La dimension informationnelle dans la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine
Les États-Unis et la Chine sont parvenus le 11 octobre 2019 à un premier accord partiel dans l’historique des dix-huit mois de guerre commerciale entre ces deux pays. Son texte, actuellement en cours de rédaction pourrait être signé lors de la réunion du forum de Coopération Asie-Pacifique (APEC) prévu les 16 et 17 novembre au Chili selon le Président Donald Trump.
Une certaine euphorie s’est emparée des marchés après cette annonce, qui devrait mener à une trêve commerciale largement attendue par une majorité des acteurs internationaux victimes de cette guerre économique. En effet, l’impact se fait ressentir dans le monde entier, à commencer par la zone euro dont la croissance du PIB a déjà perdu 1,8 points entre la fin de l’année 2017 et mi-2019 selon l'analyse de la conjoncture menée par le Département analyse et prévision de l'OFCE à l’automne 2019 ; chaque nouveau coup apporté dans le cadre de cet affrontement ouvert affole le monde boursier et financier, la banque centrale américaine (Federal Reserve System/ FED) et le Fonds Monétaire International (FMI). La Chine commence également à sérieusement pâtir de cette situation, avec un PIB qui atteint tout juste la ligne rouge des 6% de PIB fixée par le gouvernement ce trimestre, et une croissance estimée à 5,8% en 2020 par le FMI, alors que les États-Unis subissent également de cette guerre commerciale, en particulier son secteur agricole.
Cette nouvelle a été bien accueillie, d’autant plus que le président Trump a annoncé la suspension du relèvement des taxes sur les importations chinoises, prévu pour le 15 octobre, pour 250 milliards de dollars de marchandises déjà surtaxées de 25%. Un ‘deal’ qui comprend également, d’après lui, des engagements chinois sur des achats de produits agricoles et des avancées sur la propriété intellectuelle. Toutefois, l’euphorie qui s’était emparée des marchés s’est estompée en moins d’une semaine avec la publication des chiffres du commerce extérieur chinois, qui freine l’économie internationale.
les véritables sources du conflit entre les Etats-Unis d'Amérique et la Chine
S’il semble s’agir d’un signe de détente, Chris Krueger, l’analyste principal des politiques de Cowen Washington Research Group, insiste sur le fait que les tarifs douaniers ne sont que la partie émergée de l’iceberg. Selon lui, les véritables sources de conflits incluent le flux des capitaux, les contraintes de la chaîne d’approvisionnement, les contrôles de l’exportation et la politique industrielle. Pour autant, on observe un maintien d’une guerre informationnelle entre les acteurs à la fois étatiques tels que les institutions nationales, mais aussi de nombreuses multinationales privées dominant dans la culture et les industries technologiques, à l’image des GAFAM américains (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft, qui devrait se poursuivre malgré cet accord.
Au cœur de cette guerre commerciale déclenchée depuis le 1er trimestre 2018 par Donald Trump contre le Président de la République Populaire de Chine, Xi Jinping, les États-Unis exigeaient de Pékin qu'il abandonne des pratiques commerciales jugées « déloyales », comme le transfert de technologie forcé ou les subventions aux entreprises chinoises. À défaut, les États-Unis menaçaient d'appliquer le 15 octobre l'augmentation de tarifs qui avait été repoussée, par égard pour le 70e anniversaire de la République populaire de Chine.
La dernière escalade des tensions
Dans le roman de cette guerre commerciale marqué par des phases d’escalades des tensions et des phases de détente, les relations entre les deux pays sont dans une nouvelle dynamique d’engrenage depuis le 27 août, date à laquelle Washington avait imposé des taxes douanières supplémentaires sur l’équivalent de 250 milliards de dollars de biens chinois importés, et repoussé au 15 décembre l’imposition d’une taxe supplémentaire de 10% sur toute une série de produits de grande consommation, notamment électronique.
La Chine avait menacé début août de prendre de « nécessaires mesures de représailles » si le Président américain Donald Trump mettait à exécution sa menace d’étendre ses droits de douane punitifs à l’ensemble des produits chinois importés. Chose dite, chose faite, le pays réagit donc en annonçant son intention d’imposer de nouveaux droits de douane sur des importations en provenance des États-Unis, en deux temps, le 1er septembre puis le 15 décembre, ainsi qu’une imposition de tarifs douaniers de 25% sur les automobiles américaines ainsi que de 5% sur les pièces automobiles détachées, à compter du 14 décembre. Ces droits de douane supplémentaires concernaient 5 078 produits américains, dont des produits agricoles comme le soja, le pétrole brut et les petits avions.
Le jour même, les américains annonçaient une augmentation supplémentaire des droits de douanes sur les 300 milliards de dollars restants de produits chinois, qui passent de 10% à 15%, effective au 1er septembre, suivi d’une réévaluation de 25% à 30% des droits de douane sur 550 milliards de dollars de produits chinois importés, prévu pour le 15 octobre : il s’agit de l’augmentation annulée par l’accord partiel du 11 octobre.
