées, le Viêt-Nam conservant même une espérance de croissance de 1.5%. Même si le taux de croissance habituel de ces pays en voie de développement est pour la plupart très supérieur à celui de la France, à impact COVID équivalent, ils devraient tous subir une récession de 2% à 5% minimum en 2020. La Chine, à l’origine de cette catastrophe mondiale, va vraisemblablement voir son PIB croître encore en 2020, de 2.5%.
Ce que l’on peut conclure ici c’est donc que ce sont les bons élèves qui sont pénalisés, et qu’il n’est pas impossible que les Etats autoritaires, dont la Chine, tireront un avantage économique concurrentiel de cette épidémie. Sur la base de l’histoire et des épisodes de même nature vécus par l’Humanité, il est peu probable que cette épidémie change le monde de façon radicale, comme certains le pensent ou l’espèrent. Au moins, espérons que cette crise sanitaire et économique sera une opportunité que l’Europe saura saisir pour se ressouder et faire face en tant que bloc dans la guerre économique mondiale dominée par la Chine et les Etats-Unis.
Frédéric Jacquemard