Une définition du marché de l’information n’est pas aisée à former. Le terme apparaît déjà dans le rapport Martre mais n’est pas explicité. Plus récemment, une étude est consacrée au sujet par des élèves de la promotion MSIE 17 de l’Ecole de Guerre Economique, cependant, là encore, et malgré la qualité évidente du texte, il subsiste un manque de contours clairs : « La notion [d’information à] valeur ajoutée semble évidente. Intuitivement, on l’illustrera sous la forme d’éléments relatifs à un marché, à la concurrence, à un enjeu stratégique, à une contrainte… On peut ainsi entendre ‘’un marché de l’information’’ comme un lieu plus ou moins structuré où s’échangent les informations à valeur ajoutée, celles qu’un agent économique est prêt à acheter ».
La difficulté d’une définition plus précise tient au fait que l’information n’est pas un bien comme un autre ; et ce, d’une part, par sa "duplicabilité". L’information est potentiellement partout, sans être forcément produite ou mise à disposition dans une logique pécuniaire (blogs, devoirs de fin d’études, réseaux sociaux, etc.). Enfin, la valeur ajoutée d’une information varie selon le prisme de l’acteur économique particulier ; ainsi, une information liée à un réseau social d’un individu pourra prendre une forte valeur pour un cabinet spécialisé dans la due diligence, tandis qu’elle n’en revêtira aucune pour un acteur économique dont l’activité serait différente.
Le terme de marché privé de l’information est très peu rependu : un peu plus d’une centaine de résultats sur Google ; en anglais, private market of information ne rassemble même pas une dizaine de sorties. Cet état de fait illustre parfaitement le manque de réflexion théorique sur cette notion pourtant importante.
Le marché privé de l’information regroupe l’ensemble des acteurs intervenant dans le processus d’acquisition d’informations à valeur ajoutée servant un objectif économique[1], et pour un acteur économique - de manière immédiate/directe[2] ou différée/indirecte[3].
Un marché, dans son acceptation économique, traite de la confrontation entre l’offre et la demande pour un bien spécifique (ici l’information). Nous ne comptabilisons pas comme faisant partie de nos acteurs ceux ayant trait au stockage, à la diffusion, ou à la sécurisation de l’information ; autant de secteurs qui devraient faire l’objet de démarches intellectuelles spécifiques. Le bien que nous traitons et que les acteurs échangent est bien ici de l’information en tant que telle ; et non pas un espace de stockage, un template de diffusion automatisé, ou une solution de détection de malveillance. Ces derniers éléments sont en effet très liés au bien informationnel en tant que tel, mais leur intégration dans notre marché aurait autant de sens que d’intégrer les étagères dans le marché du livre. On pourrait, à la rigueur, considérer "information" et "espace de stockage", ou "information" et "logiciel de sécurité", comme ce que la microéconomie nomme des biens complémentaires ; mais en aucun cas considérer un espace de stockage ou un logiciel de sécurité comme un bien informationnel.
Nous comptabilisons cependant tout acteur qui aurait vocation, by design, et non de facto entres autres applications (ce que nous venons d’écarter) à intégrer un processus de production informationnelle. Nous pouvons inclure dans cette catégorie des acteurs variés, allant des solutions de veille, aux extensions payantes pour navigateurs permettant d’obtenir des informations supplémentaires sur des profils sociaux.
Afin de recenser les différents acteurs de ce marché de l’information, nous nous focalisons uniquement sur ceux apparaissant dans des logiques B to B[4] – bien que certains d’entre eux apparaissent également dans des logiques B to C. En effet, une infinité d’acteurs offrent ce qui pourrait s’assimiler à de l’information, et cependant leur recensement dans notre écosystème semblerait parfaitement baroque[5]. Nous comptabilisons un acteur dans la mesure où son apparition dans le processus d’acquisition de l’information sera jugée suffisamment récurrente. L’acteur en question devra également disposer d’un modèle économique ; ainsi, des entreprises recourront parfois à de la collecte d’informations dans des blogs, bien que ceux-ci ne soient pas nécessairement initiés dans une logique économique. Certaines sources d’informations ne seront donc pas considérées comme des types d’acteurs.
Parfois, du côté de l’offreur, l’information acquise dans l’optique d’une revente pourra, au premier abord, sembler gratuite pour l’acquéreur. Cependant, en y regardant de plus près, il faudra de ce dernier, pour la récupérer, offrir un service (ex : Facebook, Twitter, Google) ; ou investir dans des ressources humaines, matérielles, ou immatérielles pour l’obtenir/produire (un veilleur et son agrégateur de veille par exemple). On pourra donc parler aussi bien de "prix direct d’acquisition" que de "prix indirect d’acquisition" (ou coût d’acquisition[6]).
