A l’instar des autres domaines stratégiques, l’industrie du nucléaire, et plus particulièrement celle de 4ème génération, est rentrée dans une nouvelle phase de confrontation entre les deux puissances, les Etats-Unis d’Amérique et la République Populaire de Chine. Au début des années 2000, les deux puissances ont affichés une stratégie d’ouverture et de coopération dans le domaine du nucléaire de 4ème génération, dans une optique mutuelle de partager les avancées technologiques et de mutualiser les efforts associés. Cependant, cette ouverture n’a cessé de favoriser davantage l’industrie chinoise, ce qui a fait inciter l’administration américaine à basculer vers une stratégie d’encerclement cognitif pour contrebalancer l’accroissement de puissance de l’empire asiatique.
Une stratégie affichée de coopération entre 2000 à 2017
Pour inciter les différents acteurs du nucléaire de 4ème génération à partager les avancées technologiques dans un cadre de coopération internationale, le département de l’Energie des Etats-Unis Department of Energie (DEA) a initié dès l’année 2000, le forum International de 4ème génération The Generation IV International Forum, groupant des hauts représentants gouvernementaux de neuf pays, dont les Etats-Unis et la Chine, et permettant ainsi d’entamer des discussions sur la collaboration internationale dans le développement de systèmes d'énergie nucléaire de quatrième génération et de constituer un groupe d’experts techniques chargé d’explorer des domaines d’intérêt commun, afin de formuler des recommandations concernant les domaines de recherche et de développement.
Outre ce forum international, cette stratégie d’ouverture a favorisé l’émergence de plusieurs cas de rapprochement entre des acteurs publiques et privés, de différents pays, en quête d’opportunité commercial ou de mutualisation d’investissement dans une industrie nécessitant de gros moyens. L’un des plus remarquable, est la joint-venture signée entre la société américaine terra Power (propriété de Bill Gates) et le géant nucléaire chinois CNNC et dont la création n’a été possible que grâce l’appui des deux gouvernements américain et chinois.
Le changement de cap et le déclenchement de stratégie offensive américaine en 2018
La première phase de la stratégie américaine, permettant l’ouverture aux acteurs mondiaux a favorisé l’émergence de la chine en tant qu’adversaire féroce dans la course, ce qui a nécessité un changement de stratégie, notamment dès l’arrivée au pouvoir du président Donald Trump qui a chargé son secrétaire d’état à l’énergie, Rick Perry, de sa mise en œuvre. La stratégie américaine a été menée sur deux champs de batailles, un champ interne au niveau des différents acteurs nationaux et un autre externe dans le but de freiner l’accroissement de puissance chinoise et ses avancées technologiques dans le domaine du nucléaire.
Au niveau interne, le Département de l’Energie américain (DEA) a déclaré dans ses plans destinés aux Américains, un objectif de mutualisation de l’ensemble des efforts du secteur publique et privé afin d’accélérer le déploiement de nouveaux concepts avancés dans le domaine du nucléaire, dans une optique de regain de leadership technologique mondial dans le domaine du nucléaire de 4ème génération, tout en mettant en place plusieurs campagnes d’influence prêchant les avantages du nucléaire comme source d’énergie propre et créatrice d’emplois pour les Américains. Dans la mise en œuvre de cette stratégie interne, deux nouvelles lois ont déjà vu le jour, la première en septembre 2018, Nuclear Energy Innovation Capabilities Act (NEICA), permettant d’éliminer certaines barrières financières et technologiques faisant obstacle à l’innovation dans le domaine du nucléaire. Cette loi a été annoncée comme un fort engagement de la part du gouvernement de Washington de soutien à l’industrie du nucléaire et sa commercialisation dans le monde.
Les dispositions de NEICA s'appuient sur les partenariats public-privé réussis simplifiés par le biais de la deuxième initiative du Gateway for Accelerated Innovation in Nuclear (GAIN), facilitant un cadre de partenariat publique-privé offrant ainsi aux partenaires du secteur l’accès à l’expertise et aux installations nucléaires des laboratoires dans une optique de mutualisation des efforts et une accélération de la mise au point de nouvelles technologies innovantes d’énergie nucléaire. Dans la même approche, une nouvelle initiative a été introduite en août dernier, Nuclear Energy Renewal Act (NERA), dans l’ambition de faciliter le déploiement des réacteurs nucléaires dits « avancés » tout en renforçant le parc actuel en service (notamment avec des programmes de réduction des coûts de maintenance).
Le mécanisme américain de repositionnement des forces actives du pays vient répondre à la stratégie menée par la république de la Chine depuis 2016, dont son orchestre est le géant national China National Nuclear Corporation (CNNC) qui a développé un cadre pour l’innovation technologique nucléaire, appelé Dragon Rising 2020 en associant 23 instituts de recherche en technologie et en mettant en place un système complet de gestion de l'innovation technologique scientifique. Sur le plan international, les Etats-Unis d’Amérique ont déployé une stratégie d’encerclement cognitif vis-à-vis de la Chine, en mettant sur liste noire, en août dernier, plusieurs groupes nucléaires chinois, ce qui interdit aux entreprises américaines toute activité commerciale avec elles.
Les entreprises chinoises concernées sont par cette liste noire :
- China General Nuclear Power Corporation (CGNPC).
- China General Nuclear Power Group.
- China Nuclear Power Technology Research Institute Co. Ltd.
- Suzhou Nuclear Power Research Institute Co. Ltd.
Dans le cadre de l'application de la loi d'extraterritorialité du droit américain, cette restriction impactera l’ensemble de l’écosystème nucléaire, mettant ainsi en péril d’un seul coup, plusieurs acteur internationaux. A titre d’exemple, le groupe EDF sera contraint de revoir sa partenariat avec le China General Nuclear Power Group pour ses projets en Chine et au Royaume-Uni, où il prend en charge un tiers du financement du projet Hinkley Point de construction de réacteurs de type EPR, et avec qui il est subi déjà un risque de dérapage de coût de 10%, associé de plusieurs mois de retard selon le groupe français.
Abdelali Arherbi