Les conséquences de la guerre économique saoudienne au Yémen

 


Le riyal yéménite est l’épine dorsale de l’économie du pays et sert à tout acheter, des pièces détachées aux produits alimentaires de base. Son effondrement continu aurait des conséquences inimaginables pour la vie quotidienne des civils. Plus de trois années de guerre de coalition entre le gouvernement des États-Unis et l'Arabie saoudite contre le Yémen ont déjà créé la plus grande urgence au monde en matière de sécurité alimentaire. Avec des millions de personnes menacées de famine, l'ONU a décrit le Yémen comme la pire catastrophe humanitaire au monde. En Août 2018, la panique s’est abattue sur les marchés et les maisons yéménites après une chute brutale de la valeur du riyal yéménite, accompagnée d’une augmentation des prix des denrées alimentaires de base. Ceux qui ont encore de l'argent se sont précipités pour convertir leurs économies en USD ou pour acheter de l'or, mais la plupart des Yéménites ont maintenant deux perspectives sombres: soit mourir des frappes aériennes américano-saoudiennes, soit mourir de faim. Le RY a perdu plus de la moitié de sa valeur par rapport au dollar américain - les propriétaires des bureaux de change et les citoyens de Sanaa et d'Aden ont déclaré à MintPress que le taux de change du RY par dollar s'élevait à environ 550 RY, contre 250 RY au début de la guerre dans le pays. 

Quand une monnaie commence à glisser, elle craint en partie un effondrement continu et une spirale infernale qui alimente cet enroulement ce qui fait d’elle une prophétie auto-réalisatrice.  «Il y a un mois, j'achetais 50 kilos de blé avec 7 000 RY (12 $); maintenant, il en coûte 13 000 RY. Maintenant, comment puis-je apporter de la nourriture pour mes enfants? » Déclara Abdulkhaliq al Kholani, âgé de 50 ans, père de sept enfants et fonctionnaire de la Red Sea Ports Corporation à Hodeida. Il enchaine ensuite: «S'ils ne meurent pas à la suite de frappes aériennes saoudiennes, ils mourront de faim. On n'a pas le choix». Ainsi on peut comprendre que la peur grandit chez les Yéménites ordinaires qui essaient de faire face aux développements économiques. Un responsable de la Banque centrale du Yémen a déclaré qu’on n'avait jamais connu une telle dépréciation. Fadhl Abass, un analyste économique du Yémen, a déclaré à MintPress que le transfert de la Banque centrale à Aden, la cessation des exportations de pétrole et le ciblage des installations économiques sont parmi les facteurs majeurs ayant contribué à l’effondrement de la monnaie locale. 

Le 17 janvier 2018, le roi saoudien Salman a confirmé qu'un dépôt de 2 milliards de dollars serait versé à la Banque centrale d'Aden. Cependant, la banque centrale n'a pas reçu le dépôt promis par les Saoudiens, selon une source à la banque, qui a confirmé que c'était l'un des facteurs qui pesaient sur le RY et qui provoquait un effondrement général. Par ailleurs, l'ancien gouvernement du Yémen, allié fidèle de Riyad à Aden, avait reçu de nouveaux billets de banque de Riyal des imprimeurs russes, or la Banque centrale ne disposait pas des réserves de change nécessaires pour garantir la valeur du riyal aux autorités. Ce qui représente un  facteur supplémentaire de l'effondrement du RY. En effet, le Dr. Mishal Al-Rifi, doyen de la Faculté de commerce et des sciences économiques de l'Université de Sanaa, a indiqué que l'acte du gouvernement de l'ancien président avait provoqué l'effondrement du RY par rapport au dollar et a ainsi conduit à une hausse spectaculaire des prix. Dans le passé, les mercenaires de la coalition dirigés par les Saoudiens cherchaient à augmenter leurs liquidités en imprimant de l'argent, mais le Riyal est passé de 250 à 350 dollars après le lancement du premier lot de billets nouvellement imprimés l'an dernier. Le Riyal s'échangeait à 450 dollars pour un dollar d'ici la fin de l'année et en milieu de cette année il s'est écrasé à environ 550. Les autorités gouvernementales de Sanaa ont rapidement reconnu l'effondrement du riyal et ont entrepris de réstabiliser la monnaie en demandant l'assistance de banques et d'institutions financières privées, mais de nombreux Yéménites voient cette solution insuffisante et incapable de changer leur situation ou rendre leur vie plus agréable.


