Au printemps 2015, John Doe[i] - pseudonyme, fournit au quotidien allemand « Süddeutsche Zeitun »”, plus 11,5 millions de documents concernant 214 500 sociétés offshores créées par le cabinet d’avocats Mossack Fonseca, pour lequel il travaillait[ii]. Ses objectifs étaient de dénoncer une pratique connue dans le milieu financier, lancer l’alerte pour déclencher mondialement une prise de conscience et tenter de dissuader les acteurs de ces pratiques tout en permettant de renforcer la transparence et les coopérations étatiques.
L'imposition, fléau de l'évasion fiscale
L’impôt est la principale solution pour redistribuer les richesses d’un pays. Les impôts et leur taux peuvent avoir un effet contre-productif sur les économies. Ainsi, des instruments d’optimisation fiscale sont apparus. Il ressort un besoin de plus de transparence financière, distinction entre l’optimisation, de l’évasion et de la fraude fiscales, de lutter contre l’évasion et la fraude fiscales, que les Etats se coordonnent pour établir une liste des paradis fiscaux, et que toutes les parties prenantes coopèrent pour échanger des informations bancaires.Pour autant, l’argent sale lié à la corruption[iii], aux trafics et activités criminelles se développe. Les trafiquants sont friands de solutions sûres, complexifiant les montages et pratiques.
L'onde de choc de la médiatisation
Le 3 avril 2016, le Consortium international des Journalistes d’Investigation – ICIJ, plus de 100 rédactions dans 76 pays, a révélé l’existence des sociétés-écrans immatriculées dans des paradis fiscaux par le cabinet Mossack Fonseca[iv]. Les médias ont parfaitement orchestré l’agenda de la crise puisque les données étaient en leur possession depuis des mois. L’information est sortie sur les réseaux sociaux depuis les comptes officiels des rédactions, montrant une certaine maîtrise de l’information. Le groupe de presse « The McClatchy Company » et « The Miami Herald » a remporté le prix « Pulitzer » sur les Panama Papers en 2017[v]. Tout d’abord, de nombreux chefs d’État ont été pointés du doigt, notamment l’Arabie saoudite, l’Argentine, les Émirats arabes unis, l’Islande, le Royaume-Uni, l’Ukraine, sont directement incriminés, tout comme des membres de leurs gouvernements, des proches et des associés de chefs de gouvernements de plus de 50 autres pays, tels que l’Afrique du Sud, la Chine, la Corée du Sud, le Brésil, la France, l’Inde, la Malaisie, le Mexique, le Pakistan, la Russie, la Syrie. Par ailleurs, des personnalités aux anonymes ont été mises en causes, parmi les personnes concernées, se trouvent des hommes politiques[vi], des milliardaires, des sportifs de haut niveau ou des célébrités[vii]. Des anonymes sont également mis en cause.
Ensuite, le Panama a pâti de cette crise, son nom étant associé à la crise[viii], sa vice-présidente affirmant que le pays était engagé dans la lutte contre l’évasion fiscale[ix]. La pression internationale était subie comme une discrimination, le Panama menaçant de refuser la coopération économique avec certains pays si la situation perdurait. Le Panama mène des programmes en faveur de la lutte contre la fraude fiscale. Le pays pousse les cabinets financiers à être plus regardant sur la nature de ses clients et reste ouvert à des accords de type bilatéraux. Or, Il faut noter qu’en 2012, l’OCDE et l’union européenne avaient pris l’initiative de retirer le Panama de la liste des paradis fiscaux[x]. Cela avait donné temporairement une image positive du pays et de nombreuses entreprises internationales ont pu obtenir de nouveaux marchés au sein du pays, notamment métro et élargissement du canal. La France s’est d’ailleurs positionnée avec succès avec la société Alstom[xi]. En fait, le cabinet Mossack Fonseca menait des activités illégales dans 136 pays dont le Panama[xii] [xiii]. Il est étonnant que l’affaire ait seulement été liée au Panama.
Enfin, la mise au jour des archives confidentielles du cabinet d’avocats a touché des banques, notamment la Société Générale[xiv], HSBC, UBS[xv], Crédit Agricole[xvi], Crédit Suisse, Deutsche Bank … qui ont, un jour ou l’autre, travaillé avec lui. En témoigne l’empressement des banques, gestionnaires de fortunes et autres fiduciaires à couper le plus rapidement les ponts[xvii].
Les avancées liées à la médiatisation
La force de cette affaire repose sur les fantasmes que nous nous faisons des riches et puissants. Cette révélation démontre par l’exemple les pratiques fiscales douteuses qui concernent aussi d’autres pays notamment membres de l’OCDE. Les « Panama Papers » ont eu des effets concrets. L’ICIJ publie régulièrement des articles faisant état des avancées[xviii] : Plus de 150 investigations officielles ont été lancées dans le monde depuis ces révélations. Les coûts de l’évasion fiscale sont estimés à 350 milliards de dollars de pertes annuelles dans le monde entier, dont 120 milliards pour l’Union Européenne et 20 Milliards en France[xix], 6 500 contribuables, particuliers et entreprises ont été poursuivis pour fraude fiscale[xx], plus de 560 contrôles fiscaux ont été lancés en France[xxi]. De nouveaux documents parus en 2018[xxii] montrent l’ampleur systémique des manquements du cabinet Fonseca, dont on s’aperçoit qu’il ignorait l’identité de la majorité des clients finaux des sociétés offshore administrées, au mépris de toutes les réglementations anti-blanchiment. Trois ans après, les Etats ont réussi à recouvrer 1,2 Milliard de $, dont 252, 182, 136 et 92 millions respectivement en Angleterre, Allemagne, France et Australie[xxiii][xxiv]. En France, 22 enquêtes étaient encore en cours à fin 2018[xxv].
