Swatch vient de lancer en grande pompe sa toute nouvelle montre : la Flymagic. La vraie force de la Flymagic se loge dans une partie stratégique de la montre : le spiral. Ce ressort mécanique accroché au balancier fait battre la montre comme un cœur. Rupture technologique, ce spiral Swiss Made est réalisé dans un tout nouvel alliage à base de titane : le Nivachron™. Ce matériau est un véritable saut technologique résistant aux champs magnétiques, aux variations de température, aux chocs et au vieillissement. Ultrasensible aux ondes magnétiques, la précision du spiral est devenu depuis quelques années le cheval de bataille des horlogers. Le secteur de la haute horlogerie s’est radicalement transformé sous la pression concurrentielle : durcissement du label Swiss Made, recherche de nouveaux relais de croissance… à ceci s’ajoute, la fin des livraisons du spiral Nivarox (Nicht Variable Oxydfest - non variable non oxydable) de Swatch Group.
Un conflit qui dure depuis plus de 10 ans
Le spiral est au cœur de la bataille que se livrent les horlogers suisses. L’entreprise Nivarox-Far - filiale de Swatch Goup - s’est retrouvée au lendemain de la crise du quartz comme la seule encore capable d’assurer la fabrication de ces microcomposants stratégiques sur la base d’alliage, savant mélange composé de fer, nickel, cobalt, chrome, titane et béryllium. Unique à chaque montre, l’oscillateur compte le temps. «Ce mobile balancier-spiral est un élément stratégique dans une montre, telle la base du temps, c’est l’équivalent du quartz de la montre mécanique, qui demande pas moins d’une cinquantaine d’opérations pour le réaliser, dont 15 pour amener le spiral de l’ébauche reçue de la fonderie jusqu’à la montre», ajoute Sébastien Jeanneret, directeur d’Atokalpa.
Durant près de 20 ans, Swatch Group n’a pas réellement tiré profit de ce monopole hérité du passé. Mais le bouleversement qui a marqué l’industrie dès les années 1990, avec l’essor phénoménal de l’horlogerie de luxe et une concurrence exacerbée, a changé la donne. C’est en 2012 que la crise éclate au grand jour. Nicolas Hayek, PDG de Swatch Group, annonce ouvertement que les livraisons des spiraux par Nivarox, ne seraient plus assurées. Le monopole de la production de mouvements mécaniques et de pièces détachées est un avantage comparatif majeur pour Swatch Group qui ne veut plus livrer des marques concurrentes.
L’annonce provoque un tollé dans les milieux horlogers, très dépendants des filiales du géant biennois. A défaut d’accord, la bataille juridique est enclenchée. En 2013, la décision de justice suisse tombe : les grandes maisons horlogères réussissent à gagner un peu de temps avec des livraisons assurées jusqu’en 2020. C’est une première victoire pour les grandes maisons horlogères qui veulent sortir de l’emprise de Swatch Group. Le gendarme de la concurrence estimant qu’il n’existait pas à l’heure actuelle d’alternative aux spiraux produits par Nivarox. La Comco (Commission de la Concurrence) donne ainsi à l’industrie le temps de se retourner, mais en prévoyant une réduction progressive des livraisons de mouvements mécaniques du groupe horloger biennois à ses concurrents. La décision aura pour conséquence une hausse des prix de ces pièces.
Depuis les années 1980, Nivarox en produit des millions chaque année. Plus de 95% des montres suisses sont équipées de son spiral. Les « mouvements » suisses sont mondialement réputés pour leur grande fiabilité, leur précision, leur résistance aux chocs et à l’eau, en particulier ceux produits par Swatch Group qui sont extrêmement précis et leur qualité difficile à égaler. Ce sont aussi les plus coûteux. Un mouvement suisse coûte le double du prix d’un mouvement japonais. Reste que la mondialisation de l’horlogerie suisse est déjà une réalité. Les entreprises chinoises et thaïlandaises sont par ailleurs capables de produire des mouvements d’aussi bonne qualité que ceux de Swatch Group.
La haute horlogerie suisse cherche à gagner du temps pour sauver son industrie
Les grands horlogers suisses n’étaient pas encore préparés à se passer de certaines pièces essentielles au fonctionnement des montres mécaniques, qui sont pour l’heure fournies presque exclusivement par Swatch Group. Plus de 95% des montres suisses en sont équipées. «L’objectif de nos clients est de se dégager de l’emprise de Swatch Group, dont la filiale Nivarox verrouille les approvisionnements de spiraux et décide de ne plus fournir la concurrence, de façon inopinée», décrit le directeur d’Atokalpa, qui reste concurrentiel sur le balancier-spiral haut de gamme, sans toutefois atteindre les tarifs auxquels Nivarox équipe les millions de mouvements ETA de Swatch Group.
Atokalpa, un sous-traitant micromécanique jurassien appartenant au pôle horloger de la Fondation Sandoz, constitue aujourd’hui une rare alternative. Avec une production avoisinant les 200.000 oscillateurs par an, Atokalpa fournit aujourd’hui une quarantaine de marques de l’horlogerie mécanique suisse.
