L’écosystème amazonien est le théâtre d’un affrontement systémique virulent. En effet, sa richesse en ressources naturelles a dessiné au cours de la dernière décennie une confrontation entre l’exploitation capitaliste pétrolière, minière, forestière, agroalimentaire et les défenseurs de l’écologie consolidés autour de la population indigène locale. L’instrument politique brésilien y tient une place d’arbitrage cruciale. Jusqu’en 2018, la société civile indigène, qui s’est constituée dans la région de l’Amazonie, bénéficiait d’un soutien effectif du régime présidentiel brésilien de Lula. Ce soutien s’est notamment manifesté, en fin 2018, par le refus du Brésil d’autoriser à TOTAL toute prospection pétrolière au large de l’Amazonie (1). Cependant, dès janvier 2019, l’investiture de Jair Bolsonaro à la Présidence du Brésil a ravivé une exploitation industrielle controversée(2). En réaction, la mobilisation indigène s’est renforcée pour la défense de leur habitat. Avec l’incendie qui a frappé la forêt au mois d’août 2019, l’essence de l’affrontement semble profondément ébranlée.
L'exploitation agricole et minière soutenue par l'activisme informationnel de la Présidence brésilienne
Le chef d’Etat brésilien considère que la forêt est « un terrain commercial dédié à l’élevage et l’agriculture de masse et à l’industrie minière ». Ces paroles verbalisent l’axe central de sa politique le développement des industries minières et agro-alimentaires, au détriment de l’Amazonie. Le Chef de l’Etat s’est logiquement entouré des leviers exécutifs nécessaires pour mener sa politique le plus offensivement possible. Ernesto Araujo, connu pour être contre l’écologie, devient ainsi Ministre des Affaires Etrangères. Tereza Cristina, connue comme militante fervente de l’homologation de nouveaux pesticides, a été nommée Ministre de l’Agriculture. Enfin, le Ministère de l’Environnement est aux commandes de Ricardo Salles, proche du Lobby agricole.(3) Cette modification infrastructurelle sur l’échiquier du gouvernement brésilien a entraîné un recul drastique des financements aux activités de protection du climat, et une forte réduction du nombre de sanctions concernant la déforestation illégale. C’est ainsi que Bolsonaro encourage son économie nationale et, de fait, les activités de déforestation par toutes les mesures mettant en péril l’ensemble des politiques gouvernementales favorables à la protection de l’environnement.
Dans ce contexte, les peuples indigènes peuplant la forêt apparaissent comme des obstacles au développement économique des secteurs industriels. C’est ainsi que ces populations sont persécutées par le régime en faveur des industries, qui développe un discours très violent justifiant les attaques de villages et assassinats politiques (4). Le soutien significatif de Bolsonaro à l’exploitation massive de l’Amazonie participe des promesses faites aux différents soutiens et intérêts du cercle capitaliste, qui ont favorisés son élection (5) (6). Bien qu’une opposition plus franche, mieux orchestrée en amont de son élection, aurait permis d’endiguer la montée en puissance de l’actuel président brésilien et de l’explosion de l’exploitation économique de l’Amazonie, le constat implacable de l’exécution de son programme a suscité des ripostes informationnelles significatives.
Mobilisation informationnelle et actions d'influence menées par le chef Raoni
Le 13 mai 2019, le chef indigène Kayapo du Brésil, Raoni Metuktire, se déplaçait en Europe pour défendre l’Amazonie, dans le cadre d’une campagne internationale ciblant des figures politiques internationales. La démarche du chef Raoni avait pour but de rencontrer des dirigeants d’Etats, notamment Emmanuel Macron et M. François De Rugy, en France, et surtout le pape François afin de pousser plus loin la sensibilisation à la déforestation de l’Amazonie, depuis l’investiture de Jair Bolosonaro. En plus d’informer et de sensibiliser, il était question de collecter un million d'euros pour la protection de la réserve de Xingu, foyer de plusieurs communautés autochtones du Brésil, face aux menaces que font peser sur elle les exploitations forestières et les industries agroalimentaires. Les fonds recueillis serviraient à l'amélioration du marquage de la frontière de la vaste réserve de Xingu ainsi qu'à acheter des drones et d'autres équipements techniques pour en assurer la surveillance Pour information, le chef Raoni est président honoraire de l'association Forêt Vierge(7), dont le siège est à Paris. Cette association est connue pour avoir été pionnière dans la sensibilisation de la communauté internationale à la déforestation de la forêt amazonienne, avec l’appui des chefs de tribu locaux et de nombreuses célébrités internationales.
Renforcement de la polémique lors des manifestations de New York et de Brasilia.
Une cinquantaine d'indigènes brésiliens ont manifesté le 23 avril 2019 à Manhattan, dénonçant la politique de Bolosonaro pour l'Amazonie. Cette manifestation a permis la remise d’une pétition de près de 12 000 signatures à la mission brésilienne de l’ONU. Elle était également le premier acte d’un mouvement indigène d’ampleur prévu le lendemain, à Brasilia, portant sur la revendication en interne des droits des peuples de l’Amazonie (9)(10). Saisissant l’opportunité, plusieurs figures de la défense des peuples amazoniens se sont exprimées. "Il est urgent que le monde entende la voix, le cri des peuples indigènes. Nous sommes menacés par l'agro-business, l'hydro-électricité, la déforestation et l'industrie minière", a déclaré Sonia Guajajara, coordinatrice nationale de la Coalition des peuples indigènes du Brésil.
