Les affrontements informationnels sur la question du permis de conduire



 


Le permis de conduire représente en France un marché de 1,9 Milliards d’euros qui attise les convoitises de pure players web, qui s’installe sur ce secteur depuis quelques années et tentent d’influencer la réglementation en leur faveur. Les auto-écoles traditionnelles tentent d’organiser la défense et la riposte et nous assistons à une vraie guerre de l’information entre les acteurs historiques et les nouveaux entrants. La question du permis de conduire cristallise à lui seul des enjeux sociétaux, économique et politique. 

La réglementation des auto-écoles en France


Le premier encadrement réglementaire de l’enseignement et de l’exploitation en auto-école remonte à 1958. Cette réglementation stipule d’un coté que toute personne souhaitant enseigner la conduite doit désormais être titulaire d’un titre de moniteur d’enseignement de conduite des véhicules à moteur sanctionné par un certificat d’aptitude professionnelle et pédagogique et de l’autre que l’exploitation d’un établissement d’enseignement de conduite doit faire l’objet d’un agrément de l’autorité préfectorale. Une nouvelle réglementation du 8 janvier 2001 viendra confirmer le statut de profession réglementée pour l’enseignement de la conduite en précisant que l’enseignement de la conduite à titre onéreux est réservé aux auto-écoles. Cette réglementation définit également les modalités d’obtention d’un agrément d’auto-école. 

En 2014, l’arrivée d’une plateforme web qui propose la mise en relation entre clients et moniteurs diplômés (BEPECASSER), Ornikar (soutenu par Xavier Niel, Marc Simoncini, Jacques-Antoine Granjonet et les fonds Idinvest Partners, Partech Ventures, Elaia Partners et Brighteye Ventures ) déclenche une réaction vive et unifiée des syndicats professionnels. En effet, après 3 mois d'existence et encore aucune activité commerciale, Ornikar reçoit le 10 avril 2014 une ordonnance en référé pour concurrence déloyale de la part des syndicats de gérants d'auto-écoles (UNIC, CNPA, CNSR, FNEC, UNIDEC, UNISDECA). Cet épisode constitue le premier échange de coup entre les auto-écoles traditionnelles et les nouveaux entrants proposant un modèle disruptif. 

La loi dite « MACRON » viendra impacter directement l’organisation du secteur notamment en déréglementant l’apprentissage du code de la route et instituant le principe du « candidat libre » pour les épreuves du code de la route (entrée en vigueur le 8/8/2015) puis du permis de conduire (entrée en vigueur le 1/1/2017). 

Le permis de conduire, des enjeux sociaux, économique et politique


Les enjeux de l’encadrement et l’organisation du permis de conduire sont sociaux, économiques et politiques, voir écologique. 

Enjeux sociaux : 

Parler de permis de conduire c’est aussi parler de mobilité pour tous ceux qui nécessitent un véhicule soit dans l’organisation de leur vie personnelle soit par nécessité pour leur vie professionnelle.Le permis est en lui-même un outil facilitant l’accès au marché du travail. De nombreux emplois nécessitent directement le permis de conduire (activités logistiques ou commerciales notamment) et d’autres indirectement pour les personnes habitant des zones peu desservies par les transports en commun et qui ont un emploi à distance par rapport à leur domicile. L’encadrement de la mobilité passe notamment par l’établissement de normes pour la sécurité routière comme la limitation de vitesse, aménagements des routes et rond points, ou encore installation de radars automatiques. C’est un sujet social crucial et les campagnes de sensibilisation à la sécurité routière sont fréquentes. La question de la qualité de l’enseignement prodiguer aux apprentis conducteurs est centrale. 

Enjeux économiques 

L’aspect économique doit être regarder d’un coté de manière globale au niveau de l’organisation du secteur et de l’autre du côté des apprentis conducteur, encore majoritairement clients de ces écoles de conduite. Le marché du permis de conduire est un marché d’environ 1,9 Milliards d’euros. Le secteur des auto-écoles est composé de 95% de TPE et les groupements d’auto-écoles sont peu nombreux. Les autos-écoles traditionnelles sont représentées par plusieurs organisations syndicales (UNIC, FNEC, CMPA, UNIDEC). De l’autre côté c’est 1,4 millions de candidats récurrents examinés chaque année. Ces candidats font face à un coût du permis de conduire élevé, 1500€ en moyenne et à des délais de présentation long. La loi dite « Macron » vient répondre à la problématique du délai de passage en assouplissant le processus, ce qui permet désormais aux candidats qui le souhaite de passer leur code de la route ainsi que l’examen de permis de conduire en candidat libre avec un délai de réponse de maximum 2 mois. Enfin, l’enjeu économique majeur est la facilitation de l’accès à l’emploi. Pour 65% des entreprises, le permis de conduire est nécessaire (source UFC que choisir – 092016) 

