« Si la Turquie avait colonisé l’Algérie, tu m’aurais posé cette question en turc et pas en français ! ». Telle était la réponse du président turque Erdogan à une question posée par un journaliste sur la présence ottomane en Algérie. Le ton est donné. La Turquie est entrée pleinement dans la guerre d’influence que se livrent les grandes économies à la conquête de nouveaux marchés.
L'essor économique de la Turquie
Voilà deux décennies, l’économie turque a connu un essor sans précédent. Forte de sa position géographique, à la croisée des civilisations, au sens de S. Huntington, le pays de cesse de prendre de l’importance dans les jeux géopolitiques. Sur fond d’expansion économique, il part à la quête de nouveaux marchés pour écouler sa production à la fois industrielle, agricole, artisanale, mécanique et même culturelle. Elle s’investi même sur les produits de haute valeur technologique. C’est dire que les ambitions turques sont de l’acabit des économies championnes du monde. Après bien de revers et moult péripéties, le leader turc R. Erdogan et son parti l’AKP, Parti de la Justice et du Développement, ont su conduire la nation vers la prospérité. La confiance redonnée au peuple, ce dernier s’est ligué autour du projet politique et a développé un culte envers la personne de son commandeur, son sultan.
Le parti propose un projet et a su fédérer. Il propose une politique qui tend vers la prospérité et assure une dynamique économique. Les statistiques sont formelles : le chômage baisse, le pouvoir d’achat augmente, le pays se dote d’infrastructures et d’équipements de haut standing. Ceci est vrai sur un plan intérieur. Quid des intentions turques à l’international. L’image même de la Turquie est propulsée dans le bal des nations. Tous les moyens sont bons pour l’atteinte des objectifs dont le premier serait de relevé la Turquie vers les cimes avec les pays développés à horizons 2023. Une date fatidique, qui rappelle une autre, celle ayant marqué à jamais l’histoire de la Turquie ainsi que de tous les pays de l’ancien empire Ottoman. Ce jalon est aussi important sur un plan calendaire que géographique. Il préfigure l’aire d’influence de la Nouvelle Turquie[1]. Ainsi, le pays a déjà déterminé ses règles dans la conquête de nouveaux marchés. Une entreprise pour laquelle la Turquie s’est donné les moyens de ses ambitions.
Le redéploiement turc face au refus de l'intégration dans l'Union Européenne
A l’échelle internationale, la concurrence est très rude pour la conquête de nouveaux marchés. A l’ère de la mondialisation, des pays se liguent et s’allient pour former des blocs et des unions pour à la fois atteindre une taille optimale pour leurs marchés mais aussi pour faire face à l’influence grandissante des autres remembrements humains. Après le refus européen d’accepter son entrée dans l’Union des 27, le pays s’est vu obligé de se tourner vers d’autres alliances. Fort de son expérience dans l’OTAN et en capitalisant l’expérience des rounds pour l’entrer à l’union européenne, il s’est lancé dans une nouvelle stratégie. Cette fois-ci en solo. Pour ce faire, il a développé une stratégie articulée sur plusieurs axes. Le cas présent est significatif de la renaissance d’un ancien empire. Son réveil le pousse à accroître sa puissance dans toutes ses facettes et à recouvrir ces anciennes zones d’influence quitte à les disputer à d’autres puissances quel qu’on soit le prix. Quelle stratégie la Turquie développe-t-elle pour l’expansion de son économie et la conquête de nouveaux marchés ? Quels est l’aire géographique ciblée ? Quels sont les résultats identifiables dans cette périlleuse entreprise ?
Un périmètre géographique prédéterminé.