"Attaquer les indigènes d'Amazonie, c'est attaquer les poumons de la Terre, le cœur de notre planète", a aussi affirmé Leila Salazar-Lopez, directrice exécutive de l'ONG Amazon Watch, organisme de soutien aux indigènes de la forêt amazonienne(11). Vicky Tauli-Corpuz, rapporteur spécial de l'ONU pour les droits des peuples autochtones, a exprimé sa profonde inquiétude pour les indigènes brésiliens. En effet, elle déplore que, dans le centre-ouest du pays, des populations soient déplacées à cause des plantations de soja, qu’elles fassent l'objet de violences des services de sécurité des plantations, et qu’elles soient visées de plus en plus par les autorités de l'Etat.
La victoire judiciaire du peuple Waraoni en Equateur.
Les Indiens Waorani d'Equateur ont saisi la justice pour empêcher l'invasion de leurs terres amazoniennes par des compagnies pétrolières, dont l’activité est responsable de destructions visibles dans la forêt (sources d'eau contaminées, montagnes de déchets, disparition de la faune) (12). Les Waorani sont propriétaires de 800.000 hectares de forêt sur le territoire équatorien. La loi nationale reconnaît expressément ce droit de propriété, mais précise que l'Etat conserve celui du sous-sol. Le gouvernement affirme avoir eu le feu vert pour lancer un appel d'offres pétrolier après l'organisation, en 2012, d'une consultation des Waorani comme l'exige la Constitution. De leur côté, les Indiens assurent avoir été trompés par les fonctionnaires venus les interroger. Dans ce contexte, ces Indiens, connus pour leur belligérance protectrice, pourraient transformer leur territoire en une zone hostile pour les compagnies pétrolières.
En effet, leur histoire est traversée d'épisodes violents qui font craindre leur réaction. "Ils n'entretiennent pas une relation amicale […] Leurs terres leur ont été enlevées, ils ont été persécutés et tués, ils ont été réduits en esclavage, et maintenant leurs sous-sols sont utilisés sans aucune compensation adéquate", confirme Miguel Angel Cabodevilla, un missionnaire espagnol, qui a vécu trente ans auprès des Waorani. Des exploitants forestiers, qui avaient fait usage d'armes pour s'installer sur une partie de leur territoire, ont déjà été la cible des lances des Waorani. Après des décennies de violences et de manipulations de la part des gouvernements, des pétroliers, des entreprises de caoutchouc et des bûcherons, les Waorani sont devenus très méfiants.
C’est dans ce cadre qu’une requête judiciaire a été déposée par Nemonte Nenquimo, présidente du Conseil Waorani de Pastaza pour demander qu'une partie du territoire Waorani (180 000 hectares), soit exclue d'un futur appel d'offres pétrolier. Le 26 avril 2019, la Cour de justice de la province amazonienne de Pastaza a donné raison à la communauté indigène, jugeant leurs droits violés pour défaut de consultation préalable. Les juges ont établi que ce projet était un abus au droit constitutionnel des peuples à l'autodétermination et à être consultés sur l'extraction de ressources non renouvelables dans leur habitat. Ce jugement constitue « un précédent important pour l'Amazonie. », a estimé l'avocate des plaignants, Lina Maria Espinosa. En effet, il pourrait servir de jurisprudence permettant à d’autres peuples de la zone de se prévaloir efficacement de leurs droits face aux incursions sur leurs territoires. La mise en commun de ces divers éléments de riposte informationnelle de la société civile indigène participe d’un encerclement cognitif offensif, destiné à créer une pression à la fois nationale et internationale plus forte sur le régime Bolsonaro et les industriels exploitant l’Amazonie via le Brésil.
Les suites contradictoires de l'incendie de la foret brésilienne
L’incendie majeur, accidentel ou intentionnel, qui a ravagé la forêt durant le mois d’août 2019, apparait comme un tournant dans l’affrontement qui oppose le capitalisme et l’écologie, dans la protection de l’écosystème amazonien (13).
D’une part, cette catastrophe est une aubaine sérieuse pour l’industrie agro-alimentaire et l’industrie minière. En effet, chaque hectare ainsi déboisé devient un nouvel espace exploitable pour accroître l’exploitation, sans s’exposer à toute forme de contestation ou d’opposition a posteriori. La recrudescence de ces incendies en 2019 et la présidence brutale de Bolsonaro laissent subodorer le recours à une méthode directe et radicale pour anéantir l’essence même du combat mené par la société civile indigène en faveur d’une exploitation économique libre du sol amazonien.
Cependant, ces événements pourraient paradoxalement accentuer la pression exercée par la société indigène et écologique sur le gouvernement brésilien, et surtout sur les entreprises impliquées dans l’exploitation de l’Amazonie. Ce renforcement de l’attention sur le sujet pourrait aboutir à une véritable législation sanctionnant les multinationales dans le cadre d’abus aux droits de l’homme. Celle-ci pourrait voir le jour dans le cadre d’un projet de traité international sur les multinationales et les droits humains, initié par le Conseil des Droits de l’homme de l’ONU. Sur la même lancée, l’Union Européenne pourrait se doter d’une directive, suivant l’exemple donnée par la France par sa loi sur le devoir de vigilance des multinationales de 2017 (14). Enfin, les activistes tentent de faire pencher la balance en faveur de l’inscription protectrice de la totalité de l’écosystème amazonien au patrimoine mondial de l’UNESCO(15).
Brice Fongue Sonna