Enjeux politiques 

Pour toutes les raisons évoquées plus haut, on comprend pourquoi les gouvernements successifs s’investisse dans un sujet qui pourrait sembler de prime abord secondaire. Ce sujet cristallise en effet à lui seul des questions de pouvoir d’achat, d’accès à l’emploi, de mobilité. La décision de 2017 consistant à utiliser son compte CPF pour financer son permis de conduire est un exemple d’action politique répondant à ces enjeux. 

Loi égalité et citoyenneté  

Le 9 novembre 2018, le président de la république promettait lors de sa visite dans un centre social de Lens, une baisse « drastique » du coût du permis de conduire et d’«aider à l’acquisition du premier véhicule » LCI 9/11/18. Une commission parlementaire est en cours et devrait rendre ses conclusions début 2019. 
 

L'affrontement entre les auto-écoles traditionnelles et les auto-écoles en ligne


Après ce tour d’horizon rapide des enjeux à la surface, il convient d’observer la guerre que se mène les auto-écoles traditionnelles et les « nouveaux entrants », nous devrions d’ailleurs plutôt parler des stratégies des nouveaux entrants et de la défense des acteurs historiques. À partir de 2014, de nouveaux acteurs apparaissent dans l’écosystème des auto-écoles avec comme arguments des réponses aux attentes des clients, réduire le coût, réduire les délais, simplifier les démarches notamment en digitalisant l’apprentissage du code de la route et l’organisation des heures de conduite. Dans ces nouveaux entrants il faut distinguer deux grands types : 
 

  • Les pure players (Ornikar, Le permis libre, En Voiture Simone) qui ont un modèle économique construit autour du principe de plateforme de mise en relation. Ils font appel à des travailleurs indépendants pour assurer les cours de conduite.
  • Les auto-écoles hybrides (Permigo, Auto-ecole.net) qui en même temps qu’ils capitalisent sur la digitalisation et un marketing online performant maintiennent la dispense des cours de conduite par des moniteurs salariés. Les auto-écoles hybrides s’apparentent à des groupements d’auto-écoles avec une centralisation de la communication et des outils.


Dans une stratégie agressive d’entrer et de développement de leur part de marché du permis de conduire, les pure players capitalisent à chaque étape sur les nouvelles réglementation qui semble avancer inévitablement vers de la déréglementation de ce marché. Dès le départ, on constate un maniement de la communication d’influence. Ornikar invitait sur la homepage de son site historique à la mobilisation des citoyens sous forme d’une pétition car Ornikar n’obtenait pas les agréments nécessaires au lancement de leur activité. Avec comme argument des prix cassés pour passer le permis de conduire 

Les syndicats d’auto-écoles traditionnelles réagissent et assignent Ornikar en justice concernant le sujet des agréments. Le 3 décembre 2015, la cour d’appel de paris rend un arrêt condamnant Ornikar. 20 Minutes du 4/12/15 . Cet évènement est le départ d’une guerre juridique entre les syndicats professionnels des auto écoles traditionnels contre les pure players. 

En 2018, c’est Le permis libre qui a des démêlés avec la justice. Le tribunal administratif de Lyon estimera que l’activité des moniteurs « en faisaient des salariés de l‘entreprise et non des auto-entrepreneurs ». Tribunal administratif de Lyon 20/11/2018  

Riposte des pure players qui créent leur propre syndicat afin d’être reçu dans les commissions et auditions afin de promouvoir leur modèle et légitimer leur cause. Les pure players ont également une communication publicitaire, de relations publiques soutenues, ils interviennent fréquemment dans les médias. Ornikar a effectué une levée de fonds de 10 millions d’euros France info 22/3/18, En Voiture Simone de 2 millions. Des fonds qui leur permettent de soutenir leurs actions de communication et de lobbying.  Durant l’été 2018, un des syndicats les plus représentatif des auto-écoles traditionnelles a annoncé faire appel désormais à une société spécialisée pour le lobbying pour tenter d’agir à la source plutôt que d’être en réaction. À ce jour, la guerre économique de ces acteurs est encore en cours et aucun vainqueur n’est encore sorti victorieux de ce conflit. Il est à noter néanmoins que l’issue sera avant tout politique et par conséquence légale.

Omer Bourret