Selon la définition générale formulée par le Groupe d'action financière (GAFI), le blanchiment de capitaux est défini comme le fait de camoufler le produit du crime par des moyens légaux. Si on se réfère au CIA Factbook, Londres est considéré comme un « centre du blanchiment d’argent »[1], d’autres sources telles que Transparency international, confirme ce constat et estime que 100 milliards de livres britanniques sont issues du crime organisé en Grande-Bretagne. De plus, en Décembre 2018, Duncan Hames, directeur des politiques au sein de Transparency International UK, a déclaré :
« La réglementation britannique de lutte contre le blanchiment de capitaux dans le secteur privé reste faible, fragmentée, et manque de dissuasion crédible. Le gouvernement devrait adopter les lois sur la responsabilité des entreprises, celle-ci promises de longue date, afin de demander aux entreprises de rendre compte de leur rôle dans le blanchiment d'argent sale au Royaume-Uni. »
La fragilité de la place de Londres
Malgré l’ensemble des lois, mesures et conventions internationales prises contre le blanchiment de capitaux et la lutte contre le financement du terrorisme, la Grande-Bretagne garde une flexibilité évidence dans la façon d’enregistrer les sociétés ainsi que dans la manière de dissimuler les réels bénéficiaires économiques. Les révélations des panama papers, et autres affaires montrent une directe liaison entre les juridictions historiquement placées sous la responsabilité de la couronne britannique, et le blanchiment d’argent.
L’ONG Transparency international estime que plus de 86 000 propriétés immobilières britanniques appartiennent à des sociétés étrangères, implantés dans des juridictions étrangères, très souvent au sein du Commonwealth, où il est impossible d’identifier leur propriétaire physique. Bien que moralement repréhensible, cette concurrence déloyale par le jeu des juridictions, et îles britanniques aux statuts particuliers, profite au Royaume unis, ou les cas de blanchiment de capitaux sont actuellement évalués à plus de 90 milliards de livres par an.
À l’approche du Brexit, visiblement sans accord raisonnable, l’avenir économique et financier du Royaume-Uni suscite de plus en plus d'inquiétudes pour les autorités britannique. Parmi ces craintes, une tourmente économique, une volatilité boursière, et un assèchement des investissements. Comme l’expliquait Antonio Maria Costa (chef de l'Office des Nations Unies contre la drogue) lors de la crise des subprimes, plusieurs banques en manque de liquidités n’ont pas hésité à blanchir l’argent de la drogue pour un montant de 325 milliard de dollars US. Loin d’atteindre cette ampleur, les autorités britanniques sont néanmoins soucieuses de ce risque et prennent en compte la menace réelle de la montée du blanchiment d’argent. Le National Crime Agency (NCA), a déclaré avoir reçu 463 938 rapports d'activités suspectes en 2018, soit près de 10% de plus que l'année précédente. Les préoccupations concernant le blanchiment de capitaux avérés, ont quant à eux augmenté de 20%, pour atteindre 22196 cas en 2018. L’instabilité parlementaire du royaume, l’imbroglio politique, et l’indécision populaire créent autant d’opportunité de « placer » des capitaux étrangers en Grande-Bretagne
Avec un Brexit sans accord, les craintes concernant la sécurité budgétaire du Royaume-Uni sont de plus en plus grandes. Le Royaume-Uni deviendrait ainsi un pôle d’attraction encore plus important pour la criminalité en col blanc.
Utilisant implicitement l’argument fiscal et économique, afin d’obtenir des concessions de la part de Bruxelles, Londres brandit la thèse de la flexibilité, et des taux d’impositions plus compétitifs, créant ainsi une zone de complaisance fiscale aux portes de l’Europe. Le premier ministre Johnson a souligné la possibilité d’installation de ports francs, et de zones à fiscalité avantageuse, afin d’attirer les capitaux étrangers. Cette situation nouvelle ouvre la voie à nombreuses opportunités de blanchiment d’argent, facilitées par le flou règlementaire et l’incertitude post-Brexit.
Dans un tel contexte, il est à craindre un attrait potentiel de la City pour les capitaux d’origine criminelle. Cette soif d’investissement a amené l’économie britannique à être infiltrée par la mafia. En 2018 le Sunday Times explique comment la Ndrangheta calabraise a détecté l’avantage d’un besoin d’investissement, avec la flexibilité comptable britannique. Les cas les plus utilisés sur la place boursière de Londres sont ce que l’on appelle le trading miroir. Cela consiste à acheter des produits boursiers dans une devise, et revendre ces mêmes produits en euro ou dollars. Ceci fut le cas pour le client d’une banque basé à Moscou, qui à partir de roubles a pu les convertir en dollars américain pour un total d’au moins 6 milliards en dollars en utilisant les marchés. Une fois convertis en devise facilement échangeable, ces capitaux peuvent alors être transférés sur des comptes bancaires européens dans des pays tels que Chypre, Malte, l'Estonie et la Lettonie.
Les alternatives londoniennes de guerre boursière
La Grande-Bretagne dispose d’autres stratégies financières du fait de son écosystème financier regroupant un ensemble d’acteurs, qui conjointement peuvent fragiliser l’Union Européenne avec la méthode du shadow banking. En effet, les prêteurs, courtiers et autres intermédiaires de crédit ne relèvent pas du secteur bancaire conventionnellement réglementé, et donc disposent de plus de liberté que les institutions bancaires. Evoluant en dehors des régulation bancaire avec une puissance financière de 2.2 trillions de livres, le shadow banking britannique dispose d’une capacité de nuisance et de déstabilisation des plus importantes. En effet, les banques britanniques n’ayant pas la possibilité de réaliser certaines actions sur les marchés, celles-ci délèguent leurs taches aux acteurs non soumis à la règlementation bancaire. Dans un contexte de guerre économique les cibles sont les actions non cotées, produits dérivés non cotés, ou encore les credit default swap[2] (CDS) afin de déstabiliser des établissements ou juridictions concurrentes. Depuis mars 2019, une ligne swap c’est-à-dire d’échange, fut ouverte entre la banque centrale européenne et la banque d’Angleterre, permettant à ces deux institutions d’échanger dans leurs propres devises, mais aussi à la banque centrale européenne de prêter aux banques britanniques afin d’éviter une banqueroute.
Cependant, dans un contexte de crédit historiquement bas, le shadow banking par CDS, pourrait mener à parier sur un effondrement du système bancaire européen et une insolvabilité des établissements européens en difficulté, dont des banques italiennes et espagnoles, ainsi que la Deutsche Bank, la Commerzbank et plusieurs banques régionales allemandes. La récente étude du cabinet McKinsey explique qu’une banque sur trois est menacée de disparition dans le monde. Au même titre que Georges Soros ayant spéculé contre la livre britannique en 1992, nous pouvons craindre une situation similaire de la part de nos alliés britannique contre l’Europe.
Le Royaume-Uni, à défaut de trouver une sortie diplomatique de l’UE, devrait chercher à conclure des accords de partage de données financières, qui bénéficieraient à tous les pays de l'UE. La lutte contre la criminalité financière va devenir plus difficile et nous devons nous y préparer collectivement. Les représentants britanniques font preuve de cynisme en utilisant indirectement la fraude, le dumping, et le blanchiment de capitaux afin de négocier, ou à terme de déstabiliser une Europe déjà fragile sur les questions fiscale.
Ahmed Graouch
[1] Dans le texte moneylaundering center.
[2] Credit default swap appelé aussi CDS.