La guerre des vaccins : le cas du virus Ebola en République démocratique du Congo

Dans un communiqué du 23 septembre dernier, MSF accuse l’OMS de rationner le vaccin des laboratoires Merck, le seul utilisé à ce jour pour lutter contre la maladie à virus Ebola, qui sévit depuis plus d’un an en République Démocratique du Congo, RDC. Le virus Ebola a été identifié pour la première fois en 1976, en RDC. A l’origine d’épidémies d’ampleur difficilement maîtrisables, la fièvre hémorragique causée par ce virus, pour laquelle il n’existe pas à ce jour pas de traitement homologué réapparaît régulièrement, dans plusieurs pays d’Afrique. Déclarée le 1er août 2018, l’épidémie qui frappe l'est de la RDC (essentiellement les provinces du nord et sud Kivu et d'Ituri) est la plus grave depuis l'épidémie ayant touché l'Afrique de l'Ouest entre fin 2013 et 2016. Cette 10ème flambée épidémique, en RDC depuis 1976, a fait plus de 2123 morts au 13 octobre, d’après les derniers décomptes de l’OMS

La problématique du virus Ebola


Transmissible par contact direct avec le sang, les secrétions corporelles, la manipulation sans précaution de cadavres contaminés, ce virus provoque des fièvres hémorragiques graves. Il est hébergé par les chauves-souris qui sont des porteurs sains et semblerait être transmis aux primates avant que ceux-ci ne le transmettent à l’homme qui consomme de la viande de singe. La durée d’incubation, varie de 2 à 21 jours. Tant qu’ils ne présentent pas de symptômes, les sujets humains ne sont pas contagieux. La mort du patient survient généralement assez rapidement après l’apparition des symptômes. Le taux de létalité en RDC est actuellement de 66%, soit en très légère baisse de 1% par rapport à cet été. 

Au-delà de la virulence du virus, les comportements humains sont des facteurs aggravant de prorogation de l’épidémie. Les populations qui se déplacent cherchent à éviter les différents points de contrôle et lorsqu’elles sont obligées de passer par l’un d’entre eux, elles cachent leur identité.  Le déni de la maladie, le refus de la vaccination, de l’hospitalisation et les enterrements qui ne respectent pas les précautions sanitaires et qui génèrent des déplacements de population sont des risques identifiés. 

Enfin, le contexte sécuritaire des régions touchées est un vrai problème. Par exemple, les sanguinaires Forces démocratiques alliées (ADF) dont les incursions meurtrières ont pour conséquence la suspension des actions de prévention au nord de Beni. Ces résistances sont même allées jusqu’à l’assassinat d'un médecin épidémiologiste de l'OMS dans l'attaque d'un hôpital à Butembo en avril, et l'attaque des centres de traitement d'Ebola à Butembo et Katwa. 

Le vaccin utilisé est le rVSV-ZEBOV, du laboratoire américain Merck&Co ; il a montré son innocuité et son efficacité contre la souche Zaïre du virus Ebola après une phase III d’essai Clinique en Guinée pendant l’épidémie de 2014-2016*. Autrement dit il a été utilisé pendant plus d’un an au stade encore expérimental. Pour son application, l’OMS recommande une stratégie en anneau : le vaccin est d'abord proposé aux contacts des cas confirmés (premier anneau), ainsi qu’aux contacts de ces contacts, (soit le deuxième anneau). 

Il empêche la maladie de se développer chez des personnes récemment infectées. En plus du vaccin, un comité de surveillance indépendant a recommandé, le 12 août dernier, l’arrêt anticipé d'un essai thérapeutique médicamenteux sur le virus Ebola en raison des résultats favorables obtenus avec deux des quatre candidats. L’OMS décide donc d’autoriser, la prise de ces deux traitements expérimentaux eux aussi, en complément du vaccin. 

Décryptage d'une guerre économique par l'information


Le 23 septembre dernier, MSF dénonce un manque de transparence de la part de l’OMS dans le choix d’attribution des doses de vaccin, malgré des éléments objectifs : doses de vaccin en nombre suffisant (Merck venait « de déclarer qu’en plus des 245 000 doses déjà délivrées à l’OMS, ils étaient prêts à envoyer 190 000 autres doses si nécessaire, et que 650 000 autres seraient mises à disposition dans les 6 à 18 prochains mois ») et population souhaitant se faire vacciner. 

Afin d’éclairer la décision, MSF appelle, dans son communiqué, à la création d’un comité de coordination international indépendant. « Ce groupe rassemblerait des partenaires mandatés pour améliorer la coordination de la vaccination, garantir la transparence sur la gestion des stocks et le partage des données, stimuler des discussions ouvertes avec les producteurs de vaccins, et au final assurer que les vaccins bénéficient au plus grand nombre possible de gens exposés au virus. » 

Interrogée par l’AFP, l’OMS dément toute limitation d’accès au vaccin. Selon elle, elle applique la stratégie décidée par le comité d’experts indépendants, comme convenu avec le gouvernement de la RDC. En dénonçant une gestion opaque des pratiques de l’OMS en matière d’éligibilité des populations à vacciner, MSF relance la polémique sur l’arrivée d’un deuxième vaccin qui serait poussé par l’exécutif de la RDC. 

