Le soulèvement pacifique du peuple algérien, depuis les premières manifestions le 22 Février 2019, a mis fin à la candidature du Président de la République Algérienne Démocratique et Populaire sortant Abdelaziz Bouteflika, aux élections qui étaient programmées le 18 avril 2019. Depuis, chaque vendredi est le lit de manifestations impressionnantes par leur nombre et leur ampleur à travers l’ensemble du territoire national algérien, du Nord au Sud et d’Est en Ouest. Sous la pression, le Président de la République, Abdelaziz Bouteflika a démissionné le 02 avril au soir. Dans un pays dans lequel l’armée possède un pouvoir certain, Le Chef d’Etat-major de l'Armée, le Général Ahmed Gaïd Salah (qui avait été nommé à cette fonction par le Président de la République en 2004 et à celle de Vice-Ministre de la Défense en 2013) avait invoqué l’application de l’article 102 de la constitution algérienne, permettant de déclarer le Président de la République en «état d'empêchement», en cas de maladie grave et durable qui le place dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Or depuis, depuis un AVC survenu en 2013, avec des séquelles importantes, le Président de la République apparaissait très rarement et amoindri physiquement. Dans le cas ou le Parlement venait à valider cette situation, le Président du Conseil de la Nation serait en fonction de Président par intérim pour une durée de 45 jours. Dans la situation présente, démission du Président de la République, Monsieur Abdelakader Bensalah, Président du Sénat depuis près de 17 ans, assure donc l’intérim de la Présidence pour une durée de 90 jours : il a fixé les dates des prochaines élections présidentielles au 04 juillet prochain.
Une action préparée en amont
Les stades de football algériens constituent une caisse de résonance ou s’expriment les maux de la société algérienne à travers une jeunesse qui y délivre régulièrement des messages politiques et sociaux, au-delà des messages de soutien à leur équipe respectives ou des chants purement sportifs. Au mois d’Avril 2018, Ouled El Bahdja, club de supporter du club de l’Union Sportive M Alger (USMA) - dont le propriétaire est Ali Haddad - Président du Forum des Chefs d’Entreprise qui a démissionné de cette instance pendant les manifestations - chante la « Casa Del Mouradia » qui va marquer la jeunesse algérienne et s’imposer dans les stades de tout le pays durant des mois. Alors que le monde entier se passionne pour la série « La Casa de Papel », les jeunes algériens vont réaliser le parallèle avec « La Casa del Moradia » – du nom du palais présidentiel, notamment en pointant de manière ironique la succession de mandats présidentiels d’Abdelaziz Bouteflika. Largement diffusés dans les réseaux sociaux, et facilement mémorisables les refrains sont repris par les manifestants (jeunes et moins jeunes) un an plus tard lors des grandes marches et mobilisations contre le 5ème mandat du président de la République à travers toute l’Algérie.
Avec le même slogan du « non au cinquième mandat » les étudiants se sont mobilisés à travers des appels sur les réseaux sociaux et ont conduit des mouvements que le reste de la population a suivi quel que soit leur génération. Même des mouvements qui ont des ancrages à l’étranger s’appuient sur la force des réseaux sociaux pour développer leur action. Rachad fondé en 2007, proposait en 2015 sur internet une stratégie de changement avec un slogan que l’on retrouve aujourd’hui « Ensemble pour un changement effectif et non violent ». Mourad Dhina, cofondateur et porte-parole de Mouvement Rachad, est un physicien algérien formé au MIT, ancien chercheur au CERN et professeur à l’université polytechnique de Zurich qui réside en Suisse, il a été représentant du Front Islamique du Salut (FIS) à l’étranger. Il est très présent dans les réseaux sociaux et dans les médias algériens en Algérie et à l’étranger.
Le mouvement Mouwatana également, a lancé le 10 juin 2018, une charte avec comme objectif « la contribution à un changement du système de gouvernance par la mise en place d’un Etat de droit par des voies démocratiques avec l’épanouissement de la citoyenneté. » Le 24 Février 2019, au moment où le Président de la République se dirige vers la clinique de Genève, Mouwatana organise un rassemblement contre le 5ème mandat à Alger Centre. Le peuple n’est pas en position de négociation, mais il impose sa feuille de route à travers des slogans choisis et relayés à travers les réseaux sociaux et à travers une mobilisation qui grandit au fil des vendredis (plusieurs milliers, puis 5 millions, puis 20 millions de personnes) : « non au cinquième mandat » - « Système dégage » et qui répond aux actions et réactions du gouvernement au fil des semaines.
Le décalage de la réaction gouvernementale
Dès les premières actions de communication organisées par le peuple algérien à travers les réseaux sociaux et sur le terrain, le gouvernement algérien a dû subir un décalage d’image fort : au moment même où le peuple algérien sort en masse dans la rue dans toute l’Algérie pour manifester contre le 5ème mandat d’Abdelaziz Bouteflika, le président de la République est à nouveau hospitalisé en Suisse.
