L'affrontement informationnel du groupe Leclerc avec les pharmaciens



En France, la vente de médicaments est encadrée par le Code de santé publique, seuls les docteurs en pharmacie peuvent vendre des médicaments et autotests avec ou sans ordonnance. De nombreux acteurs tels que la grande distribution ou depuis quelque années les acteurs du commerce électronique, tentent de faire pression pour ouvrir ce marché à la concurrence et se positionner sur la vente des médicaments sans ordonnance ainsi que les autotests.

La vente de médicaments et autotests en enjeu économique


Depuis les années 2000, nous pouvons observer de nombreuses prises de position en faveur de l’ouverture à la concurrence du marché de la vente des médicaments. En 2008, le rapport Attali indiquait « de façon générale, les études montrent que l’ouverture des professions réglementées à la concurrence fait baisser les prix, améliore la productivité, augmente l’offre et encourage l’innovation et la compétitivité. ». Le 19 décembre 2013, selon l’autorité de la concurrence, « l'Autorité souhaite instiller un peu plus de concurrence dans la distribution du médicament à usage humain en ville afin de dynamiser l'innovation à l'amont, permettre aux échelons intermédiaires de jouer leur rôle de contre-pouvoir à l'achat, et donner l'occasion aux pharmaciens d'officine d'être des acteurs plus robustes et mieux armés face à de nouveaux concurrents sur le segment du médicament d'automédication ».En 2014, Emmanuel Macron alors Ministre de l’économie se positionne en faveur de l’ouverture du marché de la vente de médicament et de la révision du monopole des pharmaciens.

Malgré toutes ces prises de positions, les pharmaciens ont toujours réussi à maintenir leur monopole. Néanmoins, à la fin de l’année 2017, la justice autorise finalement le site Doctipharma créé en 2013 à continuer de vendre des médicaments sans ordonnance en ligne considérant le site comme un intermédiaire technique (2). Cette décision annonce probablement le lancement d’autres plateformes web, notamment des marketplace comme Amazon déjà positionné dans d’autres pays. Loin d’être nouvelle, cette guerre pour l’autorisation de vente de médicaments a débuté dans les années 1950. Edouard Leclerc pionner de la grande distribution déclarait déjà en 1957 au journal La Croix : « La vente directe au prix de gros des médicaments réduirait notablement le déficit des assurances maladies. Il n’y aurait même plus de difficultés financières dans les caisses. »

L'offensive du groupe E.Leclerc


Depuis la prise de position d’Edouard Leclerc en 1957, les supermarchés E.Leclerc ont ouvert de nombreuses parapharmacies et sont aujourd’hui les leaders sur ce secteur avec plus de 250 points de vente parapharmacie sur le territoire national Le 17 novembre 2014, lors d'une interview sur France Inter, Michel-Edouard Leclerc a réaffirmé son souhait de vendre des médicaments sans ordonnance dans ses parapharmacies ainsi qu’exploiter de nouveaux créneaux notamment la vente en ligne. Dans un contexte de ras le bol des français concernant leur pouvoir d’achat, selon une enquête Ifop réalisée pour le JDD du dimanche 28 octobre 2018, ils sont 72% à considérer que leur pouvoir d’achat a baissé depuis mai 2017. Pour appuyer encore plus son positionnement auprès des consommateurs, Michel-Edouard Leclerc lance via son blog une opération « carburants à prix coutant » le week-end du 3 novembre (4) alors qu’un mouvement de protestation contre la hausse des prix des carburants, les gilets jaunes, prévoit une journée d’action sous forme d’un blocus le 17 novembre 2018. Avec cette nouvelle action, le groupe E.Leclerc se positionne comme un contre-pouvoir agissant en faveur des consommateurs.

Le recours à la publicité comme arme d'attaque


Un nouvel épisode dans la guerre que mène le groupe E.Leclerc contre le monopole des pharmaciens sur la vente de médicaments apparaît sous forme d’une campagne publicitaire. Avec un discours construit sur un quiproquo, cette nouvelle campagne se positionne sur les axes stratégiques du groupe E.Leclerc : les prix bas et la défense du pouvoir d’achat. Le discours de ce spot capitalise sur l’autorisation obtenu en 2014 par le groupe E.Leclerc à force de lobbying de vendre des autotests de grossesse et démontrer l’incohérence à refuser que les supermarchés ne vendent les autres types d’autotests sans ordonnance. Cette campagne publicitaire peut naturellement s’inscrire dans la continuité des précédentes et dans l’engagement de la marque auprès des consommateurs pour la défense de leur pouvoir d’achat, thématique d’actualité sur laquelle le gouvernement est attendu par les français. Bien plus qu’un axe stratégique basé sur les prix bas, la stratégie de communication est double. À la fois ce spot permet d’assoir son positionnement prix en utilisant une association psychologique : « à prix Leclerc » et « moins cher ». Mais aussi, au travers de cette campagne, le géant de la grande distribution lance une communication d’influence. Cette communication d’influence a pour objectif d’influencer le législateur en vue de l’obtention du changement des normes encadrant la distribution des médicaments. Le timing de cette campagne correspond au calendrier d’une enquête de l’autorité de la concurrence qui devra se prononcer en 2019 sur la question de la distribution des médicaments. Mais aussi, de mobiliser l’opinion publique sur la nécessité de déréglementer la vente des médicaments non prescrits. Cette autorisation permettant immédiatement selon le groupe E.Leclerc de baisser d’environ 20% les frais des médicaments sans ordonnance des français, de 16% selon UFC Que choisir.

Les non-dits de l'offensive publicitaire


Au travers de cette campagne, le groupe E.Leclerc tente de capitaliser à la fois sur un contexte global, international qui pousse vers une plus grande ouverture de la concurrence et un contexte national de crise exacerbée autour du pouvoir d’achat Et si on regarde ces campagnes strictement d’un point de vue business, Les investissements publicitaires sont allouées principalement à la stratégie de notoriété des enseignes E.Leclerc et on peut imaginer un retour sur investissement à court terme. Ce procédé permet de financer la communication d’influence à long terme sans investir plus car la question de la dérégulation est utilisée comme une thématique de campagnes publicitaire avec un éventuel bénéfice à long terme dans le cas d’obtention d’une quelconque autorisation de vente, comme ce fut le cas pour les tests de grossesse. Le modèle se veut vertueux d’un point de vue économique. Mais les pharmaciens rappellent de leur côté que la problématique de la santé ne se résume pas à l’accès à la consommation et aux questions financières. Le risque de surconsommation de médicaments, éventuellement  favorisée par l’accès libre aux médicaments délivrés sans ordonnance, est un problème qui ne peut pas être négligé.

 

Omer Bourret