Ce deuxième vaccin anti-Ebola est produit par le laboratoire belge Janssen Pharmaceuticals, filiale de l’Américain Johnson & Johnson. En mai dernier, le laboratoire déclarait à la presse belge qu’il était prêt à envoyer des doses de son vaccin expérimental en RDC, en très grande quantité (jusqu’à 1,5 millions de doses). A ce jour il a été testé en Ouganda sur environ 6000 personnes. Il est plus compliqué d’utilisation car s’applique en deux fois, à 56 jours d’intervalle, ce qui est rendu difficile par les déplacements des populations. 

Il a été recommandé par le groupe stratégique consultatif d’experts (SAGE, Strategic Advisory Group of Experts on Immunization). Le Groupe SAGE sur la vaccination, créé en 1999 par le Directeur général de l’Organisation mondiale de la Santé, est chargé de formuler des recommandations sur les travaux du Département Vaccination, vaccins et produits biologiques de l’OMS. C'est le groupe consultatif le plus important pour l’OMS dans le domaine des vaccins et de la vaccination. Il a pour mission de conseiller l’OMS sur les politiques et les stratégies à mettre en œuvre au niveau mondial, qu’il s’agisse de vaccins et de technologies, de recherche et de développement, ou d’opérations de vaccination, ou des liens entre ces interventions et d’autres interventions sanitaires. 

Les racines de la polémique


Cette polémique trouve son commencement quand, le 17 juillet dernier, l’OMS décrète l’urgence de santé publique mondiale. En effet, l’épidémie qui n’est toujours pas circonscrite depuis un an, vient d’arriver à Goma, ville de plus d’un million d’habitants de la région des grands lacs, proche des frontières de l’Ouganda et du Rwanda. Le risque est grand de voir l’épidémie se répandre de façon exponentielle compte tenu de la situation de Goma et des accès portuaires et aéroportuaires qu’elle propose. 

Cette décision signifie que des fonds considérables vont être débloqués, que des équipes internationales vont débarquer et déposséder de la gestion de la crise le gouvernement. Rappelons, que la situation politique en RDC est tendue et que le nouveau président Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo qui a été élu en décembre 2018 doit encore faire ses preuves dans un contexte sécuritaire tendu. Cette décision a également pour conséquence directe la démission de l’ex-ministre de la santé, le Dr Oly Ilunga, le 22 juillet, lequel dénonça sur son compte Twitter, des tentatives d’introduction d’un deuxième vaccin « par des acteurs qui ont fait preuve d’un manque d’éthique manifeste ». 

Il dénonça  clairement, un peu plus tard dans une interview au Monde, les agissement de J&J en annonçant « j’ai la preuve que tous les préparatifs au niveau de l’administration du vaccin de Johnson & Johnson ont été mis au point, que des lieux ont été retenus pour démarrer les vaccinations, dans le dos des autorités congolaises. Des personnes bienveillantes, souhaitant nous alerter sur ces manœuvres, nous ont transmis des emails échangés entre ce consortium et ceux qui devaient démarrer les vaccinations sur le terrain. » 

Les positions contradictoires des laboratoires


D’après STAT, média américain produit par le Boston Globe Media, l’ex-ministre de la santé avait suggéré la création d'un consortium composé de l'école d'hygiène et de médecine tropicale de Londres, de Médecins sans frontières et d'autres personnes autorisées à conduire un essai clinique du vaccin anti-Ebola de J&J dans le pays, mais pas dans la zone d’épidémie, où le vaccin expérimental de Merck est utilisé. Peu de temps après, lors de la consultation internationale sur la vaccination contre la maladie Ebola, qui s’est tenue à Kinshasa les 18 et 19 juin, l’ex-ministre avait annulé cette option, arguant notamment de la méconnaissance quant à l’efficacité du nouveau vaccin et des risques liés en terme d’image si un nouveau vaccin était utilisé, vis-à-vis du vaccin actuel des laboratores Merck, qui lui avait prouvé son efficacité. 

En réaction, le Dr Josie Golding, responsable des épidémies au Wellcome Trust, exhorta la RDC à revoir son positionnement sur l’utilisation d’un seul vaccin. Le Wellcome Trust, qui fait partie du consortium cité plus haut, est une fondation caritative anglaise qui serait, d’après Wikipédia, « la seconde plus riche après la Fondation Bill-et-Melinda-Gates », « en termes d'avoir ». J&J, a fait savoir qu’il se tenait prêt à intervenir si le gouvernement de la RDC revenait sur sa décision. 

