La résolution des conflits en Afrique centrale : concepts et stratégies à réinventer à l’aune d’une guerre économique sans fin

Régie par la charte des Nations-Unies, l’opération de maintien de la paix la plus emblématique au monde à ce jour est celle mise en œuvre par le conseil de sécurité au Congo sur la base des conflits post guerre froide en éludant les causes profondes d’une guerre économique oubliée depuis la conférence de Berlin qui, de novembre 1884 à février 1885, consacra le partage de   de l’Afrique par les grandes puissances de l’époque sans la participation des pays concernés. Ce dispositif onusien hors normes dans cette région des grands lacs et de la Communauté Economique des Etats d’Afrique Centrale (CEEAC), n’a pas réussi à mettre fin aux conflits armés qui continuent de causer de lourdes pertes en vies humaines, des destructions matérielles de grande ampleur, ainsi que des vagues de réfugiés qui déferlent sur les frontières des pays voisins et n’attirent l’attention de la communauté internationale que lorsque ces déplacements massifs de populations atteignent les côtes occidentales de la Méditerranée. 

Ce qui se joue ici requiert une lecture socio-historique objective et une approche en termes d’intelligence économique, à travers les échiquiers multiples qui ont mis la région en coupe réglée. Une analyse des guerres polymorphes qui s’y déroulent permet d’éclairer la réalité d’une confrontation économique qui a traversé la période coloniale, celle des indépendances et des dépendances structurelles de ces pays à l’égard des grandes puissances.   

De l'état indépendant du Congo à la République Démocratique du Congo


Un rappel historique est nécessaire pour comprendre cette réalité oubliée qui a présidé à la convocation de la conférence de Berlin à une période où les européens, sans préjuger des richesses naturelles de l’Afrique, recherchaient de nouveaux espaces et se lançaient à la conquête des territoires inconnus. Le Portugal et l’Angleterre qui avaient l’avantage de disposer d’une flotte sur l’embouchure du Congo s’entendirent pour prélever des taxes à l’entrée de ce stratégique débouché de l’intérieur de l’Afrique centrale sur l’océan provoquant une levée de bouclier. Vainqueur de la guerre de 1870, l’empereur allemand Otto Von Bismarck se saisit de ce différend pour convoquer les grandes puissances de l’époque à la conférence de  Berlin. Celle-ci concéda au Roi des Belges l’état continent de l’actuelle RDC et scella les frontières de l’Afrique dans leurs délimitations aujourd’hui. Dans son discours d’ouverture, Bismarck plaida pour le « développement des relations commerciales avec l’Afrique, la cause de la paix et de l’humanité ». Mais il s’agissait avant tout pour les intéressés de « garantir le contrôle de ces vastes territoires et de les ouvrir au commerce européen, tout en contribuant à restreindre l’influence des commerçants arabes qui avaient une bonne connaissance antérieure de l’Afrique. Le grand gagnant de cette messe, le Roi Léopold II, souverain de fait de l’état indépendant du Congo de 1885 à 1908 développa le commerce de l’ivoire, l’agriculture du caoutchouc et les activités minières (or et diamant) en pratiquant un usage excessif du travail forcé qu’il justifiait par la collecte de l’impôt et qui entraîna quelques années après une vague d’indignation et de protestations du Royaume Uni et des Etats-Unis, ainsi que des puissances des autres puissance. Cette campagne de pression internationale non dénuée d’arrières pensées sur une région qui suscite déjà convoitise et intérêt au fur et à mesure que se dévoilait le scandale géologique de ses immenses ressources naturelles et des matières premières précipita la fin de la souveraineté du Roi Léopold II sur ce territoire au profit de la Belgique. C’est donc une vraie guerre informationnelle menée par l’Angleterre sur les conditions de travail dans cet état qui fit basculer le statut de l’état indépendant du Congo en une colonie qui deviendra le champ clos de l’appétit des  compagnies concessionnaires. 

Pus d’un siècle après, cette réalité est la même sinon pire en République démocratique du Congo et dans les pays voisins, comme le reconnait le Prix Nobel de la Paix 2018, le Gynécologue obstétricien Congolais, Denis Mukwege, qui combat pour la dignité des millions des femmes victimes « d’une guerre sur le corps » et des exactions des groupes armés du Kivu où travaillent plus de 40000 enfants en 2014 dans l’Est et le sud de la RDC qui regorgent de minéraux précieux (or, coltan, cobalt, cassidente) que l‘on retrouve dans la fabrication des produits quotidien comme le téléphone portable. « La réalité troublante, conclut-il, est que l’abondance des ressources naturelles alimente les guerres source de violence extrême et de pauvreté abjecte ». 


