La polémique entre l'Union Européenne et les pays du Mercosur



 

Sans tenir compte de la colère des acteurs de la filière agricole, la commission européenne et les pays du MERCOSUR (Argentine, Brésil, Uruguay et Paraguay) se sont entendus le 28 juin dernier sur les contours d’un accord de libre-échange. Ces négociations, qui auront pris vingt ans, permettront une ouverture des marchés publics du MERCOSUR ainsi que l’élimination des barrières tarifaires existantes sur des secteurs industriels à haute valeur ajoutée (voitures et pièces détachées, machines, produits chimiques et produits pharmaceutiques), et ce, au détriment du secteur agricole européen qui se verra confronté à l’arrivée massive de produits agricoles d’origine sud-américaine dont la compétitivité n’est plus à remettre en question.

 

Quand l’environnement devient le pendant de l’économie

L’ouverture de ce marché représente plus de 260 millions de consommateurs et la septième économie mondiale, soit de belles perspectives pour industriels et investisseurs européens. Si l’économie annuelle est estimée à 4 milliards d’euros pour l’Europe, la compensation obtenue par le MERCOSUR sur l’accès au marché agricole européen pourrait porter un préjudice économique majeur pour les filières agroalimentaires européennes. La ratification de cet accord nécessite l’approbation à l’unanimité des 28 États-membres (bientôt 27) or, la France a finalement décidé de retirer son soutien, sur fond de polémique environnementale. Que contient ce texte ? Retour sur la colère des agriculteurs et des écologistes et le revirement d’E. Macron.

 

Contenu de l’accord sur l’ouverture du marché agricole européen

L’accord de libre-échange prévoit une suppression progressive des lignes tarifaires sur 93 % des exportations agroalimentaires de l’UE vers les pays du MERCOSUR. Ces lignes correspondent à 95 % de la valeur des exportations agricoles de l’UE. De son côté, l’UE libéralisera 82 % des importations européennes de produits agricoles en provenance du MERCOSUR.

La part restante des importations européennes concerne les produits sensibles et sera soumise à une libéralisation partielle sous la forme de contingents d’importations sur six ans détaillés comme suit :

  • 99 000 tonnes de viande de bœuf (55 % de viande fraîche et 45 % de viande congelée) à droit de douane réduit à 7,5 % + élimination des droits de douanes sur les contingents Hilton déjà existants, soit 60 000 tonnes ;

  • 190 000 tonnes de viande de volaille à droit zéro ;

  • 25 000 tonnes de viande porcine avec un droit de 83 €/t ;

  • 180 000 tonnes de sucre à droit zéro ;

  • 450 000 tonnes d’éthanol pour des usages industriels et 200 000 tonnes pour tout autre usage avec un droit de douane réduit de 30 % ;

  • 45 000 tonnes de miel à droit zéro ;

  • 60 000 tonnes de riz à droit zéro.


Concernant les produits laitiers, les grandes firmes multinationales françaises implantées au Brésil pourront importer des poudres ou des fromages en provenance d’Europe à droits de douane dégressifs, représentant un gain économique par rapport à une fabrication sur place.

 

Polémique sur l’’accès au marché de la viande

L’ouverture des contingents sur les produits carnés pour le Brésil qui exporte déjà 2,2 Mt de viande chaque année, ne rassurent en rien les élevages européens. En 2018, l’UE a importé 380 000 tonnes de viande (bovins, porcins et volailles ; fraîche, congelée et transformée) en provenance des pays du MERCOSUR. Partons du fait que les contingents d’importations seront pleinement utilisés, soit 314 000 tonnes, cela représenterait donc une hausse cumulée de près de 83 % des flux d’importations de viandes sur le territoire européen en six ans. En moyenne par année, les élevages européens se verraient donc confrontés à l’arrivée de 52 000 tonnes supplémentaires de viande d’origine sud-américaine.

