Les armées de l’air européennes ont massivement investi dans la technologie américaine, plus précisément au profit du chasseur F-35. Pourquoi l’Europe de la défense prônée par le président Macron a-t-elle tant de difficulté à émerger ? Dans cette guerre de puissance, quels sont les stratégies américaines et les moyens de leviers utilisés ?
La compétition dans l'aéronautique militaire
Le F-35 s’est imposé dans 7 pays européens (Angleterre*, Norvège, Belgique, Italie, Pays-Bas, Pologne, Danemark), l’Eurofighter dans 5 pays (Autriche, Allemagne, Italie, Espagne, Angleterre*) et le Rafale uniquement en France. En Europe ce sont 487 Eurofighters, 376 F-35 et 225 Rafales qui ont ainsi été commandés. Le F-35 est la 5ème génération d’avion de chasse, il dispose de l’immense avantage de ne pas être détecté par les radars actuels et offre des capacités de connectivités avec les autres appareils du système de combat aérien. Il possible pour un chasseur de voir ce qu’il se passe à des centaines de kilomètres par un autre F-35. Cependant, il fait l’objet de nombreuses critiques de par son cout démesuré, c’est le programme le plus onéreux de toute l’histoire de l’armée américaine. Le budget total estimé pour la production des 2'500 appareils planifiés et leur maintenance en opération (environ 50 ans) est estimé à plus de 1 ‘100 milliards de dollars. Son seul cout de construction pourrait atteindre les 406 milliards de dollars, soit une augmentation de plus de 27 milliards sur le budget initial. En ce début d’année, le président Trump a même fait pression sur le constructeur pour revoir le tarif exorbitant de l’appareil en évoquant la possibilité de revoir les commandes américaines.
Baisse des coûts de fabrication
La Turquie avait passé commande de 100 appareils et un contrat de production de pièce de l’avion avait été signé. Cet accord avait pour but de réduire le prix unitaire à 80 millions contre plus de 100 millions en 2019. Suite à la décision d’Ankara d’acquérir le système de défense russe S-400, Washington a décidé, pour des raisons de sécurité, d’annuler la commande des F-35 et par ricochet le programme de fabrication des pièces de l’avion. Il est impensable pour les États-Unis d’ouvrir la connectivité du système F-35 au système antiaérien russe ! Lockheed Martin a donc dû trouver un nouveau partenaire pour participer à la production de son avion. C’est avec la Pologne qu’un nouvel accord a été conclu. Celle-ci a en effet passé commande de 32 F-35 et devrait obtenir un contrat pour la fabrication de pièces de l’avion. La Pologne par l’intermédiaire de l’entreprise PZL contribue déjà à la production des hélicoptères Black Hawk de Sikorsky, les deux compagnies étant propriété de Lockheed Martins. Difficile pour la Pologne qui doit faire face à des relations européennes est-ouest compliquées, et dont la situation géographique est stratégique contre la Russie (autant pour l’Europe que pour les USA), d’accorder sa préférence au vieux continent.
Le cas de la Belgique
Il est intéressant de noter les arguments de la Belgique dans le processus d’acquisition du F-35 (BFM) qui préfère son allié américain. C’est la politique de dissuasion nucléaire de l’OTAN qui est mise en avant. Seul le F-35 est capable d’emporter la bombe nucléaire américaine B-61. Le point figure dans le cahier des charges belge et semble être déterminant. Il est bien évident que les Américains n’aient aucun intérêt à partager cette technologie avec les Européens et l’Eurofighter par exemple. L’argument est étonnant si l’on considère que l’arme atomique ne sera plus jamais utilisée, ou alors terrifiant en cas d’escalade nucléaire qui plongerait à coup sûr le monde dans l’apocalypse. Dans ce cas, c’est le levier de l’OTAN (les USA en sont les premiers contributeurs) qui est utilisé au détriment du marché intérieur européen.
Le faux challenge suisse ?
Le prochain pays en liste pour l’achat de nouveaux avions de combat est la Suisse. En 2008 elle avait déjà lancé une offre pour le renouvèlement de ses avions et choisi le Saab Gripen, plutôt que le Rafale, peut-être après avoir été placée sur la liste noire des paradis fiscaux par la France. Les Helvètes ont finalement refusé, en votation populaire, la proposition du gouvernement. En 2019, elle a retenu quatre nouveaux candidats, le F-35, le Rafale, l’Eurofighter et le F18 Super Hornet. Des tests de vol et des mesures ont été réalisés en décembre 2019. Le choix sera diplomatique pour la Suisse. Les trois pays en compétition affûtent leurs arguments et ont commencé leur campagne de séduction. Les stratégies officielles sont intéressantes et deux modèles en ressortent.
Si la France pour le Rafale et l’Allemagne pour l’Eurofighter mettent en avant les collaborations militaires, la formation commune des pilotes et des synergies dans la police du ciel, les Américains, par l’intermédiaire de son ambassadeur en Suisse, ont une approche très différente. Ils ont bien compris que la Suisse tient à sa neutralité et ils abordent la collaboration d’un point de vue économique. Il est certain que cet aspect trouve une oreille attentive chez les parlementaires helvétiques, qui ont voté pour la mise en place d’un système de compensation à hauteur de 60%. Ce qui signifie que 60% du montant alloué aux avions devra retomber dans l’économie suisse. Le Président Trump a par ailleurs déjà manifesté son intérêt pour le rachat des anciens Tiger pour un montant de 40 millions. La balance commerciale de positive de la Suisse par rapport aux États-Unis sera certainement abordée lors des négociations, nous sommes face à une approche économique entre deux pays qui ont signé des accords commerciaux.
L'Europe de la défense
Quel est le risque pour l’Europe de la défense ? Le programme franco-allemand SCAF (Système de Combat Aérien du Futur) semble bien fragile. Bien que l’Espagne ait rejoint le programme SCAF, la pression américaine en se relâchera pas. Le chemin est encore long pour le futur avion de 6ème génération qui devrait faire ses premiers vols d’essai à l’horizon 2026. Le nouvel appareil ne devrait pas remplacer les Rafales et Eurofighters avant une vingtaine d’années. Que ce soit par le levier économique, militaire ou géopolitique, l’emprise de l’oncle SAM est encore bien présente en Europe. Si l’on s’inquiète déjà de l’omniprésence des réseaux sociaux et des entreprises de la donnée US, comment expliquer que l’Europe paie des montants astronomiques pour un équipement militaire qui revendique son interconnectivité et dont personne n’a la maîtrise de ce côté de l’atlantique. La face cachée de l’industrie militaire américaine restera certainement dans l’ombre des réseaux sociaux de propagande, pardon de communication, qui sont tellement ancrés dans notre société !
Mathieu Alban