L’intelligence économique au service de la guerre sanitaire

La guerre sanitaire du Covid-19 révèle  une autre guerre économique complexe, où une multitude d’acteurs se court-circuitent dans l’ombre sur des équipements et matériels médicaux très convoités,  avec l’évolution de la pandémie, tels que les masques de protections, les tests de dépistage et les appareils de ventilation respiratoires.

Pris au dépourvu par la pandémie, incapables de les produire eux-mêmes en nombre suffisant, les pays  occidentaux se sont engagés dans une course féroce pour se procurer les équipements nécessaires auprès des marchés asiatique,  une situation de guerre économique qui conduit souvent, dans le contexte actuelle, à des pratiques non conformes aux règles en vigueur, censés prévaloir dans les échanges économiques mondiaux.

Dans cette bataille secrète sans état d’âme, de multiples intervenants, les États, les régions, les acteurs privés et les intermédiaires, se confrontent pour mettre la main sur ces matériaux si précieux. Toutes les stratégies sont permises et tous les services nationaux sont mobilisés  pour décrocher des informations stratégiques sur les lieux de productions, les commandes et les circuits de livraisons  de ces équipements afin de décrocher des lots de produits médicaux désormais rares, quitte à payer des prix quadruplés, voire quintuplés.

Partout dans le monde, les agences de renseignements se trouvent ainsi en première ligne dans cette course aux équipements et matériels médicaux.  Selon Le Figaro, le Mossad israélien a mené courant mars une opération clandestine pour récupérer des kits de détection du virus dans un pays inconnu. Un agent du service secret israélien, a déclaré par ailleurs que « Les espions israéliens s'engagent également dans la bataille pour l'acquisition d'équipements médicaux comme les masques ou les respirateurs ».

Un constat commun avec d’autres pays selon l'un des responsables du Mossad : "Tous les pays sont actuellement engagés dans une bataille secrète féroce pour prendre le contrôle de l'offre limitée de respirateurs, et ce à n'importe quel prix." Quitte à s'emparer, précise-t-il, du matériel commandé et payé par d'autres pays. ». Il s’agit selon ce responsable Israélien de l’une des opérations la plus complexe qu’il a eu à superviser. "Nous utilisons nos connexions particulières pour gagner la course et faire ce que le monde entier fait : mettre la main sur des stocks commandés par d'autres", a-t-il admis.

Ce contexte met en exergue l’importance vitale de l’intelligence économique en tant que levier légal, autant offensif, pour accéder à des informations stratégiques sur le marché et les produits médicaux recherchés, et pour interagir face à un jeu d’influence systémique ; que défensif pour préserver les acquis vitaux de la nation.

Supervision de la chaine d'approvisionnement et détournement de produits


Les États-Unis est accusé de pratiquer une sorte de «piraterie moderne» après avoir détourné une cargaison de masques destinés à la police allemande, et de surenchérir sur d'autres pays sur le marché mondial de plus en plus difficile des équipements de protection contre les coronavirus. Environ 200 000 masques N95 ont été détournés vers les États-Unis alors qu'ils étaient transférés entre des avions en Thaïlande, et destinés initialement aux forces de polices allemandes.

Andreas Geisel, le ministre de l'Intérieur de l'Etat de Berlin, a décrit le détournement comme «un acte de piraterie moderne» et a appelé le gouvernement allemand à exiger que Washington se conforme aux règles du commerce international. "Ce n'est pas un moyen de traiter les partenaires transatlantiques", a déclaré Geisel, «Même en période de crise mondiale, il ne devrait pas y avoir de méthodes du Far West.»

Par ailleurs, des acquéreurs américains non identifiés ont racheté sur le tarmac même des aéroports chinois, des masques commandés par la France, selon des présidents de régions françaises qui ont eu à souffrir de ces pratiques non conventionnelles. La présidente de la région Île-de-France, Valérie Pécresse a assuré que « Nous nous sommes fait prendre un chargement par des Américains qui ont surenchéri sur un chargement que nous avions identifié ». Renaud Muselier, le président de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur a par ailleurs dénoncé que « “Il y a un pays étranger qui a payé trois fois le prix de la cargaison sur le tarmac »

Le phénomène concerne plusieurs pays et tout type d’équipements médicaux nécessaires pour faire face à la pandémie du Covid-19. Le canada à son tour a ouvert une enquête après la révélation de Radio Canada  sur des masques qui devaient prendre le chemin du Canada et qui auraient été revendus au plus offrant au moment où les stocks s'apprêtaient à quitter la Chine.

Dispositif juridique à des fins d'encerclement cognitif


Dans les circonstances actuelles de la pandémie, les Etats ont sorti leur arsenal juridique extraterritorial pour contrôler la production et la distribution de matériels médicaux à forte demandes. C’est dans ce cadre, que le président des États-Unis, Donald Trump, a utilisé le 27 mars 2020 une loi datant des premières années de la guerre froide pour contraindre General Motors à fabriquer des matériels médicaux nécessaires face à la prolifération du virus Covid-19. Le Defense Production Act permet en effet, de contrôler la production et la distribution de matériels rares, jugés "essentiels à la défense nationale".

Cette loi adoptée en 1950, trouve son origine dans les War Powers Acts qui ont expiré à la fin de la Seconde Guerre mondiale et qui accordaient déjà au pouvoir exécutif de larges pouvoirs pour diriger la production industrielle vers l'effort de guerre. Elle permet en autres, à l’état fédéral de contrôler la production et la distribution de matériels souverains. Dans le décret signé le 18 mars 2020, le résident de la maison blanche, explique invoquer cette loi en citant spécifiquement les équipements médicaux de protection et les ventilateurs.

La réaction des autres constructeurs automobiles américains se fût immédiate. Ainsi Tesla, GM et Ford ont annoncé transformer leurs chaînes de production pour contribuer à remédier à la pénurie de dispositifs médicaux en fabriquant des ventilateurs. Par ailleurs, l'Etat français, avait annoncé par la voix de son président Emmanuel Macron, bien avant, le mardi 3 mars, vouloir réquisitionner "tous les stocks et la production de masques de protection" pour les distribuer aux soignants et aux personnes atteintes du coronavirus, avant de revenir à cette décision à la suite de pressions de la communauté européenne.

Avec l’évolution de la pandémie du Covid-19 au niveau mondial, le terrain de confrontation économique sur les produits médicaux, s’élargira certainement, sur d’autres champs de bataille dans des secteurs aussi stratégiques et vitaux, dont celui de l’agro-alimentaire et l’énergie, mettant ainsi davantage d’intensité et de complexité dans la confrontation actuelle.

 

Abdelali Arherbi