Toutefois, les volumes d’importation de viande en provenance du MERCOSUR représentent une faible part dans la consommation totale en UE. En effet, la consommation indigène brute (CIB = Abattages + Importations – Exportations) en viande bovine de l’Union Européenne est en moyenne sur les dernières années de 7,8 millions de tonnes équivalent carcasse (tec) de viande bovine. Par conséquent, les importations de viande du MERCOSUR vers l’UE avec l’accord du libre-échange ne représenterait que 5 à 6 % sur le total de la viande bovine consommée par les pays de l’UE.

Cependant, les enjeux sont différents si l’on raisonne groupement de pays comme l’UE ou pays par pays. En effet, à l’échelle de la France, on pourrait observer une déstabilisation du marché puisque c’est la consommation d’aloyaux qui domine dans notre pays et les importations de viande bovine sud-américaine concernent principalement des morceaux d’aloyaux, ce qui amènerait une concurrence accrue sur ce type de marché étroit.

Concernant la viande de volaille, la question de la traçabilité des volailles pour le consommateur n’est pas à prendre à la légère quand on sait que presque 40 % des volailles consommées en France sont importées. Bien que les craintes sur les potentielles pertes de parts de marché au sein de l’UE aient montré tout l’enjeu économique d’un tel accord, c’est toutefois l’enjeu environnemental formulé par les concitoyens du monde qui a pris l’ascendant lors des jours qui ont suivi la signature de l’Accord.

 

La confrontation entre la France et le Brésil

Le Président brésilien Bolsonaro ne fait pas du climat sa priorité, évoquant à plusieurs reprises son souhait de sortir de l’accord de Paris (COP 21). La déforestation massive de l’Amazonie est déjà menacée par la recrudescence de la demande chinoise en soja brésilien pour répondre à la guerre économique imposée par les Américains. Dans un tel contexte de fragilité, l’accord de libre-échange ne ferait que rajouter une couche d’insécurité sur le devenir de la forêt.

Les viandes importées sont issues de règles différant de celles européennes. Les élevages sud-américains sont notamment connus pour leur parc d’engraissement en feedlots et le recours systématique aux antibiotiques alors qu’en France, il est interdit d’en administrer durant les 4 mois précédant l’abattage et que le quota Hilton (ouverture et mode de gestion des contingents tarifaires pour les viandes bovines de haute qualité, fraîches, réfrigérées ou congelées et pour la viande de buffle congelée) impose une finition à l’herbe.

 

Toujours plus de pesticides au Brésil quand l’UE s’engage à les restreindre

L’homologation par le Président brésilien de 262 nouveaux pesticides entre janvier et juillet de cette année vient renforcer les craintes environnementales et la possibilité d’importer des produits issus des grandes cultures. D’après les chiffres 2016 de la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture), les pays du MERCOSUR ont eu une utilisation de pesticides quasi deux fois supérieure à celle de l’UE (610 000 tonnes pour le MERCOSUR contre 366 000 tonnes pour l’UE). Ramené à l’hectare de surfaces en culture, la consommation brésilienne de pesticides a atteint 4,31Kg/ha de surface en 2016 (3,72Kg/ha pour la France). Et ce qui préoccupe grandement les pays européens, c’est le niveau de toxicité des produits utilisés par le MERCOSUR, dont beaucoup sont interdits sur le territoire européen.

 

Le piège commercial des OGM

Le débat dure depuis des années. Le taux de cultures de maïs OGM et de coton OGM en Argentine connait une montée en flèche depuis le milieu des années 90. Le slogan de la FNSEA (premier syndicat français des agriculteurs) juste après la signature de cet Accord de libre-échange, est assez parlant : « n'importons pas l'agriculture et l'alimentation que nous ne voulons pas chez nous ». A n’en pas douter, le MERCOSUR est un accord économique d’envergure auxquels les volets environnementaux prennent de plus en plus de place au cœur du débat. En France, les agriculteurs se font entendre.   Dès l’annonce de la signature de cet accord, les réactions des associations et des syndicats ne se sont pas fait attendre. Le syndicat européen englobant toutes les grandes organisations agricoles et coopératives nationales COPA-COGECA, a dénoncé un « double standard » favorable aux produits agricoles en provenance des pays du MERCOSUR et un risque de « concurrence déloyale ». La FNSEA déclare également des propos dans le même sens.

