Brittany Kaiser, laisse entendre, devant les députés britanniques, que des informations personnelles de citoyens britanniques ont été utilisées abusivement pendant la campagne pour le référendum sur la sortie du Royaume-Uni de l’UE. Cambridge Analytica (CA) est accusée d’avoir collecté et exploité les données personnelles de plus de 87 millions d’utilisateurs sans leur consentement en vue d’influencer leur choix lors de l’élection.
A l'origine de Cambridge Analytica, les recherches du Dr Kosinski
Au départ, seuls ses camarades étudiants répondent au test mais très vite l’application connaît un succès et récolte les scores psychométriques de millions d'utilisateurs de Facebook. En 2012, le Dr Kosinski, alors chercheur au centre psychométrique de l’université de Cambridge poursuit ses recherches. Son équipe serait parvenue à développer une technique pour comprendre le profil psychologique d’une personne sur Facebook. En partant des résultats de millions de tests remplis par des internautes sans méfiance et d’autres données personnelles comme ce qui est liker, les partages, les posts, leur âge, genre, lieu de résidence, le chercheur prouve qu’à partir d’un minimum de 68 likes par un internaute, il est possible de prédire sa couleur de peau (à 95%), son orientation sexuelle (88%) ou ses convictions politiques (85%). Les conclusions du travail du chercheur permettent de catégoriser le profil des personnes sur Facebook (extraverties, anxieuses, sympathiques, ouvertes, dépressives, etc). Sur un réseau social qui compte plus d'un milliard d'utilisateurs, les recherches ont beaucoup de valeur.
déclare alors au réseau social qu’il collecte des données pour des travaux de recherche, ce qui n’est pas illégal. En réalité, il revend les données à Cambridge Analytica pour une somme s’approchant le million de dollars selon l’hebdomadaire britannique The Observer qui a réussi à se procurer les contrats.
Près de 305000 personnes ont ainsi téléchargé « ThisIsYourDigitalLife », pensant participer à une étude universitaire. L’application collecte en fait toutes les données mais aussi celles de leurs amis Facebook, sans que ces derniers le sachent. Par ricochet, plus de 87 millions de profils sont ainsi récupérés illégalement par Cambridge Analytica entre 2014 et 2015, ce qui représente une des plus importantes collectes de données illégales dans l’histoire de Facebook… sans que le réseau social soit piraté ! Aleksandr Kogan a simplement profité du fonctionnement normal de Facebook. En avril 2015, Facebook restreint l’étendue des données, notamment les « social graph » qui permettaient l’accès aux profils des amis utilisateurs qui s’inscrivaient sur des applications tierces.
Un écosystème de sociétés dans le monde spécialisé du marketing électoral
Fondée en 2013 par Zack Massingham, un ancien administrateur d'université, on y retrouve Christopher Wylie qui va travailler par la suite pour Cambridge Analytica.
L'influence de Cambridge Analytica sur le Brexit
BeLeave, Veterans for Britain et le Parti unioniste démocratique d'Irlande du Nord - des messages vont être ciblés aux mêmes publics sur Facebook via AIQ. Christopher Wylie, le jeune lanceur d’alerte à l’origine des informations sur la fuite des données Facebook, affirme qu’AIQ a travaillé avec Cambridge Analytica afin d’aider la campagne en faveur du Brexit et à contourner son plafond de dépense pour inonder les électeurs en masse de messages et de Fake news. Il estime que sans AggregateIQ, le camp conservateur n’aurait pas pu gagner le référendum, qui s’est joué à moins de 2% des votes.
Pour Steve Bannon, le Royaume-Uni est un leader culturel dans le monde. Pour beaucoup d’Américains, c’est le pays des gens éduqués. Si un mouvement populiste au Royaume-Uni peut être inspiré, alors il est possible de le faire aux Etats-Unis. Le Royaume-Uni constitue donc pour Cambridge Analytica, une excellente opportunité pour tester son approche dite révolutionnaire de la communication, à l’échelle d’un pays européen en perspective de la campagne présidentielle de Donald Trump, où la société CA sera chargée de planifier et réaliser des campagnes de publicité en ligne et sur les réseaux sociaux en identifiant les tendances par échantillon d’électeurs.
Le nom de l’entreprise et son concept font tout de suite penser aux recherches du Dr Kosinski de l’université de Cambridge qui, après le Brexit, reçoit des mails de la part de ses collègues et amis, lui disant : « regarde ce que tu as fait ».
Une enquête parlementaire sur la campagne du Brexit
Quant à Christopher Wilye, lors d’une audition devant les députés britanniques, l’ancien employé de Cambridge Analytica, assure qu’AIQ travaillait pour la campagne « Leave » lors du référendum sur le Brexit, ce qui pourrait violer les règles de dépense de campagne. Il a assuré aux députés qu’il avait soutenu la campagne pour la sortie du Royaume-Uni de l’UE, mais qu’il désapprouvait désormais l’activité illégale de Cambridge Analytica pour avoir aidé la campagne « Leave ».
Le Parlement britannique a également réclamé l’audition de Mark Zuckerberg pour s’expliquer sur ses relations avec Cambridge Analytica, cependant le PDG de Facebook a décliné. Dans un communiqué de Facebook, l’entreprise se défend de tout piratage de données ou de violation, considérant qu’Aleksandr Kogan a demandé et obtenu au préalable le consentement des utilisateurs.
Novembre 2018, après une procédure rarissime, les députés du Parlement britannique sont parvenus à récupérer des documents internes à Facebook, qui étaient en possession du patron d’une startup américaine, Ted Kramer, en procès contre le réseau social. Les documents porteraient notamment sur les décisions du réseau social quant au contrôle des données et du respect de la vie privée, qui ont conduites à l’affaire Cambridge Analytica. Des échanges de courriels confidentiels entre des cadres supérieurs et Mark Zuckerberg figureraient aussi dans les documents.
Une plateforme en chasse une autre
Après plusieurs mois de scandale, Cambridge Analytica a fermé en mai 2018. Cependant, les algorithmes et les bases de données n’ont pas disparu. Une restructuration juridique et financière de la société a été effectuée. Au cœur de cette nouvelle galaxie gravite Brad Parscale, patron d’une petite entreprise Internet située à San Antonio, qui travaillait pour le groupe immobilier Trump. En 2015, celui-ci fut nommé par Donald Trump directeur des médias numériques de sa campagne. En octobre 2017, Brad Parscale a déclaré à la chaîne de télévision CBS qu’il avait très tôt compris que Trump gagnerait grâce à Facebook (…). Pendant toute la campagne, son équipe va bénéficier de l’aide directe d’employés de Facebook, dont certains sont installés dans ses locaux. Certains pourront s'interroge sur ce type coïncidence.
Si le Brexit reflète avant tout une cassure très importante de la société britannique entre un vote populaire issu des régions laissées à l'abandon et les grandes métropoles qui tirent leur épingle du jeu de la mondialisation, l'importance des réseaux sociaux sur ce vote populaire reste à démontrer, indépendamment des feux d'influence qui ont pu s'exercer par leur biais.
Corinne Petitprez
Source :
Euractiv, réseau de médias européens spécialisé dans la publication d'articles sur l'actualité européenne.
Audition de Brittany Kaiser au Parlement britannique « Testimony to the Fake News Inquiry »
Articles de presse : The New European, The Observer, Le Figaro, La Croix, Le Monde, Libération, Les Echos, …