Le Vietnam pourrait, devrait, pouvoir profiter d’un alignement des planètes politiques, économiques et sociétales pour être partie prenante de la nouvelle route de la soie. Ce pourrait être l’occasion de permettre à son peuple de s’exprimer dans cette voie. Mais la complexité des rapports de force économiques au niveau mondial implique une vision nouvelle qui ne peut se limiter à une approche centrée sur le développement et les opportunités commerciales éventuelles. Le Vietnam n'a pas de bases doctrinales en matière de guerre économique. Si certaines autorités peuvent être très réactives en matière de captation d'informations (c'est le premier pays à avoir traduit en 1992 l'étude Techniques offensives et guerre économique rédigée par Christian Harbulot pour le compte du Ministère français de la Recherche), la direction du PC vietnamien a conservé une vision des rapports de force économiques très centrée sur les contradictions intérieures du pays.
Si une nouvelle distribution des rôles politiques à la suite au décès du président Tran Dai Quang fin septembre 2018, a permis une ouverture vers une économie de marché, une normalisation des échanges diplomatiques et une production agricole ou matières premières de premier ordre, le Vietnam reste un pays qui a un retard en matière d'intelligence économique et de grille de lecture des conflits économiques qui ont été révélés au grand jour depuis la présidence de Donald Trump.
D'aucuns pensent que le principal défi auquel le Vietnam contemporain est confronté, à l’aube du troisième millénaire est bien celui de la démocratisation. Mais le Parti communiste chinois a su dépasser cette contradiction en conservant son modèle communiste tout en permettant à la Chine de devenir al seconde économie mondiale. Sur ce point précis, les communistes vietnamiens n'ont pas su adopter une nouvelle posture stratégique.
Le poids contraignant de l'Histoire
A l’heure où certains pays sont sous la cible de la vindicte américaine pour leur régime dictatorial, le Vietnam figure parmi les derniers pays marxistes du monde. Depuis son indépendance acquise de haute lutte face aux Français en 1954, le pays est dirigé d’une main de fer par le Parti Communiste Vietnamien (PCV). Depuis la chute de Saigon en avril 1975 et la réunification du pays, l’obsession des dirigeants vietnamiens a toujours été de donner de l’importance, dans la représentativité politique du pouvoir aux dirigeants originaires du Sud Vietnam tout en gardant l’ascendant idéologique avec les gens formés au Nord. Tandis que de nombreux opposants fuyaient alors le pays par tous les moyens disponibles (boat people), la réunification politique du Vietnam se fit par la force, toute opposition étant balayée et la presse bâillonnée.
Depuis son ouverture économique en 1986, le Vietnam s’est profondément transformé et n’a plus grand-chose à voir avec l’Indochine coloniale. Sous le concept du Doï Moï (« rénovation ») inspirée de la pérestroïka de Gorbatchev, cette politique de rénovation prône le passage à une économie de marché. Cette évolution imposée par les échecs des choix économiques précédents survient à point suite à la disparition de l’Union Soviétique.
En 1989, associé à cette démarche, le retrait des troupes vietnamiennes du Cambodge allait amener une normalisation des relations économiques et diplomatiques avec l’occident (suite à l’invasion datant de 1978, le Vietnam était soumis à des sanctions économiques). Du point de vue géostratégique, l’admission au sein de l’ASEAN en 1997, a été un grand pas dans la direction d’un repositionnement régional et d’une normalisation réelle des relations avec les voisins.
Le Vietnam n’en demeure pas moins sous la menace constant du puissant voisin chinois, l’ennemi millénaire avec lequel subsiste des litiges territoriaux en Mer de Chine méridionale, notamment pour la souveraineté des archipels Paracel et Spartly. Ces litiges ont pour enjeu le contrôle des ressources en hydrocarbures ainsi que le rôle de grande puissance régionale que la Chine veut absolument tenir.
Un potentiel en devenir
Depuis les années 1980 et son intégration à l’économie mondiale, le Vietnam s’est positionné comme une figure de la deuxième vague des pays asiatiques industrialisés. Une croissance annuelle jamais inférieure à 5% sur les 10 dernières années, des investissements directs étrangers toujours plus nombreux de la France, les Etats Unis ou même la Chine. Cela a permis un enrichissement du Vietnam mais qui se traduit par une demande énergétique croissante (la consommation électrique augmente de 15% / an). L’indépendance énergétique est une des priorités du gouvernement.
Le potentiel hydro-électrique demeure largement sous exploité, la construction de 200 barrages supplémentaires depuis 2016 est engagée par le leader monopolistique Vietnam Electricity Power Group. En attendant, de l’importation venue de pays voisins comme la Chine reste nécessaire. Les réserves de gaz du Vietnam sont confortables et sont de l’ordre de 600 millions de mètres cubes, ce qui en fait le 6ème pays asiatique. Pour l’exploitation des réserves en hydrocarbures et du fait qu’elles se situent en zone de nombreux conflits larvés, une solution pourrait être la création de zone de développement commun avec la Chine. Pour le charbon, des importations sont nécessaires depuis l’Australie, l’Indonésie ou de Russie. De ce fait pour contrer ce manque un plan de développement énergétique (2011-2020) avait été annoncé avec la construction de 10 réacteurs dont les premiers seront construits par le géant russe Rosatom, puis par le Japon voir la France. Ce plan de développement énergétique est impossible à tenir sans le soutien technique et financiers de partenaires mondiaux, encore un critère prônant l’ouverture.