La Turquie est un pays né du déclin d’un empire ottoman. Bien des liens préfigurent une accointance avec les anciennes terres de cet empire. Il est donc naturel qu’Ankara se tourne vers le monde arabo-musulman avec lequel ce pays entretient des liens très forts. La diaspora turque est présente dans les pays industrialisés du Nord de l’Europe. Elle est très développée en Allemagne notamment et est d’un degré d’instruction élevé. Si les communistes dans leur temps pouvaient accaparer ou accéder les nouvelles techniques ou brevets, l’idée est aussi présente au sein de la diaspora turque avec des mécanismes alléchants d’investissement en Turquie. Cette manœuvre a permis un transfert de technologie. Preuve en est la position privilégiée et l’égard des autorités envers cette intelligentsia.
Usage de la religion
Le fait religieux est très sensible. Ce pays laïc a assuré sa mue vers une pseudo théocratie. Toutes les occasions sont bonnes pour assumer le rôle de leadership sur le monde musulman. A titre d’exemple, la flottille turque dépêchée vers Gaza lors de l’attaque par Israël. Le président turc est le seul dirigeant musulman à s’être rendu en Birmanie où se produit un génocide contre les Rohingas de confession musulmane. Dernier exemple en date, lors de la discorde entre Américains et turcs, Erdogan annonce devant une foule que si les Américains ont le dollar, les Turcs ont Allah à leur côté. A bien d’occasions, le fait religieux est devenu un outil dont se sert le pays pour l’influence ou pour fédérer.
La recherche d’un leadership sur les réseaux islamistes
La Turquie ne rate pas une occasion pour organiser des séminaires mondiaux dès qu’il s’agit du monde musulman. Elle s’investit, accueille et finance ces séminaires pour gagner en influence. Outre les rencontres périodiques, des relations se nouent entre les leaders turcs et des organisations tels les frères musulmans. L’appui à ces réseaux très développés, lui permet à Ankara d’avoir des alliés sur terrain à l’insu des autorités des pays dont dépendent ces réseaux. Les milieux proches d’Erdogan ont trouvé un allié au sein même de ces pays sans passer par ses autorités.
Manipulation par le cinéma et la Télé
A l’image d’une industrie cinématographique hollywoodienne, le cinéma turc a su tirer profit de ses talents. Ainsi cette industrie est devenue l’une des meilleures armes pour conquérir culturellement de nouveaux territoires cognitifs, faire connaitre sa propre culture, contrer d’autres influences culturelles et créer ainsi de nouveaux besoins. Les feuilletons et séries télévisées turque ont permis d’introduire une certaine vision à l’intérieur des foyers arabes et d’influencer leur mode de vie et de pensée. C’est aussi, une technique de markéting et de placement cinématographique en habillant une égérie ou une héroïne de série pour vendre toute une gamme de vêtements en faisant rêver les gens de ressembler à leurs idoles. Il va sans dire que tous les coups sont permis. Nous rappelons l’exploitation de la guerre en Syrie avec le rapatriement des usines d’habillement destiné à la femme musulmane qui était historiquement une spécialité bien syrienne. La Turquie assure une présence permanente dans tous les pays où elle souhaite développer ces gains économiques. Par ailleurs, elle est présente à toutes les foires économiques avec des délégations spécialisée et une offre adaptée tel en Algérie.
Une diplomatie à géométrie variable
Profiter des atouts partout où ils sont. Le jeu subtil de la Turquie oscille entre OTAN et Orient. Historiquement membre de l’OTAN elle n’hésite pas à se réclamer de cette appartenance quand ça l’arrange et de changer de veste quand les circonstances le requièrent. Preuve en est, le changement de cap à la suite du coup d’état échoué de 2016. Depuis une purge importante, la Turquie s’est presque défait de ses alliés historiques pour flirter avec le camp opposé. Par ailleurs, elle a changé de position quant à une éventuelle adhésion à l’Union Européenne. Elle joue un double jeu d’union économique pour trouver ou pérenniser des marchés qu’elle ne souhaite pas perdre.
Abdelkader Diabi
[1] La nouvelle Turquie d'Erdogan. Ahmet Insel, 2017. Éditeur : La Découverte.