Guerre de l’information sur la sécurité des jeux olympiques 2016 de Rio de Janeiro

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Les cas de polémiques dans le sport sont de plus en plus courantes de nos jours. Les cas d'école permettent de mieux éclairer l'évolution des pratiques de guerre de l'information par le contenu. Le cas des Jeux olympiques organisés au Brésil en 2016 donnent un éclairage a posteriori sur la manière d'interpréter les faits. 

Les Jeux olympiques d’été de l’année 2016 ont été célébrés à Rio de Janeiro, au Brésil, entre le 5 et le 21 août 2016. Derrière le cadre exceptionnel de la ville de Rio et la fierté du peuple brésilien d’accueillir des touristes et athlètes du monde entier, pesaient de nombreux risques en termes de sécurité et une guerre de l’information par le contenu, dans une société à l’économie complexe.Cet événement sportif a connu une couverture médiatique des plus importantes au monde. En effet, d’après la Fondation de soutien de la recherche de l’État de São Paulo (FAPESP), l’audience lors de la soirée d’ouverture avait été estimée à trois milliards de personnes. Avec 306 évènements prévus, 207 pays participants, 11.238 athlètes, les Jeux représentaient un enjeu majeur en terme d’image et d’attractivité à l’international. 

Le contexte politique et économique


Peu avant les Jeux olympiques, la présidente Dilma Rousseff a été suspendue de ses fonctions, le 12 mai 2016, et destituée par le Sénat brésilien, le 31 août 2016 - 61 votes en faveur de la destitution contre 20 votes -. Ce même jour, son vice-président Michel Temer, du Parti du Mouvement Démocratique Brésilien (PMDB), prit ses fonctions de président de la République. Plongé depuis 2014 dans un climat de corruption, alimenté par l’enquête fédérale connue sous le nom d’opération « Lava Jato » ou « Car Wash », et de revendications sociales, le pays a vu son peuple se mobiliser et manifester au niveau national, fracturant ainsi la population. 

Ces difficultés politiques ont affecté l’économie du Brésil qui a subi une crise financière à quelques mois des Jeux olympiques. En effet, d’après un article du Journal of Sustainability Education (JSE) publié le 14 janvier 2018, la ville et l’État de Rio de Janeiro étaient très dépendants de la production de pétrole et l’État avait décidé, suite à la découverte d’un important gisement proche de Rio, de plus que doubler sa masse salariale entre 2009 et 2015 et de s’engager dans des projets financiers lourds liés aux Jeux. La diminution du prix du pétrole à l’international en 2014, la difficulté d’extraction, la conséquente augmentation du coût d’extraction des nouveaux gisements et l’augmentation faible des revenus provenant de cette réserve ainsi que l’affaire de corruption de la compagnie pétrolière Petrobras expliquent en partie la crise financière dans laquelle le pays s’est enlisé. 

Le 17 juin 2016, à quarante-neuf jours du début des Jeux, le gouverneur de l’État de Rio, Francisco Dornelles, décréta, dans une édition spéciale du Journal Officiel de l’État de Rio de Janeiro, l’« état de calamité publique » de l’État de Rio. D’après ses dires, la grave crise financière empêchait l’État de Rio de respecter les obligations dont il était tenu par l’organisation des Jeux olympiques. De plus, le gouverneur partagea sa crainte d’un effondrement total de la sécurité publique, de la santé, de l'éducation, de la mobilité et de la gestion de l'environnement ainsi que le risque de dégradation de l’image de la ville de Rio de Janeiro. Cette décision de Francisco Dornelles était très stratégique puisqu’elle avait pour objectif d’exercer une pression sur le Gouvernement Fédéral et d’obtenir, légalement et rapidement, un budget supplémentaire pour l’État de Rio et pour l’organisation des Jeux. Cet appel au secours pourrait sembler avoir fonctionné : la somme qui aurait été perçue par le gouverneur se serait élevée à 3 milliards de Réais, après renégociation de la valeur de base demandée (6 milliards de Réais). Celle-ci n’a pourtant jamais été confirmée, ni par le Gouvernement fédéral qui ne s’est jamais prononcé sur la valeur ou la nature de l’aide apportée, ni par le gouverneur lui-même. Un flou réside donc sur cette somme, sa destination et son utilisation concrète. 

La communication gouvernementale sur la sécurité globale des Jeux olympiques


Située dans la région Sud-Est du Brésil, au bord des côtes atlantiques, la ville de Rio de Janeiro s’étend sur plus de 1.200 km2 avec, en 2018, une population estimée à près de 6.700.000 habitants, d’après les données de l’Institut Brésilien de Géographie et de Statistiques (IBGS). À l’image des autres grandes villes brésiliennes, la ville de Rio intègre à son paysage de nombreux bidonvilles, appelés favelas ou morros, qui sont, suivant leur niveau de pacification, parfois en proie à des violences quotidiennes. La collaboration de Google Maps avec, entre autre, le groupe culturel AfroReggae et son projet « Tá no Mapa », a permis d’intégrer à la carte de Google un certain nombre de favelas de la ville qui étaient auparavant absentes des cartes. 