Les Jeunes Agriculteurs dénoncent une incohérence entre cet accord et la loi EGAlim adoptée et promulguée fin 2018 et dont les trois objectifs sont : une meilleure rémunération des producteurs et agriculteurs afin qu’ils vivent de leur travail dignement, un renforcement de la qualité sanitaire, environnementale et nutritionnelle des produits et une alimentation plus saine, plus sûre et durable pour tous. Sur fond d’incohérence et d’incompréhension, la colère est grandissante notamment en France et démontre que l’accord n’est plus à regarder pour lui-même mais plutôt dans un contexte global (élection présidentielle de 2022, contexte des gilets jaunes) où un message prend le dessus sur le reste, à savoir guerre « Environnement versus Économie ».

 

L’interférence « bienvenue » de la question environnementale

Les agriculteurs sont en colère, mais on observe également une prise de conscience citoyenne. Les feux en Amazonie, au cours du mois d’août, ont déclenché de vives réactions à l’encontre du Président Bolsonaro.  E. Macron tweete : « Notre maison brûle. Littéralement. L’Amazonie, le poumon de notre planète qui produit 20% de notre oxygène, est en feu. C’est une crise internationale. Membres du G7, rendez-vous dans deux jours pour parler de cette urgence. #ActForTheAmazon ».

Si on recontextualise, n’oublions pas que la ratification du CETA (Comprehensive Economic and Trade Agreement = accord commercial bilatéral de libre-échange entre l'Union européenne et le Canada) en juillet dernier est encore dans les esprits notamment dans celui du Président. Au sein de la majorité, l’accord est loin d’avoir fait l’unanimité (52 abstentions et 9 votes contre). A cela, s’ajoute l’accord de libre-échange entre le Japon et l’UE (JEFTA = Japan-UE free trade agreement) entré en vigueur le 1er février 2019 et qui fait l’impasse sur le volet environnemental pour ne pas se voir risquer d‘être non ratifié… Alors, E. Macron se serait-il senti menacé ? En annonçant que la France ne soutiendra plus l’accord de libre-échange en l’état, le Président français prend position et s’impose sur la scène internationale face à son homologue brésilien en l’accusant d’avoir « menti » sur la question du climat et de la biodiversité.

Cela fait redescendre la colère en France. Pour combien de temps, ? On ne sait pas. Les agriculteurs ont le sentiment d’avoir été entendu comme le déclare Christiane Lambert, la Présidente de la FNSEA. Mais le « non » de la France n’est pas pour autant irréversible. Si demain le Brésil est amené à changer de ligne en matière d’écologie, la France n’exclut pas de revenir sur son véto formulé fin août. Depuis le retrait français, l’Irlande, le Luxembourg et l’Autriche ont marqué leur désapprobation.  Depuis fin août, la situation est floue concernant cet accord. Le sujet reviendra forcément dans l’avenir. L’unanimité des pays signataires est requises pour que cet accord soit ratifié, ce qui signifie qu’en l’état actuel, cet accord ne pourrait être voté.

 

Lors des négociations autour d’un accord de libre-échange, l’accent est mis sur le gain économique de part et d’autre en optimisant les barrières douanières. Pour le cas du MERCOSUR, la question environnementale a pris le pas sur les négociations. Si l’environnement peine à être défendu au niveau politique (pour exemple sur le retrait des Etats-Unis d’Amérique des accords de Paris, le Brésil menace d’en sortir également), le MERCOSUR s’inscrit dans la suite des dernières prises de conscience sur les questions environnementales (CETA…).  Dans les négociations d’un accord de libre-échange, l’ambivalence des considérations « Économie versus environnement » et le prisme politique versus prisme citoyen, sont de nouveaux axes à prendre en compte et font apprécier différemment les enjeux.

 

 

Aurélie JARLEGANT