Le groupe Alcatel était parmi l’un des fleurons de l'industrie française . Son nom était présent au niveau mondial dans divers secteurs technologiques (Télécom, mobile, …). À la fin des années 90 et au début des années 2000, on croyait que cette entreprise resterait un des leaders mondiaux dans son secteur. Doté de ses propres centres de recherches et d’usines, des milliers de brevets, on imaginait mal comment ce géant français pourrait disparaître, dilué et affaibli au sein d'une entité étrangère. Alcatel avait beaucoup d’ambitions à l’étranger, particulièrement sur le marché américain et chinois.
La firme française sous la pression étrangère
Divers événements et décisions ont conduit cette entreprise prometteuse à une future sombre et une disparition certaine, et par conséquent des drames sociaux et une perte sèche pour l’État français. Alcatel a été victime à la fin des années 90 d’une des premières guerres de l’information sur Internet. Cette série d’attaques informationnelles avait porté sur la transparence de la communication financière de l’entreprise et avait abouti à la chute la plus spectaculaire d’une action à la Bourse de Paris. La direction générale d’Alcatel mit de longs mois à se remettre de cette épreuve d’autant plus que le PDG avait été visé et mis en contradiction avec sa propre direction financière. A l’époque, des soupçons planaient sur une possible orchestration de la part d’une structure en lien avec la banque de son concurrent américain Lucent.
Lorsque le comité exécutif d’Alcatel décida de passer des joint venture avec la Chine, les Etats-Unis envoyèrent des signaux faibles par le biais de certains de leurs médias pour indiquer qu’ils n’accepteraient aucun transfert de technologie sensible. Les dirigeants d’Alcatel ne tinrent pas compte de ses messages d’alerte indirects. C’est ce qui, selon certains observateurs industriels français, amena la puissance américaine à riposter. Des investigations poussées furent lancées sur le parcours professionnel des négociateurs d’Alcatel en Chine. Elles permirent d’identifier des pistes de corruption sur certains contrats passés avec des pays émergents. Ces failles furent exploitées par la suite par le Département de la justice américaine.
Avec l’extraterritorialité du droit américain, Alcatel a été la cible du puissant DOJ américain (Département of Justice), et a dû s’acquitter par la suite d’une amende de 137 millions de dollars en 2010. Le groupe Alcatel-Lucent était soupçonné d’affaires de corruption en Amérique latine et en Asie, et hors territoire américain. Le scandale a éclaté en 2004, deux ans avant la fusion avec l’américain Lucent, et que l’acte d’accusation se concrétise en 2008.
Alcatel et la fusion avec l’américain Lucent :
On s’attendait à la naissance d’un géant mondial de la télécommunication avec la fusion d’Alcatel et de l’américain Lucent avec des grandes complémentarités sur leurs marchés successifs. C’est ce qui a été affirmé à plusieurs reprises par son dirigent Serge Tchuruk qui a orchestré la fusion. Les seules craintes médiatisées de la classe politique française et des syndicats étaient d’éventuelles pertes d’emploi ou délocalisations. Le passage en douce sous contrôle américain était une hypothèse qui n’était pas vraiment considérée comme une menace dans les milieux d’affaire. Du côté américain, Lucent était en difficulté et la santé financière du groupe américain s’était dégradée considérablement dans l’exercice 2005 et 2006 (baisse des bénéfices de 80% et réduction de chiffre d’affaires de du 11% juste avant la fusion). Et loin du pacifisme de la France, le Committe on Foreign Investment in the United state (CFIUS), les services de renseignements, le département d’état et le département du commerce américains ont étudié soigneusement et harmonieusement cette fusion pour donner leurs accords de principe au président Bush afin d’acter la fusion. La direction de la nouvelle entité passa sous la houlette de l’américaine Patricia Russo.
Les conséquences de la fusion étaient désastreuses à plusieurs niveaux :
- Plusieurs mouvements sociaux et grèves ont secoué l’entreprise
- Suppression de plus de 35 000 emplois dans le monde.
- Les emplois en France sont passés de 12000 en 2006 à 6000 juste avant le rachat de Nokia
- Des brevets sont passés sous le contrôle Américain
- La fusion a permis à l’entreprise d'ouvrir ces grandes portes à la puissante NSA américaine.
A la suite de cette « fusion », la France a perdu sa souveraineté et son avancement sur certaines activités et technologies liées à la défense avec l’équipementier Alcatel.
Alcatel et le rachat par le finlandais Nokia :
Devant la dégringolade continue de Alcatel-Lucent, une deuxième « chance » vient de surgir pour sauver Alcatel-Lucent, et même faire une sorte « d 'Airbus européen » de la télécommunication par l’ex-géant Nokia. Plusieurs arguments ont été véhiculés autour de ce rachat :
- La nécessité de s’unir financièrement, la préparation de la 5G.
- La préparation contre la concurrence asiatique.
- La conquête du marché chinois.
Le gouvernement français été informé durant deux ans avant le rachat de Nokia, et a donné sa bénédiction.
Alcatel face aux vols de brevets :
Alcatel s’est fait voler à plusieurs reprises ses brevets, On cite en exemple Microsoft, avec un vol de brevet de MP3 que Microsoft a utilisé pour son lecteur Windows Media Player. Alcatel n’a pas obtenu de gain de cause. Malgré des décisions des tribunaux de faire payer Microsoft, la cour suprême a pris une position en faveur de Microsoft. Contrairement aux Américains qui ont une attitude guerrière contre toute entité qui souhaite acquérir ou s’approcher d’une entreprise américaine qui de loin ou de près touche à la sécurité nationale. A cette époque la France est pénalisée par une absence de mécanismes nécessaires à la survie de ces fleurons d’industries à l’international. Cet état de fait illustre clairement un retard considérable de notre dispositif politico-juridique en matière de guerre économique. La reprise d’Alcatel-Lucent par le finlandais Nokia a signé l’arrêt de mort définitive à cette entité, d’origine française, et avec elle la perte d’un atout industriel qui aurait pu jouer un rôle important dans notre positionnement dans le monde immatériel.
Jalal Elallam