Les Jeux ont été répartis sur quatre zones géographiques (Maracaña, Copacabana, Barra et Deodoro) au sein de la ville, les défis de sécurisation des zones étant différenciés et spécifiques suivant la position des favelas et la nature des zones. En effet, Maracaña a été choisie pour ses infrastructures déjà existantes, Barra pour développer ce quartier déjà considéré comme aisé et Deodoro avec pour objectif d’améliorer cette zone encore pauvre. 

Afin de rassurer le Comité International Olympique (CIO), dont la mission était de « promouvoir l’Olympisme à travers le monde et de diriger le Mouvement olympique », une « reconquête des favelas » a été initiée en 2008 par les Unités de Police Pacificatrices (UPP) avec une stratégie d’attaque nouvelle. Les UPP fonctionnaient sur le principe de la police de proximité, concept et stratégie basés sur le partenariat entre la société civile organisée et les institutions de sécurité publique au niveau municipal, étatique et fédéral. La première stratégie était de ne plus se focaliser uniquement sur l’arrestation des chefs du trafic, mais de soustraire aux trafiquants leurs territoires et de les occuper afin qu’il ne puisse plus y avoir de libre circulation et de stockage d’armes et de drogues dans ces zones. La deuxième stratégie, sous le nouveau nom de Rio+Social, consistait en un rapprochement avec la population locale et à l’amélioration des conditions de vie, de la santé et de l’éducation des habitants. 

Mais ce qui n'a pas été dit à l'époque et encore moins aujourd'hui, c'est que la politique de sécurisation des favelas a entraîné en fait une dissémination de la criminalité sur l'ensemble des zones urbaines brésiliennes, y compris dans des Etats qui n'avaient pas été touchés par cette criminalité de masse. Le gouvernement de l'époque est resté très discret sur ce phénomène. Les médias comme les acteurs de la société civile n'ont pas relevé ce paradoxe. 

Les polémiques orchestrées par les médias, et les ONG.


La volonté de ces acteurs de montrer des actions concrètes et rassurantes visant à sécuriser les Jeux est à mettre en perspective avec d’autres sons de cloches. 

L’Institut de Sécurité Publique de l’État de Rio de Janeiro (ISP), structure directement liée au gouvernement de l’État de Rio et chargée de produire des informations et de diffuser des recherches et analyses, a pour objectif d’influencer et de permettre une meilleure adaptation de la gestion de la sécurité publique aux menaces réelles. Les tableaux comparatifs des menaces élaborés par l’ISP indiquent que 1882 incidents se sont produits dans la ville de Rio durant le mois d’août 2016, au cours des Jeux. 

Ce chiffre a diminué de 14% si on le compare avec la valeur d’août 2015 mais, si l’on s’en réfère aux fluctuations des années 2015 à 2019, le nombre d’incidents est relativement constant et ne descend jamais en dessous de la barre des 1607 (valeur du mois de juin 2018). Il semble donc difficile d’affirmer, avec ces résultats, de l’efficacité ou de l’inefficacité des stratégies de réduction du crime. Les menaces sont par ailleurs de nature très diverses (enlèvement contre rançon, vol à main armée, extorsion, disparition, etc.) et les incidents, qui plus est, se produisent dans des circonstances variées (sur le réseau routier, dans la rue, au domicile, etc.). 

Les médias nationaux (O Globo, Folha do Rio de Janeiro) comme internationaux (l’Express, Le Monde, El País) ont repris les témoignages des habitants des favelas et parfois relayé les messages des ONG. Dans ces journaux, les habitants évoquent les tirs quotidiens entre les dealers et les forces de l’ordre, les trafics toujours existants malgré la présence de la police, les disparitions de personnes et l’expulsion par la force de familles loin de leurs résidences actuelles. Le journal national brésilien Folha do Rio de Janeiro, dans un article du 16 avril 2016, a relayé le rapport « Vous avez tué mon fils » de la branche brésilienne de l’ONG Amnistie International. Ce rapport présentait « une enquête exclusive sur les exécutions extrajudiciaires, les homicides et les autres violations des droits de l'homme commises par la police militaire dans la ville de Rio de Janeiro ». Le directeur exécutif d’Amnistie International Brésil, cité dans l’article, a indiqué que l’ONG avait pour volonté d’attirer l’attention des autorités, alors que le monde entier allait avoir les yeux braqués sur le Brésil, sur « l’importance de prioriser l’affectation des ressources à la sécurité et la justice », précisant qu’à cent jours du début des Jeux, encore onze personnes avaient été tuées par la police de Rio. 

Les affrontements informationnels autour de la sécurité des Jeux olympiques sont le reflet de tensions géographiques, politiques, économiques et sociétales. Par ailleurs, l’exemple du risque associé à la géographie complexe de Rio et à la présence de favelas a permis de mettre en évidence des stratégies d’influence d’acteurs diverses et les rapports de force entre eux. Une guerre d’information par le contenu s’est de même orchestrée sur les sujets de la gestion des risques d’attaques terroristes, des risques pour la santé (Dengue, Zika, Chikungunya et H1N1), des risques liés aux manifestations sociales et activistes et, entre autres, des risques cybernétiques. 

 

Laetitia Hagiage