La guerre Informationelle contre Heineken en Afrique

Les traces historiques de la bière en Afrique remontent à plusieurs milliers d’années avant J.-C. On en trouve notamment dans la région soudanaise du Nil bleu. Ce breuvage artisanal riche et nutritif est réalisé localement suivant un processus rapide de la fermentation de graines de manioc, fonio, sorgho. Les bières en Afrique englobent une dimension religieuse et sociale avec des recettes locales transmises de génération en génération selon les régions africaines portant le nom de Walwa Wamasa en Zambie et au Zimbabwe, Utshwala en Afrique du Sud ou encore Chapalo au Bénin, Burkina Fasso, Côte d’Ivoire et Togo. Des nos jours, seulement quatre firmes se disputent le marché africain : la marque néerlandaise Heineken, ABInBEV classé comme premier brasseur du continent, le français Castel et le Britannique Diageo plus connu par sa filiale Guinness. Le marché est estimé à plus 13 milliards de dollars pour une moyenne annuelle de consommation de 13 litres par individu . 

Le marché africain de la bière est en expansion continue en raison de l’urbanisation rapide et de la croissance démographique. Cette croissance est renforcée par l’émergence d’une nouvelle classe moyenne pour qui la consommation de bière est devenue presque un rituel . Le marché est contrôlé par AB InBev (plus de 450 millions d’hectolitres produits et plus de 40% de la consommation en bière), suivie par le géant français Castel (70 millions d’hectolitres produits), puis du néerlandais Heineken avec plus de 20% du marché et enfin Diageo (Guiness). Heineken n’a sans cesse essayé de détrôner les leaders de bière africaine déjà présente depuis plus de 50 ans sur le continent (l’implantation du géant français dès 1960 ). 

L'intelligence des marchés d'Heineken


Depuis une dizaine d’années, le groupe Heineken conforte ses positions. Rien que sur les dix dernières années, Heinken a investi plus de 3 milliards d’euros sur le continent et a fortement étendu son empire africain : Ethiopie en 2011, Afrique du Sud en 2015 . En 2017, brasserie en Côte d’Ivoire et 2019 une brasserie au Mozambique. Son succès en Afrique est le fruit d’une stratégie pointue en fonction du pays ou s’implante l’entreprise sous différentes marques : la construction de brasseries avec une offre de qualité et un produit africanisé avec un rapport qualité / prix ainsi une stratégie ciblée visant le consommateur, mais aussi le rachat de sous fabricant et les négociations sur les marges des distributeurs. À partir de la qualité ciblée de ses offres, de sa capacité d’investissement fluide et émergente, des leviers d’influence politique et sociale et des soutiens caritatifs des ONG africaines, Heineken mène une guerre commerciale dans un espace confiné entre 4 grandes firmes internationales. Citons à titre d’exemple le cas du Mozambique où Heineken a investi 100 millions de dollars  dans sa première brasserie, mais encore la construction de brasseries ultramodernes au Congo, en Afrique du Sud, en Éthiopie en Côte d’Ivoire, etc, créant en même temps de l’emploi dans ces pays très pauvres . 

L’originalité stratégique du groupe inclut une subtilité défensive et de droit de réponse dans un continent dont les spécificités sont antagoniques. L’émergence d’un marché très prometteur, mais dans un environnement révélant une instabilité politique et financière doublée de la difficulté ethnique ne favorisant pas l’approche marketing globale, mais une étude au cas par cas . Le tout accompagné par une vision commerciale méthodologique de l’expansion continue de la marque en Afrique et du rachat local ainsi le contrôle et le monopole de certains marchés africains. 

La guerre informationnelle menée contre Heineken


L’entreprise néerlandaise mondialisée a depuis 1930 réussi à conquérir le continent africain par un long processus d’africanisation à travers le rachat de plusieurs brasseries locales. La firme emploie aujourd’hui plus de 13 500 salariés et compte 50 sites de production dans 21 pays. Cependant, les stratégies de Heineken se sont révélées être plus sombres que ne le laissaient paraître ses campagnes marketing de transparence. Le journaliste d’investigation néerlandais Olivier Van Breemen a mené une longue enquête pendant plus de cinq et dont il a rendu compte dans son ouvrage :  »Heineken en Afrique: Une multinationale décomplexée » parue en août 2018 aux éditions rue de l’échiquier . Cet ouvrage est le fruit d’une enquête menée dans onze pays africains (environ 300 sources interviewées). 

Van Breemen articule son accusation autour de plusieurs points : 
 


La véritable influence utilisée contre Heineken combine une théorie de persuasion et de partage de point de vue à l’influencé qui repose souvent par des méthodes simples et une stratégie indirecte ou directe de l’information, il y’a eu en effet une synergie de pouvoir et une propagande par le réseautage, les meetings et colloques . A la suite du livre de Van Breemen, un site internet a été créé, mis en ligne sous le nom de domaine : http://www.heinekeninafrica.com . Recensant tout les articles de presse, interview et meetings organisés notamment par TEDx  . 