De l’implantation industrielle et des investissements massifs de la chine à la dollarisation de l’économie congolaise 


Affaiblis après la seconde guerre mondiale, les puissances européennes assistent impuissantes à la montée du leadership américain en Afrique pour ne pas laisser la Chine seule dans sa longue marche occuper ce terrain et profiter de sa présence auprès des mouvements de libération du continent grâce à sa politique d’aide au développement et d’amitié dans les deux Congo et l’Angola. L’implantation industrielle de la communauté chinoise se densifie après le départ du Président Mobutu avec l’arrivée de Laurent Désiré Kabila, dans le secteur minier sur le cuivre et le cobalt (70 à 80% du marché et des exportations vers la chine) qui sont les éléments clés de la transition énergétique, stratégiques pour l’industrie automobile et le téléphone portable. Les chinois dominent les travaux publics et le génie civil dans la construction des infrastructures qui contribuent à la mise en œuvre des « routes de la soie » sur le continent. 

La fin de l’ère Mobutu consacre le retour du franc congolais en même temps que la circulation parallèle du dollar. L’inflation de la monnaie locale et les guerres qui embrasent le pays de 1998 à 2001 renforcent la dollarisation de l’économie congolaise sans que la Banque mondiale et le FMI ne s’en émeuvent pour la stabilité du système monétaire international. Les Etats-Unis ne lésinent pas sur les moyens pour affronter la Chine. Outre l’extraterritorialité que lui confère sa monnaie, la diplomatie américaine s’appuie sans sourciller sur les réseaux Soros qui déferlent avec leur idéologie mondialiste de « Société ouverte », une stratégie géopolitique de conquête et de guerre économique longtemps expérimentées en Europe et désormais réorientées vers l’Afrique. L’Open Society Fondation façonne les opinions publiques et les mouvements citoyens par l’intermédiaire des multiples fondations et ONG,  financent des radios locales, des organismes de formation professionnelle et investissent dans les NTIC qui relaient partout le modèle et l’influence des Etats-Unis dans ces pays constitués à 80% des jeunes de moins de 15 ans et où l’anglais est en passe de devenir la langue maternelle au détriment du français. C’est cette galaxie d’échiquiers qui est à l’œuvre dans la manipulation des élites, la pression sur les décideurs publics et les régimes politiques non conformes aux intérêts américains (à l’instar de Kabila qui sera oppressé jusqu’à son départ), un système tentaculaire sur les investissements dans les secteurs miniers, pétroliers, les OGM et les biocarburants. Derrière des motifs moralement légitimes et difficilement contestables qui prétendent aider ces pays verrouillés par des systèmes politiques réfractaires à la démocratie, les stratégies et les tactiques américaines servent d’abord les intérêts géopolitiques, étatiques et privés, financiers et sociétaux qui contribuent à la puissance économique de l’Amérique dans sa guerre contre toutes les puissances montantes et à la conservation de son leadership mondial. 

Du discours conservateur et inaudible de la France à la désillusion de la jeunesse francophone


Il est difficile dans ce contexte pour la France qui a déjà déserté cette partie du continent au profit des Etats-Unis, la Chine, la Russie et les pays émergents, de revenir dans le jeu. Le poids de l’histoire qui lui donnait un avantage inestimable dans son pré carré francophone est aujourd’hui une arme de destruction massive de sa politique de soutien aux régimes contestés par des populations de plus en plus anti-françaises. Dans les conflits politiques ou ethniques qui ont éclaté ces dernières décennies en Afrique centrale où elle disposait d’une réelle influence avec ses bases militaires et ses accords de défense, la France n’est jamais intervenue pour honorer ses engagements contractuels, se contentant plutôt de protéger ses approvisionnements de pétrole, de minerais précieux extraits dans la région, ou de rapatrier ses ressortissants lorsque la situation l’imposait. 