Un accord partiel
Cet accord dit « partiel », apporte satisfaction à plusieurs exigences américaines, sans pour autant répondre à l’ensemble des requêtes exigées par Washington, s’agissant d’une « phase 1 » qui sera complétée par d’autres accords au cours de l’année 2020 selon les dire de Donald Trump.
L’accord comprend :
- Des dispositions relatives aux subventions de l’État chinois et à la propriété intellectuelle. Au sujet de ce dernier point, la société de cybersécurité Crowdstrike accuse Pékin d'avoir organisé une vaste campagne de piratage visant des industriels de l'aéronautique occidentaux, dont Safran, dans le but de concevoir des avions 100 % chinois. L’entreprise a publié en octobre 2019 un rapport mettant en lumière une ambitieuse opération de piratage informatique réalisée par la Chine au cours des dernières années. Huawei est également actuellement accusé d’avoir volé la propriété intellectuelle américaine.
- Des dispositions concernant les services financiers, à ce titre Pékin a annoncé le 16 octobre la mise en place d’actions en faveur de l’ouverture de son secteur financier, qui comprennent la suppression des limites de propriété étrangère dans ce secteur, à compter du 1er janvier 2020.
- Des questions structurelles concernant l’agriculture comprenant un accord d’achat de 40 à 50 milliards de dollars de produits agricoles américains par la Chine, un secteur largement impacté par la guerre mondiale conduite entre les deux puissances mondiales. L’enjeu est crucial pour les producteurs : en 2017, la Chine importait pour 12 milliards de dollars de soja, ce qui représentait environ 57 % des exportations américaines. Ce montant est tombé à 3 milliards de dollars en 2018 après l’imposition de nouvelles taxes et les mesures de représailles chinoises. Avec la reprise des négociations, et pour montrer sa bonne volonté, Pékin s’est remis à acheter du soja américain : les Chinois en ont commandé 3,7 millions de tonnes entre début septembre et début octobre. Toutefois, les producteurs américains restent circonspects, car depuis le début de la guerre commerciale, la Chine s’est tournée vers de nouveaux fournisseurs, en premier lieu le Brésil et l’Argentine, deux pays entre lesquels elle fait jouer la concurrence pour maintenir des bas prix. Le Brésil est bien parti pour être l'an prochain le plus gros producteur mondial de soja, devant les États-Unis, avec une récolte qui devrait faire date.
- Des dispositions concernant les devises.
La question des transferts de technologie, bien qu’évoquée lors des négociations, n’a pas été mentionnée dans cet accord mais fera l’objet d’une « phase 2 » selon le Président américain.
La portée du ralentissement du commerce extérieur chinois
Le ralentissement marqué du commerce extérieur chinois montre que Pékin pâtit déjà de la guerre commerciale. En effet, les exportations chinoises ont diminué de 3,2% sur un an en septembre, tandis que les importations se sont contractées de 8,5% : ce troisième trimestre, l’économie chinoise est au plus bas depuis 27 ans. Si une certaine euphorie s’était emparée des marchés après l’accord partiel du 11 octobre, d’autant plus que le Président Trump a annoncé la suspension du relèvement des taxes sur l’importation initialement prévu le 15 octobre, la publication de ces résultats cumulée à l’absence de mention concernant les relèvements de droits de douane prévus pour le 15 décembre suscite désormais un certain scepticisme des acteurs internationaux au sujet de cet accord.
La banque Morgan Stanley affirme que seule l’annulation des précédentes hausses tarifaires et la baisse des tarifs en vigueur confirmerait une réelle avancée de la résolution du conflit Chine-EUA. Elle n’envisage pas ainsi une baisse des tarifs en 2020, ni une réelle amélioration de la confiance des investisseurs et des entreprises dans l’immédiat.
Les confrontations informationnelles
Une démonstration de force a pu être observée les jours précédant le 13ème round de discussion entre les États-Unis et la Chine, qui s’est déroulé le 11 octobre en présence du vice-Premier ministre Liu He, négociateur en chef pour la Chine, et du Président américain. Sur fond officiel de question politique, les États-Unis ont pris les 7 et 8 octobre deux mesures sanctionnant l’empire du milieu pour son implication dans la répression musulmane des Ouïgours dans le nord-ouest de la Chine, où selon plusieurs ONG environ un million de musulmans seraient détenus dans des camps.
Le gouvernement américain a d’abord placé sur liste noire 20 bureaux de sécurité publique chinois et huit sociétés high-techs avant d’annoncer des restrictions de visa pour des officiels chinois jugés responsables ou complices de la répression musulmane en Chine. Parmi ces entreprises, il y a notamment Hikvision, numéro un mondial des équipements de vidéosurveillance, avait notamment bénéficié de la politique sécuritaire de Pékin dans la province de Xinjiang. On peut citer également Megvii Technology et SenseTime, entreprises d'intelligence artificielle dont les solutions logicielles de reconnaissance faciale serviraient aux autorités à ficher les Ouïgoures. Cette sanction s’est appliquée à ces deux entreprises bien qu’elles entretiennent des liens capitalistiques et technologiques avec des fonds d’investissement et des universités américaines, ceci peut en partie s’expliquer par une réponse aux signaux de montée en puissance de ces entreprises qui pourraient s’imposer comme futur leaders sur le marché.