Les Yéménites descendent dans la rue pour dénoncer «la guerre économique» 


Face à ce nouveau type de bombardement, al Kholani et des dizaines de milliers de Yéménites sont descendus dans les rues de Sanaa pour condamner ce qu'ils ont appelé "la guerre économique lancée contre leur pays" par la coalition dirigée par les Etats-Unis et l'Arabie saoudite - qui a décimé la capacité de la plupart des Yéménites à acheter de la nourriture, accélérant ainsi la propagation de la famine dans un pays qui importe près de 90% de ses besoins nutritionnels. Des habitants rebelles se sont dirigés vers Bab al-Yémen, à l'est de Sanaa, sous le slogan «Les Américains et les Saoudiens font des prix élevés», portant des pancartes et des drapeaux nationaux yéménites et scandant des slogans contre les États-Unis et l'Arabie saoudite, exprimant leur colère face à la crise économique actuelle. Cette crise qui selon eux, est crée par les Saoudiens suite à la coalition. "L'effondrement du Riyal a doublé les prix des denrées alimentaires", a déclaré l'un des manifestants à MintPress, ajoutant: "Cela nous a poussés dans la rue pour condamner la guerre économique déclenchée par les États-Unis et les Saoudiens". Les Yéménites souffrent également en raison de pannes de courant, du manque de dérivés du pétrole et de la propagation du choléra. Pour sa part, le sous-secrétaire du ministère des Finances, Abdul Salaam Mahtouri, a appelé lors de la manifestation à un refus de traiter avec la nouvelle monnaie, de boycotter les biens saoudiens et émiriens, et de ne pas aggraver la crise en se précipitant pour acheter des biens. 

Le déménagement de la banque dans le sud du Yémen est l'un des facteurs qui on pesé sur le Riyal


Al Kholani, à l'instar de millions d'autres Yéménites, est confronté à la misère car son salaire est resté impayé pendant plus de 20 mois après que la coalition dirigée par l'Arabie saoudite a transféré la Banque centrale de la capitale Sanaa à la ville portuaire d'Aden, dans le sud du pays. Mais l'effondrement de la monnaie locale pourrait encore aggraver la situation d'Al Kholani et de plus de 22 millions d'autres au Yémen. En fait, depuis le transfert de la Banque centrale en septembre 2017, sans aucune justification économique positive, la monnaie locale a perdu plus de la moitié de sa valeur par rapport au dollar et la flambée des prix a mis certains produits de base hors de portée pour de nombreux Yéménites. En revanche pour la coalition dirigée par l'Arabie saoudite, le transfert de la Banque faisait partie d'une stratégie à long terme visant à conquérir le contrôle politique et économique du Yémen, sans tenir compte des résultats désastreux pour les civils qui vivent au cœur du pire désastre humanitaire au monde. Le blocus saoudien - aggravé par le ciblage du port de Hodeidah par la coalition saoudienne, vitale pour la majorité de la population du Yémen - a entraîné une flambée des prix des produits de première nécessité au Yémen. Mohammed al Hussani, un économiste yéménite, a déclaré à MintPress: « Si la monnaie s'effondrait, il n'y aurait pas de réelle alternative en raison du manque de devises, du blocus et de l'effondrement de l'économie yéménite, et de l'absence d'une banque centrale fonctionnelle en particulier.» Les importations sont achetées sur les marchés internationaux en dollars, ce qui signifie que le dollar américain est en circulation au Yémen, d'autant plus que ceux qui détiennent de grandes quantités du RY cherchent la stabilité du dollar américain, créant ainsi une fuite de capitaux du pays.  

Strangulation économique comme arme de guerre


La coalition dirigée par les Etats-Unis et l'Arabie saoudite a utilisé l'étranglement économique systématique comme arme de guerre : ciblant les emplois, les infrastructures, les marchés alimentaires, les usines et la fourniture de services de base. La coalition affirme cibler des sites économiques utilisés à des fins militaires, qu'elle considère donc comme des cibles militaires légitimes. La coalition a délibérément cherché à infliger des dommages étendus à la capacité de production du Yémen. Selon une déclaration du Centre juridique pour les droits et le développement à MintPress, les frappes aériennes saoudiennes ont visé 14 375 structures économiques civiles - notamment des usines, des entrepôts commerciaux, des produits alimentaires, des médicaments, de l'électricité et du carburant. Bon nombre de ces installations économiques ont été contraintes de réduire leur production et des centaines de travailleurs ont perdu leurs moyens de subsistance. «Les prix plus élevés de la nourriture, des transports et des médicaments nous ont rendu difficile, voire impossible, de satisfaire nos besoins essentiels», a déclaré Fahd al Reimi, qui compte une famille de 12 personnes, à MintPress. Il a perdu son emploi après que des lieux de travail ont été attaqués. Dans tout le pays les cicatrices de la guerre économique sont clairement visibles : des cinq ponts détruits aux ruines de plus de 10 usines, en passant par  le châssis de camions-citernes destinés à frappes aériennes saoudiennes. Le malheur dans les hôpitaux et la souffrance de la malnutrition sont de taille surtout chez les enfants yéménites qui meurent chaque jour du manque de nourriture, de médicaments et d’eau potable; encore plus que de se battre. Tamer Kirolos, directeur national de Save the Children Yémen, avait tout résumé: « Avec la destruction de l’économie et la destruction des installations de santé et d’assainissement dans l’ensemble du pays, les conditions sont désormais propices à la propagation des maladies et de la famine. Les agences d'aide font tout ce qu'elles peuvent pour garder les gens en vie, mais au final, nos efforts ne sont qu'un pansement collant sur une plaie béante.» 

  
 

Abderrahmane ABDELADIM