Nous avons opéré, dans ce cadre défini, un recensement d’acteurs. Ce recensement ne serait se prétendre complet ou définitif, et il se peut que certains aient été oubliés. Nous pensons cependant que la liste qui suit offre un ordre d’idée du marché privé de l’information. Il existe aussi un "marché souterrain de l’information" qu fera l’objet d'une étude ultérieure car il porte sur le domaine très spécifique du renseignement économique privé. L'Ecole de Guerre Economique travaille aussi sur les territoires informationnels qui apparaissent sur le net. Dans les deux cas, la notion de marché reste à préciser car l'accès à ces informations est censée être rémunérée dans le premier cas et gratuite dans le second cas.
Recensement des acteurs
Les médias :
- les journaux,
- les radios d’informations,
- les chaines d’informations.
Les supports d’informations :
- les GPS / cartes ,
- les essais, encyclopédies.
L’enseignement :
- les formations en écoles de commerce ,
- les formations en ligne.
Les mastodontes du web à captation d’informations personnelles :
- les moteurs de recherches,
- les réseaux sociaux.
Les sociétés d’édition et de publication d’informations :
- économiques,
- scientifiques/techniques/médicale,
- juridiques,
- marketing,
- risque pays,
- multisectorielle,
- presse,
- brevets,
- solvabilité.
Les sociétés d’évaluation/notation
Les sociétés de réalisation d’études
Les sociétés de conseil :
- comptable,
- financière,
- fiscale,
- sociale,
- juridique,
- informatique,
- environnementale,
- stratégique.
Les sociétés de recherche d’informations :
- les sociétés d’enquêtes terrain (‘’agents de recherches privés’’ en France) ;
- les cabinets de conseil en général (avocat, etc.) ;
- les sociétés de services de veille ;
- les cabinets de due diligence.
Les sociétés de RP/influence[7] :
- les sociétés productrices de contenus d’influence.
Les sociétés de captation by design de l’information :
- les plateformes/agrégateurs de veille,
- les forgeurs RSS,
- les plateformes de recherches spécifiques,
- les extensions payantes à logique informationnelle.
Yvan Failliot
Notes
[1] Rappelons que le but d’un acteur économique est de maximiser ses profits.
[2] Exemple : acquisition d’une information dans le but de la revendre directement.
[3] L’objectif économique ne se résume pas uniquement au fait de gagner de l’argent, mais aussi à celui d’en gagner de manière "sûre", ou encore à ne pas en perdre.
- Exemple 1 : achat d’informations de risque crédit sur une entreprise ou un individu.
- Exemple 2 : achat d’informations sur un fournisseur afin de vérifier la probité de ses pratiques, évitant ainsi des scandales qui pourraient atteindre à l’image de l’entreprise, et donc entraîner des pertes commerciales.
[4] Les Anglo-saxons parlent d’ailleurs de "B to B publishing market".
[5] Exemple : une entreprise pourra vendre des cours d’échecs en ligne, et ces cours seront assimilables à de l’information. Pourtant, on imagine aisément que la totalité des clients de cette entreprise seront des particuliers et non des entreprises, car ce type d’informations a peu de probabilité de servir des intérêts économiques, sauf cas extrêmement spécifique.
[6] « […] ‘’Combien une information coûte-t-elle à produire ?’’ On dira qu’elle coûte ce qu’il faut pour l’obtenir, la mettre en forme et en contrôler le mode de délivrance et de commercialisation. Les coûts de droits d’auteurs, de gestion éditoriale, de numérisation, de gestion de l’information, etc., peuvent être traités comme des investissements en capital. Les coûts de distribution et de marketing peuvent être considérés comme des coûts d’exploitation. C’est ainsi qu’opère l’industrie anglo-saxonne » (« Le marché privé de l'information : Enjeux et perspectives », 2013).
[7] Justification de l’inclusion d’agences de RP ou lobbying : on peut aussi ajouter le « champ de l’influence du consommateur, dès lors que la ‘’prestation informationnelle’’ est rémunérée. De fait, la production informationnelle privée des cabinets de RP répond bien à une demande d’agents privés défendant des intérêts spécifiques. » (« Le marché privé de l'information : Enjeux et perspectives », 2013).