L’entreprise SenseTime, créée il y a à peine cinq ans, a obtenu des financements de puissances financières telles que Fidelity Internation, Silver Lake, Tiger Global et SoftBank Group Corp. Cette entreprise est passée de la technologie de reconnaissance faciale à la sécurité financière, aux livraisons de robots et aux voitures sans conducteurs. Les entreprises Dahua, Meiya Pico, Yitu, iFlytek et Yixin sont aussi viéses. Elles opèrent dans le domaine de la reconnaissance faciale, vocale et la surveillance. Ces entreprises présentent un domaine d’intérêt pour les États-Unis puisqu’il touche aux secteurs de la cybersécurité et de technologies de pointes, un marché en pleine extension avec plus de 60 % d’ici 2020 selon un rapport de l’entreprise de conseil Gartner des entreprises prévoyant d’investir dans de nouveaux outils de sécurité de données. A ce titre, la Chine accuse les États-Unis d'utiliser la question « comme prétexte pour s'ingérer dans les affaires intérieures de la Chine ».
La démonstration de force menée en amont des négociations du 11 octobre a également pris une forme moins conventionnelle en impliquant la NBA, la ligue nationale de basket, censuré après le tweet du directeur des Houston Rockets, Daryl Morey, « Battez-vous pour la liberté. Soutenez Hongkong », qui a provoqué la fureur de la Chine, fans, stars et chaînes de télévisions incluses. En juillet, la NBA avait annoncé une extension de 5 ans de son contrat avec le géant de l’Internet Tencent, pour 1,5 milliard de dollars, qui a pourtant annoncé qu’il ne retransmettrait finalement pas les matchs suite à la publication de ce tweet. Les excuses de Morey n'ont pas fait évoluer la situation, ne parvenant pas à convaincre les Chinois tout en ulcérant le public américain. Le sénateur Ted Cruz, républicain, du Texas a tweeté que la NBA « rétropédalait honteusement ». Julio Castro, démocrate, a, lui, estimé que les États-Unis devaient « diriger avec [les valeurs américaines] et parler pour les manifestants pro-démocratie à Hongkong et ne pas laisser un gouvernement autoritaire intimider les citoyens américains ».
Une désescalade qui intervient à un moment clé pour le Président américain
A l’approche de l’élection présidentielle américaine prévue en 2020, le Président américain se retrouve entaché par l’enquête à l’origine d’une potentielle procédure d’impeachment lancée par les démocrates au Congrès après qu’un lanceur d'alerte du renseignement ait révélé en août dernier que le président avait fait pression sur le nouveau président ukrainien Volodymyr Zelensky en gelant une aide militaire à l'Ukraine afin de faire pression sur Kiev, pour obtenir une enquête sur Joe Biden, potentiel rival démocrate à la présidentielle de novembre 2020, et son fils Hunter, présent dans le pays. Il doit également faire face à l’impopularité de sa décision de retirer les forces américaines de Syrie et d’abandonner les alliés kurdes. De façon exceptionnelle en près de trois ans de mandat, les membres du parti républicain ont été nombreux à publiquement désavouer le président.
Cet accord partiel intervient à un moment où l’économie mondiale s’essouffle de cette guerre commerciale qui dure depuis dix-huit mois, alors que le Président américain a besoin de redorer son blason dans cette phase d’impopularité et que les élections américaines approchent à grand pas. un contexte de regain des tensions entre les États-Unis et l’Union européenne, cet accord permet à Trump de se concentrer sur cette nouvelle guerre commerciale, tout en poursuivant une guerre indirecte avec les Chinois. Les États-Unis ont ainsi imposé le vendredi 17 octobre des sanctions douanières contre les produits européens pour une valeur de 6,8 milliards d’euros, cette annonce intervient quatre jours après le feu vert définitif de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) à Washington d’imposer des sanctions contre l’UE en représailles aux subventions accordés à Airbus. La hausse des taxes a principalement ciblé la filière viticole, l’aéronautique et les fromages italiens.
Les sanctions annoncées par les États-Unis pourraient signifier une reprise de la guerre commerciale qui avait dégénéré après l’entrée en fonction de Donald Trump en 2017, avant d’être apaisée par la signature d’une sorte de trêve avec Jean-Claude Juncker à Washington en juillet 2018. Regrettant cette décision, la Commissaire européenne au Commerce, Cecilia Malmström, a déploré hier que « l’Union européenne (UE) n’a pas d’autre choix que des représailles », qui pourraient intervenir suite à la publication des décisions de l’OMC prévues en 2020 au sujet de subventions américaines attribuées au constructeur Boeing.
Bastien Erin