Les affrontements informationnels sur la question de l’utilisation de la trottinette électrique via les plateformes de location à Paris

Avec un trafic saturé par l’utilisation de l’automobile notamment dans les grandes villes, de nouveaux acteurs ont fait leur apparition dans le paysage du déplacement urbain. En France, la ville de Paris a été pionnière dans les alternatives des déplacements intramuros, prenant comme référence ou s’inspirant de ce qui pouvait se faire dans les autres métropoles. Paris s’est associée avec des acteurs du secteur, en s’appuyant sur un cahier des charges très précis pour créer ce qui allait devenir un succès comme le vélib’ en proposant des emplacements dédiés à ces vélos en location courte durée. Surfant sur ce succès, de nouveaux entrants notamment asiatiques ont fait une apparition très éphémère sur ce marché, mais cela n’a pas été couronné de succès. 

Créer un besoin en proposant un nouveau mode de transport


A Paris, depuis l’année 2018, des acteurs d’origine américaine, comme la société Bird et Lime fondées en 2017, proposent un autre type de déplacement, bénéficiant d’une concurrence inexistante sur un marché encore vierge : la trottinette électrique.  Disponible en location via une plateforme dédiée, ce moyen de déplacement se positionne sur le créneau des trajets cours (entre un et deux kilomètres). L’ensemble de ces acteurs proposent peu ou prou le même service et tarif. Après une inscription sur le site internet et le téléchargement de l’application, on utilise la plateforme pour géolocaliser un véhicule sur son téléphone portable, il suffit ensuite de flasher le QR Code pour débloquer la trottinette. Le plus de ce concept est de pouvoir récupérer ou de déposer sa trottinette n’importe où à Paris, car il n’y a pas de bornes dédiées pour effectuer la recharge de la batterie. Le tarif proposé est généralement autour d’un euro la location, puis de quinze centimes la minute. 

Une stratégie pour s'imposer, une croissance exponentielle pour réussir


Ces entreprises sont considérées par le monde de la finance comme des startups à fort potentiel qu’on nomme les « licornes » dans le jargon de la finance, bénéficiant de capitaux considérables, portées par des levées de fonds importantes, elles sont valorisées pour la plupart à plus d’un milliard de dollars. Aiguisant l’appétit de certains investisseurs de la Silicon Valley, en 2018 la société Uber et Google ont investi dans Lime, en apportant leurs savoirs techniques et une partie de leur puissance financière. Dans le cas du partenariat entre Uber et Lime ce schéma gagnant/gagnant doit permettre à Uber de proposer via sa plateforme une location de trottinette et inversement. Cette stratégie de croissance porte en partie non pas sur l’avance technologique, mais sur un investissement massif dans les grandes villes, basé sur une flotte importante de trottinettes favorisant ainsi la conquête de nombreux abonnés. L’objectif du « nombre » est de s’imposer et d’asseoir leur notoriété. Avec un déploiement rapide et un grand nombre d’utilisateurs, ces entreprises créent un rapport de force avec les différents acteurs institutionnels, avant la mise en place de règles contraignantes imposées par le législateur. Ces acteurs bénéficient également d’un vide juridique lié à ce mode de déplacement qui n’est soumis à aucune règle en la matière, mais juste toléré. Leur stratégie est de s’imposer vite dans le paysage urbain quitte à ne pas respecter des règles de bon sens (engorgement des trottoirs, vols, dégradations). Appliquant la maxime d’Uber qui a fait sa fortune « mieux vaut demander pardon, que de demander la permission », ces sociétés sont en passe de conquérir ce marché. D’après la Fédération des professionnels de la micromobilité (la FP2M) citée dans le Figaro, «il est extrêmement difficile d’avoir des chiffres sur les trottinettes en libre-service ». Selon les premières données fournies par les deux concurrentes américaines, Lime aurait revendiqué six mois après son implantation dans la capitale française plus de 2 millions de trajets et 315.000 utilisateurs, quant à Bird, elle compte plus de 110.000 personnes utilisatrices du service. 

Il est flagrant de voir comment les entreprises telles Lime et Bird mettent en avant l’argument de l’écologie, notamment sur leur site internet, pour promouvoir cette nouvelle manière de se déplacer. Elles jouent ainsi sur l’émotion d’un tel dispositif en faveur de l’environnement, un mode de déplacement à faible impact carbone. Pour renforcer leur position, ces sociétés proposent également, via leurs sites, la création de communautés acquises à la cause de ce mode de déplacement et du bien-fondé de sa démarche surfant sur la vague de la protection de la nature. 

La contre-offensive des pouvoirs publics


En France, les pouvoirs publics ont été dépassés par ces nouvelles implantations de services à fort impact sur l’espace public, au point que, face à l’ampleur pris par ce phénomène, les pouvoirs publics sont à peine en train de faire des propositions pour régler les différents problèmes engendrés par l’utilisation des trottinettes. Il est facile aujourd’hui de constater les conséquences de ce nouveau mode de déplacement, notamment à Paris, par un envahissement du domaine public de ces véhicules de manière anarchique, déposés à n’importe quels endroits de la capitale. On pointe aussi l’envahissement par une utilisation inappropriée, ou du moins non définie, de la voie publique, circulation sur les chaussées et sur les trottoirs, venant bousculer les habitudes et la sécurité des usagers traditionnels de la rue (automobilistes, cyclistes, piétons…). Une trottinette pouvant atteindre une vitesse de 24 km/h cela pose des problèmes liés à la sécurité et aux biens des personnes. A ce jour, son utilisation est tolérée mais pas contrôlée. 

