Les tensions informationnelles entre l’Italie et la France

  

 
Dans la mouvance de l’arrivée massive des migrants syriens et africains en Europe, une poussée populiste voit l’arrivée au pouvoir de gouvernements populistes d’extrême droit qui prônent la fermeté dans la gestion des flux migratoires. L’inexistence d’une politique commune européenne de gestion de cette crise, l’arrivée de Donald TRUMP au pouvoir aux Etats – Unis, et les difficultés économiques auxquels font face les Etats, sont le terreau fertile à l’expansion de cette vague populiste décomplexée dans le Vieux continent. L’arrivée au pouvoir en Italie d’une coalition bicéphale Ligue et Mouvement 5 étoiles dit anti système, s’inscrit dans la continuité de cette réalité politique et les éléments de langage des deux leaders Salvini et Di Maio, qualifiés de « populistes lépreux » par Emmanuel Macron, achèvent la mise en place de ce climat de guérilla avec une forte tension depuis quelques mois et qui vient de culminer avec le rappel de l’ambassadeur français à Rome, fait inédit en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale. 

La stratégie des acteurs impliqués et les sujets de la discorde


Tout part de la proposition MACRON de créer des centres fermés sur les côtes européennes, pour accueillir les migrants qui franchissent la Méditerranée en quête d’un avenir meilleur. Les éléments de langage employés par Emmanuel MACRON qui se veut le champion des pays progressistes par opposition aux populistes d’extrême droite, sont très mal vécus en Italie qui a accueilli plus 700.000 personnes depuis 2013. En sus de la question migratoire, lors des discussions sur la formation du gouvernement italien, Emmanuel MACRON se réjouit du véto du président Sergio MATTARELLA à la nomination de l’euro sceptique Paolo SAVONA, en le qualifiant d’acte de défense de la démocratie, là où la coalition au pouvoir le qualifie d’acte arbitraire. 

Sur l’immigration 

Matteo SALVINI, vice-président du Conseil et ministre de l’intérieur, qualifie la proposition MACRON d’hypocrite et visant à transformer l’Italie en « un vulgaire camp de réfugiés », tout en fermant les ports français et en refoulant à la frontière franco-italienne dans les Alpes ou à Vintimille, tout en donnant des leçons aux Italiens. Dans le climat d’escalade verbale entre les deux camps, SALVINI accuse la France d’être à l’origine du chaos libyen, à la suite de l’intervention militaire décidée en 2011 par Nicolas SARKOZY, ayant abouti au renversement du Colonel KADHAFI et à la prolifération de son arsenal militaire dans le Sahel. L’instabilité de ce pays est alors selon l’intéressé le facteur clé de la fuite par les migrants de ce pays et leur arrivée massive sur les côtes italiennes.  

Sur le terrorisme 

La récente arrestation de Cesare BATTISTI (ex terroriste d’extrême gauche longtemps protégé par la France de François MITTERRAND) et son extradition vers l’Italie, offre l’occasion à Matteo SALVINI de réclamer à la France, la livraison de 14 terroristes de la même mouvance et auteurs d’attentats sanglants en Italie dans les années 70 et 80. 

 Sur des dossiers économiques 

C’est le cheval de bataille de Luigi Di MAIO, vice-président du Conseil, ministre du travail et du développement économique et avant tout, leader du mouvement 5 étoiles. Il accuse la France de ne pas appliquer la réciproque quant au rachat d’entreprises françaises par l’Italie. En guise d’illustration, les groupes italiens Parmalat, Fendi, Gucci, Telecom Italia et Mediaset ont été soit rachetés par des groupes français, soit ceux-ci y ont fortement accru leurs participations. En retour, la France userait de manœuvres pour retarder le rachat des chantiers de l’Atlantique par le groupe italien Fincantieri. En outre, le mouvement 5 étoiles se montre ouvertement hostile au projet de ligne ferroviaire à grande vitesse Lyon – Turin déjà engagé, et une étude bénéfices – coûts est en cours à cet effet. En Libye, les groupes pétroliers ENI (Italie) et TOTAL (France) se livrent une forte concurrence pour le contrôle de la manne pétrolière de ce pays ex colonie italienne. 

Enfin sur les origines économiques de la crise migratoire Luigi Di MAIO alimente de manière spectaculaire les nombreuses polémiques sur le franc CFA. En effet, l’intéressé accuse la France d’être à l’origine de la crise migratoire, en appauvrissant l’Afrique par la pérennité du franc CFA qui empêcherait les 14 pays concernés de gérer leurs ressources et de s’industrialiser. Un parlementaire italien de la majorité s’est d’ailleurs autorisé la destruction d’un billet de 10.000 francs CFA à la télévision. 

En guise de réponse, Emmanuel MACRON qualifie ces allégations d’aucun intérêt et d’ajouter que : « Le peuple italien est notre ami et mérite des dirigeants à la hauteur de son histoire » 

La nature de la confrontation et les enjeux


La confrontation décrite supra et qui implique deux partenaires majeurs de l’Union européenne, se déroule essentiellement et malheureusement sur des polémiques et l’escalade verbale sur des sujets qui mériteraient un débat apaisé et constructif, pour le bien de toutes les parties. Au ton manifestement donneur de leçons d’Emmanuel MACRON, les deux leaders italiens répondent par une violence verbale pas toujours en adéquation avec le débat démocratique avec la primauté du débat sur le combat. En donnant son appréciation sur le véto opposé par le président italien à la candidature d’un ministre Européo sceptique italien, le président français a offert à Luigi Di MAIO du mouvement 5 étoiles, l’opportunité de contenter sa base en rencontrant les gilets jaunes français en affirmant que « la révolution a franchi les Alpes », l’intéressé aura contribué à revigorer ce mouvement de contestation qui dure depuis trois mois en France et a déjà déclenché un débat national pour essayer d’en sortir. 

Des polémiques qui alimentent le populisme


Dans ce climat délétère, le gouvernement italien d’extrême droite s’inscrit dans une surenchère verbale forcément nuisible à deux pays membres de l’UE, de l’espace économique européen et partageant la même monnaie. L’escalade en cours, résultat de l’arrivée au pouvoir d’une majorité d’extrême droite décomplexée en Italie, et les bravades du président français Emmanuel MACRON, n’augure rien de rassurant dans un proche avenir et ne peuvent contribuer qu’à semer le doute dans une Europe déjà bouleversée par les replis identitaires et l’avancée des populismes. A quelques mois des élections européennes, cette confrontation caractérisée notamment par l’immixtion dans des questions de politique intérieure, contribuera sans doute à alimenter davantage les populismes qui se nourrissent entre autres, des difficultés économiques. 

 

Simon Georges Etonde