Son agriculture s’est modernisée et après avoir atteint l’autosuffisance alimentaire, le pays est devenu un exportateur de riz. Mais c’est surtout du côté des cultures commerciales que sont les résultats les plus spectaculaires, notamment avec le café. A la fin des années 1990, les producteurs vietnamiens de Robusta avaient atteint le second rang mondial. En terme de coopération, les Etats unis sont le plus gros importateur des produits vietnamiens et dans le top 10 des pays investissant au Vietnam, mais les entreprises vietnamiennes doivent tenir compte des changements occasionnés par la guerre commerciale sino-américaine.
Le Vietnam a beaucoup de potentiel pour développer une économie numérique. Le gouvernement vietnamien participe activement à la croissance de l'économie numérique de son pays. Depuis 2016, le gouvernement a créé le Département pour le développement du marché et des entreprises scientifiques et technologiques (NATEC) qui est rattaché au ministère des Sciences et des Technologies. Ce département a pour mission de fournir un appui aux entreprises, des aides financières, ainsi que des régimes fiscaux spéciaux pour les nouvelles entreprises (sous certaines conditions). Pour cela il doit saisir les opportunités de coopération dans les technologies et les flux de capitaux provenant des grandes puissances, dont France et Etats Unis. Le Vietnam se classe troisième en termes de nombre de talents numériques en Asie-Pacifique, deuxième en environnement d’investissement dans les technologies ; et plus de 7% des plus grands développeurs d’applications mobiles en Asie viennent du Vietnam.
Le talent numérique, l’environnement d’investissement dans les technologies et la disposition du marché sont des atouts du Vietnam. Une opportunité formidable donc, mais une concrétisation qui dépend de plusieurs facteurs, notamment les tensions commerciales sino-américaine et la tendance au protectionnisme de nombreux pays du monde. Des experts ont estimé que les tensions sino-américaines auront tendance à stimuler les transferts de capitaux de la chine vers l’ASEAN, ce dont le Vietnam pourrait profiter.
Un manque de doctrine de puissance économique
Le peuple vietnamien est inspiré d’un instinct de survie, la culture de devoir coûte que coûte s’en sortir redoublant de courage et d’abnégation. Il se doit de traiter un facteur d’instabilité, même s’il est loin d’être nouveau, qui est la question ethnique. Face à la majorité Kinh(ou Viet) qui dirige le pays et qui compte pour plus de 85% des quelque 80 millions de Vietnamiens, une mosaïque de groupe ethniques minoritaires refoulés à la périphérie du territoire et des sphères décisionnelles pose régulièrement d’épineux problèmes au régime d’Hanoi.
Traditionnellement au Vietnam, le poste de président est un poste plus honorifique et moins important que le poste de secrétaire général du Parti ou même de Premier ministre. Le triumvirat-l ‘alliance entre le président, le Premier Ministre et le Secrétaire Général du Parti – a toujours favorisé le poste du Secrétaire Général du Parti Communiste qui est le poste prépondérant. Pourtant les relations sont conflictuelle et déséquilibrées entres ces trois postes de pouvoir. Ils reviennent à des personnalités issues des trois Ky, les trois régions du Vietnam : le Nord, le Centre et le Sud, pour des raisons essentiellement de représentativité démographique, de positionnement de la capitale (Hué au centre fut capitale impériale, Hanoi au Nord capitale « coloniale », Saigon devenu Ho Chi Minh la capitale communiste actuelle).
Chacun de ces postes irrigue en effet tout un ensemble de décideurs et d’officiels qui sont en réalité les membres d’un même clan, depuis la tête de l’Etat jusqu’à la base dans les villages. Tran Dai Quang (président décédé en septembre 2018) était un homme puissant. Comme ancien chef de la sécurité publique et des services secrets vietnamiens, c’était un policier qui dirigeait le pays et était capable de parler d’égal à égal avec le Secrétaire Général du Parti. Traditionnellement au sein du gouvernement la relation est souvent conflictuelle entre ces deux postes. Le nouvel enjeu de cette fusion est donc de limiter désormais les luttes de pouvoir entre les élites politiques, qui empoisonnent le pays depuis une vingtaine d’année, et de consolider le pouvoir du Parti auprès du nouveau président Nguyen Phu Trong. Cette décision sert des objectifs qui sont d’abord de politique intérieure.
Devant le principal défi à relever de la démocratisation, sans opposition officielle, le Pari communiste conserve fermement les rênes du pouvoir et veille efficacement à museler toute velléité de réforme politique. Peu de signes laissent croire qu’il puisse survenir dans un proche avenir, quoique ce ne serait pas la première fois que ce peuple nous surprenne et fasse mentir les pronostics. Le pluralisme politique n’est cependant pas toujours à l’ordre du jour.
Quelle stratégie économique, le Vietnam devra-t-il privilégier pour ne pas subir la loi du plus fort ?
Cette nation dynamique au centre des enjeux stratégiques contemporains en Asie, a l’occasion et les capacités pour créer un élan formidable pour son peuple mais celui-ci doit se saisir de son destin. Ce qui est évident, c’est que la modernité politique aujourd’hui, aux yeux des Vietnamiens, qu’il s’agisse du peuple ou des élites politiques, n’est plus forcément représenté par le modèle occidental. Ces nouveaux modèles permettent de penser développement, consentement de sa jeunesse et enrichissement global de la société à travers des modèles politiques compatibles avec leurs voisins d’Asie (c’est-à-dire non démocratique au sens occidental du terme). Le Vietnam a pris conscience que les sources de modernité peuvent être asiatiques, aux abords d’une « nouvelle route de la soie » avec la technique de la main tendue avec le monde extérieur et les puissances incontournables dans sa périphérie géostratégique (Etats-Unis d’Amérique, Chine, Japon, Russie).
Gildas Guillerm