L’intolérance au gluten, connu aussi sous le nom de maladie cœliaque est découverte en Europe en 1950. Son seul traitement actuel est le régime sans gluten strict et à vie. Le gluten est un ensemble de protéines présent dans certaines céréales comme le blé, le seigle ou l’orge. Le gluten est l’élément nécessaire aux étapes de fermentation des farines permettant la fabrication du pain levé ou encore des biscuits. L’alimentation des personnes souffrant de cette maladie est, par conséquent, très restreinte et sont notamment limitées par la consommation des produits issus de l’industrie agroalimentaire où, les farines de ces céréales, sont des intermédiaires de fabrication très utilisés et quasi inévitables. Néanmoins, l’apparition, en France, de produits industriels « sans-gluten » dans les magasins diététiques, puis dans la grande distribution, qui suscite de véritables polémiques.
Les parties prenantes du débat :
Les différents acteurs impliqués dans ces polémiques sont, au départ, les personnes souffrantes de la maladie. Dave Scott, diagnostiqué comme intolérant au gluten en 1994 décide ainsi de créer, en 1995, l’un des premiers sites Internet d’information sur la maladie cœliaque et ouvre un supermarché en ligne en 1998. Dans un même temps, des associations représentant les malades, comme l’association française des intolérants au gluten (AFDIAG), et des associations de médecins étudiant l’hépato-gastro-entérologie font leur apparition. Nous pouvons ajouter les industriels de l’agriculture, des fabricants de produits agroalimentaires ou encore de la grande distribution. Enfin, les consommateurs non atteints de la maladie cœliaque sont largement partie prenante du débat, et sont à l’origine de la principale polémique sur les effets de l’alimentation avec et sans gluten pour les individus sains, comme nous allons le voir. Supprimer le gluten de son alimentation sans être diagnostiqué intolérant au gluten est un phénomène qui apparaît durant les années 80 avec l’apparition d’un régime qui reprend le style d’alimentation du chasseur-cueilleur, soit un mode de vie précédent la culture du blé. Le phénomène de société du sans-gluten répond davantage à des intérêts économiques - notamment l’ouverture de nouveaux marchés – plutôt qu’à l’intérêt des malades, car seulement 0,7 à 2% de la population sont touchés par la maladie cœliaque. En effet, Dave Scott et le premier supermarché en ligne du sans-gluten sont devenus le leader sur ce marché. Nous pouvons noter que le site a su résister à la bulle Internet de 2001 et à la récession de 2008, malgré la faible quantité de clients théorique.
L’apparition des rayons sans-gluten dans la grande distribution rapporte naturellement à celle-ci et aux industriels ayant créé des gammes de produits transformés et sans-gluten. Cependant, la certification et l’utilisation des labels sans-gluten rapportent aussi à l’association française des intolérants au gluten par une redevance annuelle qui est elle-même membre de l’AOECS (Association Of European Coeliac Societies) qui ont pour mission de soutenir la recherche scientifique. Cette configuration fait apparaître une forme de « coopétition » entre les acteurs industriels et les associations. Le bénéfice économique des deux acteurs montre bien la nécessité d’une coopération entre eux. Cependant, le financement des associations fait avancer la recherche sur la maladie et crée un risque pour les acteurs industriels fabricants des produits sans-gluten.
Une polémique à somme nulle
Ceci nous amène aux nombreuses attaques informationnelles menées par les partisans du gluten et ses adversaires. En effet, une idée fortement diffusée sur Internet est l’accusation de l’agriculture moderne d’avoir sélectionné certaines variétés de céréales ayant un gluten plus concentré et résistant qui provoquerait par conséquent plus de cas de maladie cœliaque. Cette accusation, n’est pas défendu par la présidente de l’association française des intolérants au gluten qui déclare que « Aucun lien n’a encore été fait entre une plus grande quantité de gluten et un risque accru du développement de la maladie cœliaque ». De même, Nadine Cerf Bensussan, chercheuse spécialiste des maladies cœliaques dans un laboratoire INSERM, s’appuie sur une étude du CNRS pour affirmer que le blé cultivé aujourd’hui est le même depuis 8 000 ans. Enfin, 60 millions de consommateurs et franceinfo attaquent les produits industriels sans gluten en dénonçant les additifs non naturels nécessaires pour remplacer le gluten dans la fabrication de produits industriels, la pauvreté nutritionnelle de ces aliments et les propriétés qu’ont ces produits de développer la faim chez les consommateurs.
Le marché du sans-gluten apparaît comme un axe stratégique, d’une part pour les industriels et la grande distribution et d’autre part pour la recherche sur la maladie cœliaque et en général sur le mode d’alimentation des populations. L’alimentation est un sujet à risque, qui peut donner lieu à de nouvelles crises comme celle vue par le passé avec le beurre, le sucre, la viande ou l’affaire LACTALIS. Le sujet sociétal qu’est le gluten n’a pas encore connu une crise informationnelle d’ampleur décisive et les affrontements entre les acteurs n’ont pas encore fait émerger de réel vainqueur.
Gaëtan Clapasson