L’affaire du tritium dans l’eau du robinet

 

La parution d’un article du Canard enchainé intitulé « De l’eau potable assaisonnée à la radioactivité » ouvre la voie à des dérapages informationnels de nature sociétale. La source du « Canard Enchaîné » ? Un rapport de l’Association pour le Contrôle de la Radioactivité dans l’Ouest (ACRO). Basée dans le Calvados, l’association d’initiative populaire est née des suites de l’accident de Tchernobyl. Elle a pour mission de faire connaître les taux de radioactivité dans l’environnement et de favoriser la démocratie participative dans la prise de décisions concernant la filière nucléaire. Pour son fonctionnement, elle reçoit une subvention du Ministère de la Transition Ecologique ainsi qu’une autre de l’Autorité de Sûreté Nucléaire. Les informations révélées ne sont donc pas issues de militants anti-nucléaires ; elles seront pourtant reçues comme telles… Aussitôt, les réactions s’enchaînent. Des élus écologistes des conseils régionaux des Pays-de-la-Loire, de la Nouvelle-Aquitaine et du Centre-Val-de-Loire (principales régions touchées par ces taux de tritium plus hauts que la normale) interpellent les autorités dans un texte commun. Relayée par l’AFP le 17 juillet, l’information suscite des dizaines d’articles et de reportages dans les médias, souvent alarmistes, et qui font fi de la précision pourtant très claire de l’ACRO : « Aucune valeur (de contrôle) ne dépasse le critère de qualité […] instauré par les autorités sanitaires». Peu importe, la psychose se répand. 

Le 18 juillet, un message audio devient viral sur les réseaux sociaux, qui émanerait d’une personne se présentant comme infirmière à l’hôpital Bichat, à Paris. « Je vous fais ce message pour vous dire de ne surtout pas boire l’eau du robinet. Parce qu’étant infirmière […] au niveau des hôpitaux de Paris, à Bichat, on a reçu un arrêté préfectoral à l’instant disant que toute l’eau de l’Ile-de-France et de Paris a été contaminée au titanium donc est radioactive. […] A priori, ils n’ont pas trop l’intention de prévenir en fait au niveau national. Donc du coup à l’hôpital ben on prévient tous nos proches. Donc je vous fais ce petit message : ne buvez pas l’eau du robinet […] », raconte l’inconnue que personne ne parviendra à tracer. 

Une polémique opportuniste ?


Alors que la supposée contamination de l’eau potable occupe les médias, Médiapart (dans un texte de blog en date du 19 juillet « EDF face au « buzz » de la contamination de l’eau par le tritium ») revient dans le débat public, et s’offre même une cinglante critique de son confrère et concurrent « Le Canard Enchaîné » dont l’article semble avoir tout déclenché : « Derrière la polémique relayée par « Le Canard enchaîné » notamment, toujours cette même volonté de nuire à l'atome et à EDF. Qui assure pourtant que "la quantité de tritium dans l'eau du robinet est 170 fois au-dessous de la valeur à ne pas dépasser fixée par l'OMS. », peut-on lire en préambule de cet article qui souligne aussi les « fantasmes » autour des activités liées à l’atome, ceci au niveau mondial. Et de préciser que, « selon les autorités, la dose de radioactivité reçue dans l'année pour un adulte consommant 2 litres d'eau par jour (…) était bien inférieure au seuil d'exposition considéré comme dangereux. » La filière nucléaire s’est incontestablement trouvé un allié ! Pour en finir avec la théorie du complot et la rumeur qui enfle, il faut attendre le 20 juillet pour que l’ACRO publie un nouveau communiqué auprès de l’AFP : «Nous ne sommes pas responsables de la rumeur […] Notre intention [avec cette étude] n’est pas de faire paniquer les gens mais de susciter le débat.» 

L'usage de la désinformation dénoncé par les pouvoirs publics


Un communiqué qui en précède un autre, le 22 juillet, beaucoup plus précis : « Les promoteurs de l’énergie nucléaire ont vu d’un mauvais œil cette information sur les rejets de leurs installations qui impactent directement l’eau potable. Certains ont essayé de faire croire que ce tritium était naturel, alors qu’aux taux relevés, il ne peut être qu’artificiel. Mais, personne ne s’est intéressé à l’objet même de notre communication, à savoir quelle alimentation en eau potable en cas d’accident nucléaire grave ? Dans ce contexte, un message a été posté anonymement sur les réseaux sociaux. Il mentionnait une contamination au « titanium », et non au tritium, et un prétendu arrêté préfectoral interdisant de boire de l’eau du robinet en Ile de France. Il a semé la panique et entraîné des messages rassurants des autorités sur la qualité de l’eau de consommation. L’ACRO a rapidement démenti sur Twitter cette fausse information, dès qu’elle a découvert la rumeur. Peine perdue, (cela) a permis d’accuser l’ACRO d’avoir semé la panique. S’en est suivie une avalanche de tweets insultants basés sur la théorie du complot : l’ACRO manipulerait les journalistes. C’est nous donner beaucoup de pouvoir ! Certains sont même allés jusqu’à proférer des menaces. (…) Notre observatoire de la radioactivité dans l’eau va être étendu et nous continuerons à communiquer sur le sujet. C’est la raison d’être de notre association, qui milite pour le droit de savoir dans le domaine du nucléaire et de la radioactivité. » 

Pour « calmer le jeu » et rassurer la population, tout le monde s’y met. Outre l’ACRO, une deuxième salve d’articles et reportages apparaissent, dénonçant clairement la « fake news ». Le 19 et le 20 juillet, la préfecture d’Ile-de-France, le Directeur général de l’Agence régionale de santé francilienne, ou encore d’Eau de Paris y vont chacun de leurs tweets pour indiquer que l’on peut sans crainte continuer à boire l’eau du robinet. Enfin, le 22, une enquête est ouverte par le Parquet de Paris pour diffusions d’informations fausses de nature à troubler la paix publique. Malgré la faiblesse de l'argumentation d'attaque, le filon fait encore vendre ou « buzzer » dans certains médias. Julien Bayou n'hésite pas à déclarer sur France Inter « on a encore une fuite de tritium en Ile-de-France », un magazine titrant « L’homme moderne boit et pisse radioactif  et même le très sérieux Télérama « L’eau que vous buvez à Paris est-elle saine ? ». 

Sur le terrain juridique, une association a porté plainte contre EDF : « L'action, qui se veut avant tout "symbolique", vise à dénoncer la "mise en danger de la vie d'autrui" et invoque le "principe de précaution" vis-à-vis des rejets des centrales nucléaires. » Ces quelques semaines marqueront les esprits par la virulence du débat et les moyens employés, à la hauteur des intérêts politiques et économiques engagés dans l’adoption d’un texte polarisant peur et fausse information. 

 

Guillaume Gascoin