Les opérations de guerre de l’Information dans le cas Heineken se répartissent comme suit :l 
 

  • La Tromperie : Désinformation, Manipulation, discrédit, rumeurs (cas du Kenya et du Nigeria pour la promotion de la prostitution en Afrique)
  • la contre-information : Identification des points faibles de l’adversaire (enquêtes menées dans plusieurs pays d’Afrique et le non-respect des chartes éthiques),
  • Exploitation de ses contradictions (cas Ethiopie : investissements de plus de 123 millions de dollars, mais subventions étatiques éthiopiennes), Utilisation de l’information vérifiable (cas de la Côte d’Ivoire).


Les enquêtes ont contribué directement ou indirectement à de lourdes sanctions et à la rupture de plusieurs partenariats stratégiques pour Heineken. ASNBank, qui investit dans des projets socialement responsables et durables, a arrêté de soutenir Heineken en vendant toutes ses actions. Global Fund, fonds mondial qui lutte contre le VIH, la tuberculose et le paludisme – soutenu par Bill & Melinda Gates – a aussi stoppé un partenariat avec l’entreprise suite aux révélations de l’auteur (Bill Gates étant un important actionnaire de Heineken) . Du côté néerlandais, la chambre du parlement a appelé le ministre du commerce à surveiller de près les pratiques de Heineken en Afrique, mais se pencherait sur la possibilité de récupérations des subventions publiques versées au brasseur . En République Démocratique du Congo, entre 1998 et 2003 (seconde guerre du Congo), 150 employés du groupe avaient été injustement licenciés, les enquêtes de Van Breemen ont donc contribué à leur indemnisation à hauteur de 1,3 million de dollars : l’envoi aux Pays-Bas des rapports et les articles publiés par des journaux influents tels que le Monde a permis d’influencer la gestion de ce dossier par la firme Bralima . 

La contre-offensive du groupe Heineken 


Le groupe néerlandais a mis en oeuvre une stratégie défensive, patiente non passive, visant à « fatiguer » l’adversaire. Le groupe bénéficie du soutien des acteurs politiques dans sa conquête des marchés africains, favorisant la promiscuité des régimes en places renforcés par l’action de l’élite africaine influente (dirigeants et lobbyistes) : Olusegu Obasanjo ancien président du Nigeria et un des hommes les plus influents d’Afrique, le président du Burundi Pierre Nkurunziza, étroites relations avec le chef du gouvernement Filipe Nyusi au Mozambique, Jean-Pierre Bemba en RDC etc .. Le groupe investit aussi dans la nouvelle élite africaine, offrant des stages aux talents prometteurs aux Pays-Bas afin d’occuper de hautes fonctions dans leur propre pays, une vision sur le long terme pour une stabilité future garantie dans des pays souvent instables politiquement : le groupe décide très vite de miser sur un futur et fidèle réseau d’influence soft le tout financé par les caisses internes du groupe . 

Fermement attaquée depuis ces quatre dernières années, l’image du groupe Heineken avait de quoi se ternir et dépérir dans l’espace médiatique francophone surtout après la réédition en français du livre de Van Beemen. Les médias français n’ont pas offert d’écho particulier à l’enquête de Van Beemen, offrant a contrario des entretiens et interviews aux décideurs d’Heineken en Afrique et tout en saluant leur franc succès d’ouverture et inauguration des usines. Une agence française de communication aurait aidé le groupe néerlandais à étudier les failles des réseaux des attaquants présumés et à contre influencer les médias et l’opinion publique francophone . 

La réfutation par des preuves à l’appui a été utilisée simplement et discrètement par le chargé de la zone Afrique depuis septembre 2015, le Belge Roland Pirmez, niant toutes les attaques, balayant les critiques et contestant les rumeurs notamment les liens directs avec le génocide du Rwanda ou la formation de prostituées au Nigeria . Un droit de réponse pacifiste pour ce groupe qui joue encore la carte de la transparence . Heineken a simplement publié sur son site internet une réaction au livre en anglais . L’image jeune et glamour du groupe passe par le financement direct des soirées Heineken et le rachat de clubs à Lagos au Nigeria ou la jeunesse dorée nigériane se bouscule, une stratégie dictée par le cabinet de conseil BHM Nigeria, mais encore les Hashtags sur les réseaux sociaux jeunes (twitter et Instagram) et les soirées à la Heineken Houseou tout le Gotha africain se rend, mais encore le célèbre Heineken Lounge Lagosbien implanté à  l’aéroport de Lagos MMIA. La multinationale sponsorise aussi de grands événements tels que Heineken Lagos Fashion Week, l’un des plus prisés pour tous les acteurs de la mode africaine. 

Au cœur de sa politique durable et apaisante, Heineken peaufine son image locale par la formation des fermiers, par des collaborations avec les agriculteurs locaux, par le développement de l’apprentissage de stockage. Heineken contribue à faire pousser de l’orge en Ethiopie et du riz en RDC. Au Nigeria, la production du sorgho représentait de plus de 62 % de ses besoins. La force financière la multinationale lui a permis de s’engager à produire localement, donc à investir davantage, tout en mettant la main sur les petites brasseries concurrentes des pays. 
 

  1. Nourovka.


 

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