Le pouvoir législatif a pris en compte l’ampleur du problème un peu tardivement en intégrant dans le cadre de la loi sur la mobilité le projet de décret du 6 mai 2019 des Ministères de l’Intérieur et des Transports modifiant le code de la route. Mais n’est-il pas trop tard ? Le conseil de Paris a tenté de prendre des arrêtés afin de réguler et de contrôler ce phénomène, ces startups exploitant la lenteur du législateur en profitent pour conquérir de nouveaux clients parisiens mais aussi les touristes de passage. Une forme de résistance commence à s’organiser passant par la création de collectifs dont la vocation est de peser sur les décisions de régulations qui vont être prises dans les prochaines semaines, afin que soit établi un cadre juridique légal capable de faire cohabiter l’ensemble des acteurs (piétons, cyclistes, automobilistes, motards), même si le dialogue semble difficile, permettre aux législateurs d’imposer des normes devrait faciliter une remise à plat des règles. 

Les contradicteurs passent aussi à l'offensive


Les opposants à ce schéma contestent le modèle économique de ces sociétés, ainsi l’argument de l’impact environnemental est certes louable est facilement vérifiable, en effet on pollue moins avec une trottinette électrique qu’avec une voiture ou un scooter, mais une étude montre aussi que la durée de vie d’une trottinette est de 28 jours. Qu’en est-il alors du recyclage des matériaux ainsi que de la batterie ? de l’impact environnemental du remplacement ou de la réparation de ces engins ? Pour le moment, il n’y a pas d’éléments de réponse clairs sur ces sujets. Personne ne se soucie également de la recharge des batteries : comment ces sociétés procèdent-elles, étant donné qu’aucune borne de recharge n’est mise à disposition ? La réponse passe par la création d’une flottille de véhicules appartenant souvent à des particuliers qui ont le statut d’entrepreneur (donc sans contrat de travail), payés au nombre de trottinettes prises en charge. Leur mission est de sillonner Paris entre 3 et 7 h du matin, de géolocaliser et de récupérer les véhicules pour les recharger et les redéposer le lendemain matin à des endroits précis. Ils collectent également les appareils défectueux pour réparation ou remplacement. Ainsi l’objectif est de proposer un parc de véhicules suffisamment rechargés chaque jour pour l’utilisateur. On imagine aisément le nombre de trajet des véhicules en circulation à Paris et l’impact sur l’environnement en termes de pollution. De plus, cette partie du business model s’apparente à une forme d’ubérisation de l’activité. 

Malgré, les consignes de sécurité mises en avant par les applications, ainsi que sur les véhicules, notamment les règles de bonne conduite sur la voie publique et la recommandation du port du casque, se pose le problème des accidents sur les personnes et les biens. Certaines compagnies d’assurance ne proposent que depuis récemment une assurance concernant ce type de déplacement. La réponse des acteurs publics en France ne fait que commencer. Il est encore trop tôt pour prendre connaissance du devenir de ce mode de transport, cependant certaines villes comme San Francisco aux Etats-Unis, prenant conscience des problèmes, ont tout simplement interdit l’utilisation de ces applications, d’autres ont souhaité faire adopter une charte de bonne conduite aux utilisateurs. Certaines pistes sont actuellement en cours de discussions au sein du conseil municipal de Paris afin d’établir une redevance sur ces véhicules, le port du casque obligatoire, les collectifs militent quant à eux pour le passage d’un permis. 

Le cas d'une campagne d'influence sur ce sujet pour une implantation à Londres


Certes concurrents, Lime et Bird sont capables de s’entendre afin de faire avancer leur cause. En 2018, ils ont mis en place une campagne de lobbying auprès des pouvoirs publics britanniques pour un projet d’implantation au cœur de Londres. Le Bussiness Insider du mois d’août 2018 décortique le processus de la campagne menée. L’Etat britannique ayant toujours refusé d’autoriser ce type de service, les dirigeants de ces startups avançant dans l’ombre ont approché divers acteurs comme le régulateur des transports de Londres, des membres du gouvernement britannique, ainsi que des conseillers municipaux de Londres par des courriels. Ils ont également organisé de nombreuses réunions afin d’essayer de convaincre et d’acquérir des soutiens pour mettre en place un projet pilote, et en profiter pour faire évoluer la loi régissant ce type de déplacement jusqu’alors proscrits. Les arguments bien rodés avancés par ces sociétés restant toujours les mêmes, réduire la congestion liée au trafic et améliorer la qualité de l’air. 

Ainsi il est fort à parier que les manœuvres d’influence décrites dans cet article concernant Londres, ont pu être mises en place de manière similaire auprès de certaines personnes ou organes en France ayant travaillé sur le projet de décret qui a été voté en mai 2019 régissant ce type de déplacement sur le domaine public, son application devrait intervenir dès septembre 2019, mais ne résoudra sans doute pas tous les problèmes. 

 

Laurent Delorme