De la même manière le gouvernement algérien a été marqué par un contenu en décalage par rapport au positionnement du peuple algérien et en particulier de sa jeunesse insensible aux messages connus et déjà utilisés pour la campagne du 4ème mandat présidentiel en 2014 : la stabilité et la sécurité, en réponse aux menaces extérieures, le spectre de la Libye, et le rappel constant de la décennie noire par le Abdelmalek Sellal, Directeur de campagne constituaient les axes principaux de la communication de campagne pour le Président de la République sortant, à travers les canaux habituels (presse, TV…) et une tournée organisée à l’intérieur du pays. Alors qu’il avait porté les trois précédentes campagnes victorieuses (2004, 2009, 2014) du candidat Bouteflika, ce dernier s’en sépare le 02 Mars, juste avant la date limite de dépôt des candidatures à l’élection présidentielle, en réponse aux premières marches organisées par la population algérienne.
Le patronat proche de la Présidence implose : Ali Haddad, Président du FCE, connu pour sa proximité avec Said Bouteflika, Conseiller spécial et frère du Président de la République, et qui s’était positionné officiellement en faveur du 5ème mandat, et directement désigné par les manifestants comme un symbole fort des « oligarques du système » a démissionné de son poste de Président le 28 Mars. Empêché de sortir du territoire, il a été arrêté et incarcéré à la prison d’ El Harrach le 31 Mars, alors qu’il tentait de sortir d’Algérie par la frontière tunisienne. Par la suite, d’autres hommes d’affaires vont faire l’objet d’arrestation et d’incarcération à l’image des frères Kouninef, réputés très proche du « clan Bouteflika » et même d’issad Rebbrab, PDG du Groupe Cevital, qui avait publiquement soutenu la candidature d’Ali Guediri (ancien officier de l’armée algérienne) à l’élection présidentielle et avait même défilé avec les manifestants lors des premières manifestations.
Dans un contexte de bataille ouverte avec les services de l’ex DRS, Ahmed Gaid Salah, Chef d’Etat-major de l’armée algérienne, organise un échange avec les manifestations à travers des interventions télévisées et dans la presse. Le positionnement du chef des armées et le contenu de l’information qu’il diffuse est choisi en fonction du scénario imposé par la rue et l’opposition. Après avoir soutenu la candidature du Président de La République, il a invoqué l’utilisation de l’article 102 de la constitution. Il a ensuite informé la population de son soutien pendant les manifestations à travers un communiqué le 16 avril : « La décision de protéger le peuple, avec ses différentes composantes, est une décision irréversible et dont nous ne dévierons point. Partant de la solidité des liens de confiance liant le peuple à son armée, nous avons donné des instructions claires et sans équivoques pour la protection des citoyens, notamment lors des marches.»
La perte du soutien des principales capitales étrangères à l'exception de la France
Le 11 Mars, Ramtane Lamamra a été nommé vice-Premier ministre, ministre des Affaires étrangères. Poids lourd expérimenté de la diplomatie algérienne, qui a également mené plusieurs missions de médiation pour les Nations unies et l'Union africaine. Alors qu’il mène une tournée, auprès des capitales étrangères - il a commencé par Moscou et Berlin - pour communiquer et défendre la stratégie du gouvernement en place, en pointant une « transition sans intervention étrangère », les positions de ses partenaires étrangers restent timides ou mesurées, pendant que la mobilisation de la population et de l’opposition en Algérie grandit devant les médias du monde entier. La France a fait l’objet de critiques fortes de la part des manifestants algériens en réaction au communiqué officiel de Jean-Yves Le Drian, Ministre des Affaires Etrangères à l’annonce le 11 mars d’Abdelaziz Bouteflika précisant son renoncement à briguer un cinquième mandat : « Je salue la déclaration du président Bouteflika par laquelle il annonce ne pas solliciter un cinquième mandat et prendre des mesures pour rénover le système politique algérien».
Dix jours plus tard, le même Ministre des Affaires Etrangères, français déclare : « L’Algérie est un pays souverain donc la France n’a pas à s’immiscer dans les affaires intérieures de l’Algérie. Elle n’a pas à le faire et ne cherche pas à le faire. C’est au peuple algérien et à lui seul qu’il revient de décider souverainement de son avenir. ». De nombreux messages des manifestants et dans les réseaux sociaux font référence à l’ingérence française dans les affaires algériennes et au souhait du peuple algérienne de laisser les « algériens régler leurs problèmes entre algériens ». Les Etats-Unis et l’Union Européenne ont transmis un message clair à l’attention du peuple algérien, en demandant aux autorités de respecter les demandes légitimes du peuple algérien et son droit de manifester. De la même manière, les autorités Russes, à travers la porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Maria Zakharova a qualifié les événements en Algérie comme étant une affaire intérieure qui concernent les Algériens, en y ajoutant qu’elle ne souhaitait aucune ingérence étrangère dans la gestion de la crise algérienne et dans la période de de transition.
Karim Idir