L’opposition au méga-transformateur de Saint-Victor-et-Melvieux : une stratégie informationnelle destinée à fédérer les mouvements contestataires
En 2009, La société RTE (Réseau de Transport d’Électricité, ancienne filiale d'EDF) projette la construction d’un poste de transformation électrique sur le plateau de Saint-Victor-et-Melvieu, dans l’Aveyron. Destiné à établir la connexion de 6 lignes à haute tension de 225.000 volts, d’une ligne à très haute tension de 400.000 volts et de la production d’électricité d’origine éolienne, cet équipement devrait s’étendre sur 9 hectares.
Le contexte de l'opposition au méga-transformateur
Dès la connaissance de ce projet en mars 2010, une partie de la population s’y oppose et se fédère autour de l’association « Plateau survolté ». Cette association fédère autour d'elle nombre de petites cellules d'opposants à l'éolien. Elle argue des nuisances causées par la perte de terres agricoles, l'émission de champs électromagnétiques basse fréquence néfastes pour la santé. Elle met également en avant l’accroissement « exponentiel » du parc éolien. En 2014, des militants écologistes créent une « zone à défendre » (ZAD), en regroupant une soixantaine de personnes autour d’une cabane baptisée l’Amassada servant davantage de point de regroupements ponctuels que de lieu d’occupation pérenne. Des liens étroits se nouent entre l'Amassada et des activistes engagés dans l’opposition à d’autres projets d’aménagement industriel. Par ailleurs, le collectif bénéficie de la présence et du soutien de militants du département, issus de l’extrême-gauche. Au fil du temps, la mobilisation sur le site semble progressivement s’atténuer. A l’été 2009, l’activité sur la ZAD de Saint-Victor-et-Melvieu est au ralenti. Du 6 au 9 septembre 2019, le rassemblement annuel très attendu des opposants sur le site, dénommé « Fête du Vent », n'amène qu'une faible mobilisation, soit 80 manifestants environ.
Une stratégie informationnelle basée sur l'amalgame des luttes contestataires pour fédérer les courants d'opposition.
Pour tenter de donner un nouveau souffle à leur mobilisation, les militants historiques contre le projet de méga transformateur développent progressivement une stratégie d'« attrape-tout idéologique », pour amalgamer les différents courants d'opposition. Cette stratégie est un moyen pour le collectif de l’Amassada de grossir ses rangs, en vue de peser davantage dans le rapport de forces qu'elle a initié avec les pouvoirs publics. Ainsi, au mois de mai 2018, à Millau (Aveyron), les opposants au projet RTE organisent une réunion publique sur la question du mouvement indépendantiste basque. Au mois de septembre 2018, lors de la « Fête du vent », rendez-vous annuel des opposants, les militants effectuent une « marche contre la désertification des territoires, pour intégrer les opposants aux fermetures des hôpitaux.
Surtout, dans la guerre de l'information, les militants comprennent que le thème historique d'opposition à un transformateur, destiné en partie à véhiculer l'électricité d'éoliennes (qui rencontrent de surcroît un certain écho positif parmi les écologistes) n'est pas un sujet particulièrement mobilisateur. Pour faire venir les soutiens de toute la France, un thème fédérateur est progressivement substitué aux autres, celui de la lutte contre l'autorité publique. Il a le mérite d'aimanter les militants contestataires radicaux, connus pour leur rapide capacité de mobilisation.
Une stratégie informationnelle cristallisée sur le thème de la lutte contre l'autorité publique pour aimanter les mouvements contestataires.
Le 8 octobre 2019, 600 gendarmes procèdent à l’évacuation de la ZAD de l’Amassada. Ils évacuent une cinquantaine de manifestants sur le site de Saint-Victor-et-Melvieu. Dès lors, les zadistes sollicitent des renforts issus de différents lieux de lutte du même type, via les réseaux sociaux. L'objectif est maintenant de développer une stratégie informationnelle efficace, capable de susciter une large mobilisation de la mouvance contestataire. L'appel est notamment relayé parmi les opposants à l'une des principales « ZAD », à Bure, dans la Meuse, dont les militants s'opposent à l'enfouissement des déchets nucléaires.
Cette stratégie informationnelle rencontre un écho favorable, puisqu'elle permet de mobiliser près de 250 manifestants environ, lors du week-end des 2 et 3 novembre 2019, dénommé « Grand week-end de résistance ». Cette forte mobilisation est notamment due à la présence d'une centaine de militants radicaux, extérieurs au département de l'Aveyron. En cristallisant l'information de la mobilisation sur le rejet de l'autorité publique et des forces de l'ordre, reléguant presque au second plan la cause initiale défendue, à savoir l'opposition au projet de méga transformateur, les opposants attirent d'autres mouvements contestataires liés à des luttes sans rapport à ce projet industriel. insi, les opposants reçoivent notamment le soutien du mouvement « Extinction Rébellion », qui appellent sur leur site à se joindre à eux.
Sur le terrain, comme le rapporte les médias locaux, les manifestants revendiquent clairement une confrontation violente avec les forces de l'ordre, en adéquation avec les mots d'ordre diffusés sur les réseaux sociaux. Cette stratégie informationnelle a donc précisément ciblé un auditoire lié aux mouvements contestataires violents, pour maximiser la mobilisation, en reprenant un vocable qui leur est propre. Le but a été atteint pour la frange radicale de l'opposition au projet de méga transformateur, qui est parvenue à occuper l’espace public, même si le projet industriel de RTE sera vraisemblablement conduit à son terme.
Olivier Percy