La France continue d’éloigner ses oreilles des guerres franco-françaises qui minent durablement son image dans un continent africain qui attend davantage du porte flambeau de la défense des droits de l’homme et des libertés que Paris appuie son double combat contre les dictatures et les guerres économiques qui détruisent son écosystème. Retractée désormais derrière l’Europe parce qu’elle n’est plus en mesure d’assumer  sa responsabilité de puissance, la France dispose pourtant de trois piliers : la langue de Molière que partagent des millions de francophones, la zone franc, bien que décriée mais toujours incontournable, et la coopération policière et militaire qui, sous prétexte de s’adapter aux mutations environnementales, s’enlise dans un conservatisme très critiquée dénommé « Françafrique », d’abord par les français eux-mêmes, puis par les européens et bien entendu les élites africaines dans leurs aspirations légitimes à la démocratie et à une redistribution juste des ressources naturelles confisquées par des pouvoirs corrompus de leurs pays. 

L’affaire des biens mal acquis ajoute à ce tableau illisible de l’action française en Afrique une balle dans les pieds des autorités françaises et africaines qui ont du mal à s’affranchir de la compétence universelle et d’oser un règlement diplomatique de ce dossier qui empoisonne les relations bilatérales de la France avec ces Etats. D’où les violentes attaques contre la privatisation de la  coopération militaire qui s’exerce désormais à travers la formation dispensée pour le maintien de la paix par l’Institut Themiis dont le soutien affiché du Quai d’Orsay et du Ministère français de la Défense en fait une cible idéale dans un domaine de plus en plus controversé.  Indubitablement mus par la volonté d’apporter leur pierre à un édifice complexe, ces organisations de sécurité estiment à juste titre que les « Etats sont confrontés à de nouvelles menaces et doivent reconsidérer leur dispositif de sécurité intérieure ». Cette profession de foi qui est sans aucun doute valable dans les pays démocratiques, est loin d’être acceptée en Afrique où les droits fondamentaux des populations que ces organismes sont censés protéger sont constamment bafoués et violemment réprimés par les appareils sécuritaires qu’ils forment, les faisant passer pour des nouvelles versions de légion étrangère, des instruments de conservation du pouvoir par des régimes contestés. C’est tout le paradoxe et toute l’ambiguïté de ces sociétés qui sont considérées par les pouvoirs francophones comme des appuis élyséens pour les aider à rester au pouvoir, mais perçues par les jeunes qui aspirent à la démocratie et à une véritable indépendance en tant que l’image des dictatures qu’ils combattent. Dans le même registre, la perception de la concurrence agressive du monde arabe sur cette région colle au prisme réducteur du terrorisme des réseaux djihadistes et s’exonère d’une lecture courageuse en termes de guerre économique. Ce regard naïf confère un avantage certain aux pétrodollars qui se déversent sur le continent du fait de la parfaite connaissance séculaire de l’Afrique par les arabes ainsi que de la pratique de la religion musulmane ou de nombreuses conversions des chefs d’états et dirigeants de ces pays en échange des marchés ou des financements de leurs programmes au détriment de la coopération et des intérêts français. De même, le département des opérations de maintien de la paix longtemps dirigé par un français qui a professionnalisé et personnalisé cette institution, est depuis quelques années la cible des violentes critiques qui ont considéré l’enlisement des missions de paix comme découlant non pas de la doctrine mais attaché à l’image de son patron, pur produit de la diplomatie française,  « acteur de conservation et non du changement qui contribue à l’enracinement des mauvaises habitudes et à la consolidation des  intérêts », là où la conduite des opérations exige de l’autorité et l’usage de la force autant qu’une grille de lecture en alerte constante sur les rapports de force. 

Une nouvelle approche de la paix dans la région


Les conflits actuels ont fait voler en éclat le principe de l’intangibilité des frontières héritées de la colonisation cher à l’Union Africaine et à la doctrine qui a présidé aux missions de maintien de la paix des Nations-Unies. Et ce n’est pas un hasard si c’est encore ce bassin du Congo qui a rendu obsolète cette doctrine onusienne qu’est venue l’inspiration d’une nouvelle approche du règlement des différends.  Une réelle prise de conscience s’est emparée de la communauté internationale que ces conflits devaient tenir compte d’échiquiers multiples et « des prédations "conflictogènes" historiques qui depuis des décennies ont détruit les structures étatiques de la république démocratique du Congo et de la Centrafrique ». Il fallait donc mettre en adéquation la doctrine et la réalité du terrain, en promouvant la lutte contre la pauvreté et les inégalités, le renforcement des institutions publiques, de la société civile et de la promotion des droits humains, ainsi que les préoccupations planétaires concernant le climat comme objectifs cruciaux du programme de développement durable de l’union africaine à l’horizon 2030. 