Parallèlement des annonces étaient faites sur l’incapacité de Merck à fournir les vaccins en dose suffisantes quand le vaccin de J&J était présenté comme disponible en 1,5 millions de doses (cf. supra). Le vaccin de J&J était déployé sur le sol de la RDC et de plus en plus aisément une fois le Dr. Ilunga démis de ses fonctions. Le 20 juillet, le président de la RDC, plaçait la conduite de la riposte à un secrétariat technique, coordonné par le Docteur Jean-Jacques Muyembe, virologue reconnu, ayant participé à la découverte du virus en 1976. 

Dans une interview à Colette Braeckman (journaliste Belge, membre de la rédaction du journal francophone Le Soir) pour son blog le carnet de Colette Braeckman, le Dr Jean-Jacques Muyembe, directeur de l’IRNB (Institut de recherches biomédicales) et responsable de la coordination multisectorielle de lutte contre Ebola depuis peu, indique que les deux vaccins n’ont jamais été mis en concurrence. Seul le vaccin produit par les laboratoires Merck, est reconnu efficace. D’après lui, ce vaccin est destiné à couper la chaîne de transmission entre un malade Ebola confirmé par le laboratoire et son entourage direct (ses contacts) et les contacts de ces contacts. Il n’est donc pas destiné à une population générale. Par ailleurs, le groupe d’experts du SAGE, avait estimé lors de sa réunion le 5 mai que si l’épidémie durait plus longtemps, les stocks viendraient à épuisement rapidement, et avait donc recommandé de diviser par deux les doses et de recourir à un second vaccin préventif. 

Parmi les 3 autres vaccins en course, Janssen (Johnson&Johnson, J&J), CanSino Biologics Inc. (Chine) et Rospotrebnadzor (Russie), celui de J&J présentait des données scientifiques en plus grand nombre. Néanmoins, les vaccins russes et chinois ont été homologués dans leur pays d’origine, sans appui de données sur l’efficacité humaine des produits. A l’origine de ce deuxième vaccin, un Belge, le Docteur Paul Stoffels, ancien du Congo et du Rwanda, qui, après avoir travaillé pour la société Janssens Pharmaceutica, rachetée par J&J, a été nommé à la tête du département « recherche » de la société américaine. Joint par téléphone, il explique à Colette Braeckman que « l’aspect financier est secondaire : « notre recherche a coûté 700 millions de dollars en quinze ans, dont 50% payés par la société J & J… Au bénéfice de l’humanité… » En effet, d’après lui, les autorités américaines, après les attentats du 11 septembre ont cherché à lutter contre les menaces bio-terroristes. 

Les fonds alloués dans la lutte contre Ebola


Si J&J semble proposer un vaccin par philanthropie, les sommes engagées montrent un réel enjeu économique.Les Etats-Unis se présentent comme le 1er contributeur via USAID avec 98 millions de dollars, indique leur ambassade à Kinshasa. Suite à la déclaration de l’OMS qui avait élevé Ebola en RDC au rang « d'urgence de santé publique de portée internationale », la Banque mondiale avait annoncé le 24 juillet l'octroi d'une aide pouvant aller « jusqu'à 300 millions de dollars », qui s'ajoutent aux 100 millions de dollars déjà versés par l'institution via son mécanisme d'aide d'urgence en cas de pandémie. » 

Le 2 octobre, la Banque mondiale annonce finalement l’allocation de 280 millions de dollars au renforcement de la veille sanitaire en Afrique Centrale, dont 15O millions de dollars pour la RDC. Le 25 septembre, suite à la réunion des ministres régionaux de la Santé sur la riposte à Ebola, Alex Azar, ministre américain de la santé, lobbyiste pharmaceutique notoire, indique que l'U.S. Department of Health & Human Services, fournira, 23 millions de dollars à Merck, pour produire les doses de vaccine Ebola pour l’année prochaine, soit un total de 176 millions de dollars pour soutenir le développement du vaccin expérimental. Il faut rappeler que Merck & Co et Johnson & Johnson, sont tous deux des laboratoires pharmaceutiques américains. 

Conclusion 


La démission d’Ilunga, dont la chute se poursuit (il est désormais accusé de détournements de fonds important), ouvre la voix au vaccin de J&J. Est-ce que l’annonce de l’aide du ministère de la santé américain, au laboratoire Merck, peut laisser supposer que celui-ci ait une chance de « reprendre le dessus » dans la course ? Est-ce que le fait que l’Agence européenne des médicaments ait recommandé une mise sur le marché sous conditions du vaccin rVSV-ZEBOV-GP, le 18 octobre dernier, étape cruciale avant que la décision sur l’homologation ne soit prise, peut faire espérer une victoire à Merck sur son concurrent ? Rien ne semble moins sûr compte tenu des prises de position du gouvernement de la RDC, qui semble approuver l’utilisation d’un vaccin peut être viable, mais qui n’a pas encore fait ses preuves. 

 

Aude Zeiler