Les manœuvres informationnelles autour du thème de la corruption au Congo Brazzaville
La démarche offensive d'une ONG anti corruption
Global Witness, une ONG qui protége les droits de l'homme et l'environnement en luttant sans peur contre la corruption et en mettant en cause les systèmes qui le permettent. Comme elle le clame toujours, « Nous voulons un monde meilleur - où la corruption est mise à l’épreuve et où la responsabilité pèse sur l’obligation de rendre compte dans les organisations, tous peuvent prospérer dans les limites de la planète et que les gouvernements agissent dans l’intérêt général ». Fondée en 1993 par Patrick Alley, Charmian Gooch et Simon Taylord, Global Witness est le pionnier dans la compréhension du lien entre les ressources naturelles, les conflits et la corruption.
Depuis sa toute première campagne visant à fermer l’industrie forestière illégale des Khmers rouges, l'ONG a découvert la vérité sur les diamants du sang et aidé à dégager des milliards de revenus tirés des ressources pétrolières, gazières et minières. Elle avait aussi braqué les projecteurs sur les meurtres brutaux de ceux qui défendaient leurs terres des saisies forcées par les entreprises et les gouvernements, et elle a fait campagne pour mettre fin à l'utilisation d'entreprises anonymes et bien plus encore. Mais aujourd'hui, les enquêtes percutantes de l’organisation révèlent qui vole l'argent ? où il le cache et comment il le dépense ? Elle traque et expose le chemin de la corruption, réclamant un changement global pour y mettre fin. Organisation indépendante, sans but lucratif, elle travaille avec des partenaires du monde entier dans le combat pour la justice. Avec un effectif de plus de 100 employés et des bureaux à Londres, Washington DC et Bruxelles, ainsi qu'un réseau mondial de partenaires et d'alliés, les campagnes Global Witness englobent le pétrole, le gaz et les mines, les ressources en cas de conflit, les forêts, la défense de la terre et de l’environnement, ainsi que la corruption et le blanchiment d’argent.
Total et ENI avec un intermédiaire douteux ?
D’après une enquête de Global Witness dans le bassin du Congo, deux grandes compagnies pétrolières européennes (Total et ENI) et un ancien représentant du FMI ont entretenu des relations d’affaires avec un intermédiaire se trouvant au cœur d’une enquête portugaise pour corruption. José Veiga, présumé homme de main du président de la République du Congo et visé par une enquête pour corruption, a autrefois détenu une participation dans une compagnie pétrolière ayant des liens à la fois avec le géant pétrolier français Total et la compagnie pétrolière nationale italienne Eni. Son associé au sein de cette société était l’ancien représentant du FMI au Congo, Yaya Moussa.
Le FMI a accordé au Congo un allègement de la dette de près de 2 milliards de dollars en 2010. Moussa, le représentant résident qui a participé à la négociation du plan de renflouement, a quitté son poste peu de temps avant que les fonds de sauvetage ne soient accordés et a créé la même année une compagnie pétrolière basée au Delaware et dénommée Kontinent. Moussa a depuis lors obtenu des parts de licences d’exploitation de champs offshore riches en pétrole, détenues par sa société Kontinent Congo, dont il est le copropriétaire avec Veiga. Dès 2015, Veiga détenait 49 pour cent de Kontinent Congo. La nouvelle arrive au moment où le FMI envisage un second sauvetage en huit ans pour le Congo, dont les réserves publiques ont été vidées par une combinaison de facteurs toxiques tels que la baisse du cours du pétrole et le fait que la famille du président soit soupçonnée de corruption, blanchiment d’argent et détournement de fonds. Veiga a été arrêté début 2016 dans le cadre d’une enquête portugaise portant sur le blanchiment d’argent, la fraude fiscale, le trafic d’influence et la corruption internationale au Congo. Selon les enquêteurs, Veiga aurait reçu d’importants versements de la part de sociétés cherchant à investir au Congo, qu’il aurait ensuite partagés avec des membres des autorités congolaises par le biais d’une structure offshore complexe et opaque. Veiga a passé trois mois en prison et deux mois en résidence surveillée, mais a été depuis remis en liberté. Mais l’enquête est toujours en cours.
Total et Eni détenaient toutes les deux des licences d’exploitation de champs pétroliers dont une part a été concédée à Kontinent Congo dans le cadre d’un processus de renouvellement à la mi-2015. Ces licences devaient être ratifiées par le parlement congolais après le renouvellement et l’ajout de Kontinent Congo comme partenaire. Cependant, les deux sociétés ont renoncé aux licences en question à la fin de l’année 2016, avant l’approbation parlementaire et 10 mois après l’arrestation de Veiga. La volonté apparente de Total et d’Eni de faire des affaires avec Veiga jette un doute considérable sur la qualité de leurs processus de vérification préalable et de leurs stratégies de réduction des risques. Elles auraient déjà dû être informées des informations négatives parues dans la presse à son sujet : depuis 2014, les médias portugais ont signalé les liens suspects de Veiga avec la famille du président congolais.
La réponse de Total à l'attaque de Global Witness
Total a admis auprès de Global Witness que la situation de Veiga et Moussa, propriétaires de Kontinent Congo, avait été identifiée par la société comme susceptible de soulever d’éventuels problèmes de conformité. La compagnie a déclaré que, pour y remédier, elle avait prévu de mettre en place « des dispositions visant à atténuer le risque que toute personne en relation avec des fonctionnaires publics soit en mesure d’influencer indûment les opérations réalisées dans le cadre de la Convention d’exploitation conjointe ». Total était donc consciente des risques potentiels liés à un accord de partenariat avec Veiga et Moussa, mais a toutefois estimé que cela ne posait pas de problème. Dans un rapport publié par Total en réponse aux propos de l’ONG qui décrédibilise sa due diligence et son processus d’atténuation de risques, il rassure que le programme d’anticorruption de Total est vraiment très fort et c’est justement grâce à cela qu’ils ont compris qu’ils ne pouvaient pas poursuivre l’exploitation de Secteur Sud car n’étant pas satisfait du partenariat.
Des manques à gagner
En Afrique, les contrats léonins dans les secteurs des mines et énergies sont légion, surtout dans les pays où la corruption est courante, comme c’est le cas de nombreux pays d’Afrique de l’ouest et centrale, riches en ressources minières et pétrolières. A cause de cette pratique, des milliards de dollars sont annuellement perdus par les pays africains. Les sociétés qui investissent au Congo et dans le monde entier doivent respecter les meilleures pratiques en matière de vérification préalable et de gouvernance. Pour que le Congo évite à l’avenir d’avoir besoin d’un autre sauvetage, il est également crucial que le gouvernement du pays applique les normes les plus strictes en matière de gestion des ressources et des recettes publiques.
Yemi Tito Djakopo