Traditionnellement, la sécurité nationale assure la protection, voire la défense de notre souveraineté recouvrant territoire et population. Elle passait par l’existence de frontières naturelles (le Rhin, les Alpes..., ainsi que les ZEE) qui justifient l’existence d’une doctrine et d’une défense opérationnelle. La constitution d’une autonomie stratégique avec une BITD efficace associée à un processus de prises de décision solide assure cette défense et sécurité souveraines face à des menaces terrestres, maritimes, aériennes et spatiales.
Depuis les années 1980-95, de nouvelles menaces sont apparues tant à l'extérieur qu'à l'intérieur de nos frontières avec l’expansion du cyberespace qui participe à la mondialisation des échanges (menaces anonymes ou hackers, cyberattaques, crime organisé, terrorisme, contre-mesures électroniques, guerres hybrides, asymétriques ou hors limites). Les vulnérabilités sont toujours plus nombreuses au rythme de la transformation digitale, de l’extension du Big data, des spécificités dans leur transmission (vélocité, temps de latence, bande passante) avec une complexité croissante à travers les trois principales couches de l’Internet (physique, logicielle et sémantique) : zero day exploits, cyberattaques et difficultés d’attribution entre deep web et dark web. Soyons clair : la digitilisation de notre société crée deux réalités, donc deux identités à protéger ou à sécuriser dans des écosystèmes de confiance à construire.
Sont apparus les GAFAM américains et les BATXH chinois qui ont acquis une puissance de multinationales appelées à se heurter au retour des Etats régulateurs et à la territorialisation de leurs activités. Simultanément, l’extraterritorialité du droit est une arme à double tranchant, soit de conquête (droit américain), soit de protection, voire d’attractivité (RGPD) par la soumission de la puissance au droit. Mais aussi, en dehors de la réglementation anti-monopoles, toute position dominante est remise en cause par la concurrence technologique qui n’est pas nouvelle dans l’Histoire récente (EU/Union soviétique ou EU/Japon), comme celle plus ancienne (Royaume Uni victorienne/Allemagne wilhelmienne).
Mise à mal par l’ère nouvelle de l’Information qui succède aux révolutions industrielles, notre souveraineté peut être fragilisée et connaître des ingérences insidieuses si nous ne sommes pas vigilants, et si nous n’assurons pas sa protection sans compromettre la croissance, les échanges économiques et le quotidien d’une société ouverte, ainsi que ses valeurs démocratiques et libertés individuelles.
L’Etat stratège est un impératif qui ne peut être partagé. Un Etat capable de penser en puissance, en pôle d’influence dans un environnement qui s’ajoute une quatrième dimension, le numérique dont il faut contrôler la ressource – l’utilisation de la bande passante et le signal.
Dès lors, les deux principaux enjeux de la sécurité nationale reposent sur :les conditions de l’élargissement de cette souveraineté aux espaces numériques à la fois physiques et immatériels avec tous leurs composants – du logiciel système (ou OS) à l’intelligence artificielle et algorithmes jusqu’aux batteries et métaux stratégiques – comme les terres rares –) ; la capacité à assurer la résilience et la protection de nos infrastructures critiques, tant comme contenu (SI) que contenant avec une nouvelle valeur, l’information collectée, stockée et transmise (data) selon leur sensibilité et partie prenante d’actifs (assets) stratégiques.
Membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, cinquième puissance industrielle et un des deux acteurs principaux de l’Union européenne, la France a-t-elle une stratégie pour garantir sa souveraineté, en termes politique, économique, technologique et numérique ? A-t-elle des capacités numériques par la consolidation d’une filière high tech d’innovations ? Celle-ci est-elle élargie à l’écosystème de tous ses composants pour conserver l’autonomie de décisions, à l’image des différents programmes industriels stratégiques lancés dès 1958 (nucléaire ou spatial) ?
Philippe Mueller Feuga