L’influence des "portes étroites" sur le Conseil Constitutionnel et le Conseil d'Etat

 


La force est un argument de moins en moins recevable dans l’opinion publique. Faire triompher son point de vue et imposer sa volonté nécessite l’utilisation d’un nouveau moyen : l’influence.    Discrète en apparence, tant elle se joue à l’abri des regards, elle s’impose progressivement sur les différents échiquiers politique, militaire et économique. Mais une nouvelle logique d’influence émerge, sur le terrain juridique cette fois, bouleversant ainsi tous les rapports de force et faisant apparaître une nouvelle notion : celle de l’intelligence juridique. Selon le Professeur Bertrand Warusfel, il s’agit de « l'ensemble des techniques et des moyens permettant à un acteur privé ou public de connaitre l'environnement juridique dont il est tributaire, d'en identifier et d'en anticiper les risques et les opportunités potentielles, d'agir sur son évolution et de disposer des informations et des droits nécessaires pour pouvoir mettre en œuvre les instruments juridiques aptes à réaliser ses objectifs stratégiques. » [i] 

Cette définition repose sur la combinaison des deux facteurs : 
 

  • Un mode de gouvernance fondé sur la maîtrise et le traitement de l’information stratégique, tel que conceptualisé, pour la première fois en France, dans le Rapport Martre de 1994[ii];
  • L’utilisation stratégique des moyens de droit.


La pratique des contributions extérieures auprès du Conseil constitutionnel (CC) et du Conseil d’Etat (CE) nous en donne une illustration. Également appelées « portes étroites, elles désignent une pratique informelle consistant pour les groupes d’intérêt à déposer des observations ou analyses juridiques auprès CC quand celui-ci est saisi, par le Parlement ou l’exécutif, pour juger d’une loi. Elles peuvent, également, être adressées aux sections administratives du Conseil d’Etat (CE), par la voie non juridictionnelle, lorsqu’il est saisi par le Gouvernement d’un projet de loi ou de décret. Elles permettent à ces groupes d’intérêts de peser dans un sens propre à leurs intérêts, sur le processus de création normative (loi et/ou décret).  Sur ce nouveau terrain d’affrontement informationnel, est en position de force celui qui détient le pouvoir d’écrire la norme. En effet, si l’influence auprès des Ministres et des Parlementaires, détenteurs traditionnels du pouvoir normatif, est acquise (cf rapport 2008), les acteurs économiques concernés par une loi ou un décret, déplacent désormais leurs actions d’influence devant ces deux institutions chargées de les faire respecter.  Leur puissance économique dépend dés lors de leur connaissance du droit en ce qu’il définit le cadre général plus ou moins favorable à l’exercice des activités économiques, ainsi que de ses instruments et des outils juridiques qu’il offre. Mais encore, de leur capacité à les utiliser à leur profit. 

Cette pratique peut être assimilée aux activités de lobbying qui visent à exercer une influence favorable à leurs objectifs stratégiques sur les décisions normatives publiques. 

 

Kheira Tayeb


Lire le PDF : IInfluence CC CE 

  

[i] Bertrand Warusfel, intelligence juridique l'article dans le n°43 de la Lettre "Le Monde du droit". 

[ii] Rapport Martre de 1994.