Swatch Group n’en ait pas à son coup d’essai. Déjà sur les débats autour de la protection du label «Swiss made», sa position s’inscrivait dans une stratégie pugnace dénonçant certaines pratiques de ses concurrents. Pour Pierre-Yves Donzet, spécialiste de l’horlogerie suisse, auteur d’un livre sur l’histoire de Swatch Group et professeur d’histoire économique à l’université de Kyoto: « C’est exactement la même logique qui est à l’œuvre. Pour Swatch Group, augmenter la part des composants de montres devant être fabriqués en Suisse de 50 à 60% était un moyen de renforcer sa position par rapport aux autres groupes. Ces derniers n’ont pas pu contester publiquement cette position, faute de quoi ils auraient été mis au ban de l’industrie. »
8O% du marché de la haute horlogerie est détenu par 5 groupes. En 2018, les montres du Swatch Group représentaient 28,6% des ventes mondiales, celles de Rolex et de Tudor 23,5%, celles de Richemont 18,4% et celles de LVMH 7,9%. Swatch Group est le numéro 1 mondial de l’horlogerie avec un bénéfice net de 867 millions de francs suisses (environ 771 millions d’euros) en 2018 (+ 14,8 %) pour un chiffre d’affaires de 8,4 milliards de francs suisses (environ 7,5 milliards d’euros, + 6,1 %).
Il faut également rappeler que seuls le mouvement et son assemblage final sont concernés par le «Swiss Made». Le design de la montre n’est pas protégé par le label suisse. La presque totalité des boîtes, des cadrans et des bracelets de montres suisses sont ainsi fabriqués à l’étranger, essentiellement en Chine.
Quand les composants deviennent stratégiques
Les industriels ont décidé de contre-attaquer en investissant significativement dans la recherche et développement de solutions in-house et un outil industriel performant. L’objectif étant de se donner les moyens de leur indépendance.
Le spiral, aussi stratégique et névralgique soit-il, relève de la science des matériaux. Les industriels ont compris tout l’intérêt de trouver des alternatives aux alliages métalliques. Les propriétés du silicium se sont révélées idéales pour la production de spiral offrant même de nouvelles perspectives de développement. De nombreux brevets ont été déposés par Swatch Group comme par Sigatec, un consortium formé de Breguet, Patek Philippe et Rolex a également abouti à ses propres composants en silicium. Rolex a ainsi été l’une des premiers à breveter, en 2000, un alliage amagnétique composé de niobium, de zirconium et d’oxygène : le Parachrom. Quelques années plus tard, c’était au tour d’Ulysse Nardin, suivi de Patek Philippe puis de Swatch Group, de développer des spiraux en silicium. D’autres matériaux ont aussi été étudiés comme le carbone. TAG Heuer a présenté en début d’année son propre spiral en composite de carbone.
C’est dans ce contexte que le fabricant Suisse Ronda, connu pour ses mouvements à quartz, a annoncé le lancement de son nouveau mouvement mécanique, le R150 au Salon Baselworld 2016. Ce calibre oscille à une fréquence de 4 Hz (28800 alternances) et dispose d’une réserve de marche de 40 heures. Des caractéristiques qui répondent au cœur du marché et qui le positionne en concurrent direct des mouvements ETA de Swatch Group.
Avec le Nivachron, Swatch Group mise sur la rupture technologique
Dernière innovation révélée au printemps dernier par Swatch Group et Audemars Piguet, le spiral paramagnétique réalisé dans un tout nouvel alliage à base de titane : le Nivachron™. Ce matériau est résistant aux champs magnétiques, aux variations de température, aux chocs et au vieillissement. Moins cher à produire que le silicium, le spiral Nivachron™ équipe déjà la Flymagic, la série limitée de Swatch. Une solution économique qui n’est pas destinée à remplacer le silicium, mais qui profitera assurément à d’autres marques du Groupe et aussi d’autres grandes maisons. Nick Hayek, patron de Swatch Group de dire : « En 2019, dans l’horlogerie, il y a ceux qui auront un mouvement amagnétique et les autres».
Alors que l’accord sur les livraisons de Nivarox courent jusqu’au 31 décembre 2019, la ComCo à relancer en juin dernier une enquête pour vérifier les conditions de marché de ces mouvements mécaniques. A noter que les brevets déposés sur le spiral en silicium courent selon les pays jusqu’en 2020 à 2022. Une occasion de raviver la guerre que se livrent les grands groupes horlogers depuis plus de dix ans, et de l’accentuer encore à l’avenir.
Coulombez Wentinck
Pour en savoir plus :
https://www.lefigaro.fr/horlogerie/2019/03/01/30006-20190301ARTFIG00029-swatch-nouvelles-architectures.php
https://www.lesechos.fr/2018/04/la-reprise-du-marche-de-lhorlogerie-se-confirme-989227
https://www.ohselection.com/chiffres-cles-de-lindustrie-horlogere-mondiale-en-2018/
https://www.agefi.com/home/news/detail-ageficom/edition/online/article/le-sous-traitant-micromecanique-jurassien-appartenant-au-pole-horloger-de-la-fondation-sandoz-est-ouvert-a-toutes-les-marques-