Les polémiques entre l'Union Européenne et les pays de la zone Afrique/Caraïbes/Pacifique

Les accords de partenariat économique (APE) sont des accords commerciaux proposés en 2007 et visant le développement du libre échange entre l’UE et les pays ACP, à travers la suppression immédiate des droits de douane sur les produits originaires des pays signataires entrant dans l’UE, et la suppression progressive des droits de douane sur les produits européens lors de l’entrée dans les pays signataires. Bien qu’assortis d’un volet d’aide au développement, et la volonté de l’UE d’aider à la promotion des organisations économiques régionales, ces accords suscitent un vif débat, des contestations et protestations diverses notamment des ONG et du secteur privé, à cause du contexte, du contenu des accords et de la structuration des économies des pays ACP.   

Le contexte


Pour rappel, au moment des indépendances au début des années 60, la convention de Yaoundé signée en 1963, assurait la liberté commerciale aux produits venant de 18 pays africains à l’entrée sur le territoire de la Communauté économique européenne (CEE). Ce premier accord débouchera sur deux autres : la Convention de Lomé (1975) et l’accord de Cotonou (2000). La convention de Lomé vient constater l’extension à 28 pays ACP ainsi que l’arrivée du Royaume-Uni dans la CEE, et qui souhaite accorder une préférence commerciale aux pays membres du Commonwealth. Le cœur de cette convention est qu’en plus de ce régime de préférence non réciproque, les pays ACP bénéficient d’une aide contre la fluctuation des cours agricoles avec le système STABEX, ce qui protège les revenus des producteurs de ces pays. Ce texte a été renouvelé successivement  en 1979 (Lomé II), en 1984 (Lomé III), puis en 1989 (Lomé IV), lorsque la CEE conditionne ses aides financières au respect des droits de l’homme et de la démocratie. En dehors du pétrole dont ont besoin les économies européennes, ces accords n’atteignent pas leur but puisque l’entrée des produits agricoles des pays ACP est contrée par la politique agricole commune (PAC) et le STABEX ne parvient pas à verser les subventions prévues. 

C’est ce constat d’échec à travers le livre vert de la Commission européenne en 1997, qui va susciter des recommandations ayant abouti aux Accords de Cotonou en 2000 réunissant 79 pays ACP et les 27 de l’UE. Ces accords commerciaux au départ et conclus pour une durée de 20 ans ont été révisés en 2005 et en 2010, et plus que par le passé, l’Europe conditionne ses aides (compensations) à la transparence, au respect de la démocratie, des droits de l’homme et aux résultats économiques et sociaux tirés des aides précédentes. 

Les acteurs impliqués et leurs stratégies

  • L’Union européenne. Lorsqu’elle propose les APE en 2007, l’UE avait pour visée la fin de la dissymétrie des relations ACP-UE, et l’instauration d’une zone de libre échange réciproque. S’appuyant sur une évaluation de 1997 qui relevait notamment la médiocrité des résultats de l’approche initiale qui avait pour objectif d’assurer le développement des pays les plus fragiles ayant accédé à la souveraineté internationale après la Seconde guerre mondiale, l’UE a progressivement transformé des accords commerciaux en deal idéologique avec mise en avant de la démocratie et des droits de l’homme opposés à de fragiles Etats en construction. En portant le débat sur la gouvernance, l’UE a habilement utilisé une arme contre des Etats souvent soutenus politiquement et militairement sur la base d’accords conclus en toute opacité au moment des indépendances, et dirigés par des personnages plus redevables des pays européens et donc moins soucieux du devenir de leurs peuples. Cette posture commode masque mal sa responsabilité dans les échecs constatés, et en soumettant les Etats ACP à des pressions en faisant un lien entre aide au développement et signature des APE, l’UE subit les critiques vives de certains parlements en Europe, des pays africains et des ONG qui dénoncent des accords inéquitables et appellent à y mettre fin.
  • Les pays ACP. Pendant des décennies, ces pays ont bénéficié d’un système de préférence certes imparfait, mais qui, au lieu d’encourager à mettre en place des politiques de développement ambitieuses et volontaristes visant la réduction d’une dépendance pérenne d’avec l’Europe, a plutôt créé l’effet inverse. Les dirigeants de ces pays ont une évidente responsabilité dans cette situation caractérisée par : des économies maintenues au statut de rente et pas ou peu intégrées, des divisions politiques et des égoïsmes nationaux d’une autre époque, une industrialisation faible et marginale. Pourtant le schéma développement adopté lors des indépendances, prévoyait une intégration progressive à travers les organisations économiques sous régionales, prélude à une unification du continent. Au moment de subir le diktat de l’UE à travers les APE, les Etats, réduits à négocier individuellement, ne sont pas en mesure de défendre efficacement leurs intérêts. L’appauvrissement des agriculteurs par la destruction de leurs filières, est une menace claire à la paix sociale.

 

La nature de la confrontation : enjeux et conséquences


La contestation des APE est principalement portée par des ONG regroupées au sein de la coalition « Arrêter les accords commerciaux inéquitables entre l’Europe et les pays ACP », celles-ci publient une abondante littérature et mènent des campagnes protéiformes auprès d’élus et de gouvernements européens. Ces dénonciations très largement fondées, couplées à la destruction de filières agricoles dans les pays qui s’y sont précipités comme la Jamaïque et l’accroissement de la pauvreté des producteurs locaux, constituent alors un terreau fertile à la pénétration des BRICS notamment la Chine dans ces pays ainsi fragilisés. Face à la désunion et la démobilisation des pays du Sud, à la faiblesse des échanges intra communautaires et aux conséquences néfastes sur le plan fiscal, les APE apparaissent alors comme un facteur de déstabilisation de ces Etats et au-delà, remettent en cause les valeurs comme le commerce équitable à travers la PAC. Les conséquences certaines du maintien du statu quo étant l’accroissement de la pauvreté, ces Etats ACP encore fragiles seraient, si rien n’est fait, à la merci d’idéologies nihilistes et de troubles sociaux et politiques plus coûteux sur les plans humain, économique et politique pour tous. L’Europe doit défendre ses intérêts, et il serait illusoire de continuer à s’abriter derrière des accords d’une autre époque offrant confort aux dirigeants. Face à cette réalité inéluctable, il appartient aux politiques des pays ACP, de trouver les solutions pour protéger, développer et promouvoir leurs filières économiques. Cela passe par l’amélioration significative de la gouvernance économique, la promotion de l’intérêt général et le développement de partenariats alternatifs et innovants, et l’industrialisation qui aideront à briser cette dépendance de plusieurs siècles. 

 

Simon Etonde