Avec la Conférence des pays des grands lacs qui a inclus les pays concernés, les états voisins et les femmes dans l’affectation des ressources pour la prévention dans la résolution des conflits régionaux, l’initiative de l’organisation de l’Union africaine pour faire taire les armes en 2020» se penche désormais sur des problématiques systémiques de la gouvernance, la criminalité et le terrorisme avec la signature d’un pacte pour la paix, la stabilité et le développement qui s’appuie sur une approche et un cadre régionaux comme le Conseil de la paix et de la sécurité de l’Afrique centrale (COPAX) crée en 1999. 

Les débats récents au sein du conseil de sécurité ont révélé l’affrontement conceptuel et opérationnel du maintien de la paix dans cette région, toujours en proie à la guerre commerciale que se livrent les deux grandes puissances. L’approche chinoise qui reste la même à son profit, consiste à ne pas s’immiscer dans les affaires intérieures des pays africains, mais « les aider à régler leurs propres problèmes, les accompagner et promouvoir le développement durable, seul moyen de stabiliser les pays du continent en s’employant à fournir les contingents des casques bleus dans cinq pays en conflits. La Chine, conclut son représentant, aime et respecte l’Afrique et les africains ». Les Etats-Unis n’acceptent pas cette approche et estiment que les conflits doivent être réglés avant qu’ils n’éclatent. La diplomatie préventive américaine sur le continent procède d’une analyse proche de l’intelligence économique : « Il faut cibler les facteurs de conflits, pas seulement des mots sur le papier, mais les causes profondes et des actions spécifiques sur les causes. Utiliser le système d’alerte précoce et les outils analytiques à notre disposition, se concentrer sur les domaines dans lesquels le conflit pourrait émerger, pas seulement là où il se trouve déjà ». Grand contributeur du budget de l’ONU en la matière, les Etats-Unis agissent ainsi pour limiter les dépenses de plus en plus onéreuses de ces opérations qui ne donnent pas les résultats escomptés. 

En plus du développement qui doit être un des outils de la prévention économique, facteur de la paix, la mobilisation de toutes les ressources est désormais la règle. Toutes les parties s’accordent à s’impliquer dans des médiations régionales, à promouvoir  la coordination des pays voisins et des organes régionaux ainsi que l’intégration des femmes (d’où la signature d’un accord cadre ONU/UA et la création du Réseau des femmes africaines pour la prévention des conflits et la médiation en 2017) qui portent le fardeau des retombées de ces conflits, afin d’éviter des destructions inutiles qui profitent toujours aux puissances qui tirent les ficelles car in fine, comme l’écrivait Nelson Mandela : «  quand nous aurons combattu et réduit ce pays en cendre, nous devrons nous asseoir ensemble et parler des problèmes de la reconstruction, l’homme noir et l’homme blanc l’africain et l’afrikaner », un éternel recommencement qui n’est plus du goût de tous.

Bernard Boumba


  

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Une multinationale de l’influence : les réseaux Soros à la manœuvre sur le continent africain ,  AfriqueGéopolitique & Entreprises, CLES, Grenoble Ecole Management. 

  

Sources 

Coopérer pour la paix en Afrique centrale, Mutoy Mubiala, UNIDIR Institut des Nations Unies pour la recherche sur le désarmement Genève, Suisse, 100 p. 

La conférence internationale sur la région des grands lacs, Jérome Ollandet, l’Harmattan, 150 p. 

Les Congo au temps des grandes Compagnies concessionnaires, 1898-1930, Catherine Coquery Vidrovitch, Ecole des Hautes Etudes en sciences Sociales, 598 p. 

Congo : Une Histoire, David Van Reybrouck, 560 p. 

La Chinafrique, Pékin à la conquête du continent noir, Serge Michel et Michel Beuret, Grasset, 350 p. 

L'ONU face aux conflits en Afrique centrale post-guerre froide, 1990-2004, Eric Wilson Fofack Presses Universitaires de France, « Guerres mondiales et conflits contemporains » 2012/4 n° 248 | pages 83 à 96.