Et maintenant, à qui le tour ?
Courant juillet 2018, le parlement européen a introduit certaines exceptions quant à la demande de coopération financière[xxvi]. Les données sensibles des grands groupes font maintenant exception. Une grande hypocrisie persiste au niveau politique selon les pays, des hommes politiques évoquant les « trous noirs fiscaux » européens : Irlande, Luxembourg, Pays-Bas[xxvii]. Au Canada, seuls 12 fraudeurs parmi les 900 identifiés ont été sommés de payer[xxviii]. La France, par exemple, peut être considérée comme un paradis fiscal vis-à-vis d’autres pays, notamment le Qatar, qui disposent d’avantages fiscaux pour investir chez nous[xxix]. Désormais, la question qui subsiste est de connaître le prochain état qui verra son nom lié à un paradis fiscal : les Seychelles, les Samoa, les Bahamas … [xxx] ?
Benoit Jacq
Rappel des liens
[i] https://www.nouvelobs.com/monde/20160615.OBS2662/le-lanceur-d-alerte-des-panama-papers-john-doe-a-t-il-ete-arrete-a-geneve.html
[ii] http://www.paradisfiscaux20.com/panama-papers-devez-vous-avoir-peur.htm
[iii]https://www.transparency.org/news/pressrelease/lindice_de_perception_de_la_corruption_montre_que_la_lutte_contre_la_corrup
[iv] https://www.lemonde.fr/panama-papers/article/2016/04/03/panama-papers-comment-le-monde-a-travaille-sur-plus-de-11-millions-de-fichiers_4894836_4890278.html
[v] https://www.miamiherald.com/news/local/article70347537.html
[vi] https://www.alterinfo.net/Les-Panama-papers--le-vol-legalise_a122193.html
[vii] https://fr.wikipedia.org/wiki/Panama_Papers
[viii] https://www.lemonde.fr/panama-papers/article/2017/04/03/la-bataille-du-panama-pour-ne-pas-etre-fiche-sur-liste-noire_5105253_4890278.html
[ix] https://www.lemonde.fr/panama-papers/article/2017/01/04/le-panama-va-negocier-avec-paris-pour-sortir-de-la-liste-des-paradis-fiscaux_5057268_4890278.html
[x] https://www.sicavonline.fr/index.cfm?action=m_actu&ida=508553-liste-noire-de-l-ocde-ou-se-nichent-les-paradis-fiscaux
[xi] http://www.mobilicites.com/011-4162-Panama-Alstom-remporte-un-contrat-de-300-millions-d-euros.html
[xii] https://www.france24.com/fr/20180315-panama-papers-cabinet-avocats-mossack-fonseca-papers-evasion-fiscale
[xiii] https://www.pantheonsorbonne.fr/fileadmin/diplome_M2OFIS/Articles/Panama_Papers.pdf
[xiv] https://investir.lesechos.fr/actions/actualites/socgen-dit-avoir-resilie-les-contrats-avec-mossack-fonseca-1773876.php
[xv] https://www.lorientlejour.com/article/979256/panama-papers-hsbc-et-ubs-en-tete-des-banques-ayant-cree-le-plus-de-societes-offshore-le-monde.html
[xvi] http://gbessay.unblog.fr/2017/12/24/credit-agricole-mouille-dans-le-panama-papers/
[xvii] https://investir.lesechos.fr/actions/actualites/socgen-dit-avoir-resilie-les-contrats-avec-mossack-fonseca-1773876.php
[xviii] https://www.icij.org/tags/panama-papers/
[xix] https://www.lemonde.fr/paradise-papers/article/2017/11/05/les-paradise-papers-nouvelles-revelations-sur-les-milliards-caches-de-l-evasion-fiscale_5210518_5209585.html
[xx] https://www.franceculture.fr/emissions/le-billet-economique/panama-papers-quels-effets-concrets
[xxi] https://www.france24.com/fr/20180315-panama-papers-cabinet-avocats-mossack-fonseca-papers-evasion-fiscale
[xxii] https://www.lemonde.fr/evasion-fiscale/article/2018/06/20/evasion-fiscale-l-epilogue-des-panama-papers-revele-par-une-nouvelle-fuite-de-donnees_5318523_4862750.html
[xxiii] https://www.huffingtonpost.fr/entry/panama-papers-la-france-a-recouvre-136-millions-deuros-trois-ans-apres-le-scandale_fr_5ca47525e4b0798240248fdf
[xxiv] https://www.lemonde.fr/evasion-fiscale/article/2018/06/21/comment-le-fisc-francais-a-utilise-les-panama-papers-pour-redresser-des-dizaines-de-contribuables_5318865_4862750.html
[xxv] https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/un-monde-d-avance/la-justice-avance-a-petits-pas-apres-les-panama-papers_3044239.html
[xxvi] https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:52018DC0644&from=EN
[xxvii] https://www.europe1.fr/economie/lunion-europeenne-reduit-de-moitie-sa-liste-noire-de-paradis-fiscaux-3554315
[xxviii] https://www.tvanouvelles.ca/2019/02/18/panama-papers-12-canadiens-sur-900-identifies-doivent-rembourser
[xxix] https://www.capital.fr/economie-politique/qatar-ces-avantages-fiscaux-auxquels-macron-veut-s-attaquer-1221175