Une action russe de déstabilisation en Afrique sub-saharienne




A propos de la République centrafricaine, le ministre russe de la Défense, Sergueï Choïgou a déclaré le 21 août dernier en marge du forum Armée 2018 qui s’est tenu à Koubinka dans la région de Moscou : « Un partenaire prometteur sur le continent africain ». Dans la foulée, il annonce avoir signé avec Mme Marie-Noëlle Koyara, ministre centrafricaine de la Défense un accord intergouvernemental.  Faudra-t-il voir derrière cet accord une stratégie russe visant à écarter la France du processus de dialogue lancé par l’Union Africaine et les partenaires de la Centrafrique ? Ou il s’agit simplement d’une stratégie politico-économique afin de se positionner sur ce marché encore vierge. Tout porte à croire que la France, partenaire historique de ce pays (du fait de la colonisation) est en train de perdre du terrain face à la nouvelle politique qu’entend mettre en œuvre l’actuel locataire du Kremlin sur le continent africain en général et en Centrafrique en particulier.

Le contexte


La Centrafrique, ou encore République Centrafricaine est un Etat de 623000 km² de superficie située au centre du continent africain. Depuis 2013, ce pays d’environ 4,5 millions d’habitants fait face à des épisodes de violences permanents. Cette situation est due aux affrontements entre plusieurs groupes armés qui occupent actuellement plus de 75% du territoire.  À la suite du coup d’état orchestré et soutenu par certains pays voisins de la Centrafrique en 2013, le conseil de sécurité des Nations Unies a adopté le 5 décembre 2013 une résolution proposée par la France. Ce qui a permis la mise en place d’une opération de maintien de la paix dans un pays qui n’en a pas.   La France a déployé une mission nommée la mission « Sangaris » composée de 1200 soldats français selon le ministre des affaires étrangères français de l’époque Laurent Fabius. « Ce que nous devons faire, c'est trouver une solution humanitaire qui passera par une phase sécuritaire, qui débouchera ensuite sur une transition politique dont on sait qu'elle n'est pas facile dans ce pays depuis, hélas, trop d'années », a déclaré le président François  Hollande. (Le monde) L’objectif de la mission n’étant pas de mettre hors d’état de nuire tel ou tel groupe armé, mais de jouer le rôle de gendarme.

Les enjeux


Aussi instable soit-elle, la République Centrafricaine s’est transformée depuis plus d’un an en un terrain d’affrontement permanent entre russes et français. Ce pays reste stratégique du fait de sa position géographique (située au cœur de l’Afrique) que par la richesse de son sous-sol (diamant, or, uranium, pétrole, fer, etc.) qui attise actuellement toutes les convoitises. Le positionnement de ce pays au cœur du continent noir offre des opportunités intéressantes en termes d’installation de bases militaires. D’ailleurs, dans les années 90, la France y avait installé une base militaire, principalement dans la ville de Bouar. Areva, Total, le Groupe Castel, Bolloré… Tous ces groupes d’intérêts français sont présents dans le pays. Suite à la crise qui a éclaté début 2012, la France semble perdre de plus en plus de terrain et les intérêts français et occidentaux se retrouvent menacés. Les gisements pétroliers du nord du pays ont été confiés aux chinois (RFI). En plus de cela, d’autres contrats sont à ce jour en cours de négociation. Les sud-africains, chassés par les rebelles de la Séléka ont dû se sauver avec d’importants contrats miniers.

La confrontation


Le pays était sous embargo depuis 2013. La Russie a réussi en 2017 à obtenir avec la bénédiction de certains membres du Conseil Sécurité des Nations Unies un allègement de cet embargo (La Tribune). L’idée de base étant d’équiper les soldats centrafricains qui viennent de subir une formation dans le cadre d’une mission pilotée et gérée par l’Union Européenne.  Force est de constater qu’en proposant ses services (livraison d’armes, envoient d’instructeurs et d’émissaires), la Russie compte bien s’implanter durablement dans ce pays.  Assistance humanitaire, prise de contact avec les groupes armés (FRANCE24),  occupation d’une place importante dans la garde rapprochée du président Touadéra (Jeune Afrique), les russes sont partout et s’occupent de tout. Un russe a été même nommé conseiller en sécurité de la présidence de la République Centrafricaine.  Les Russes se promènent en Centrafrique comme en terrain conquis.

D’après des sources proches de la Présidence de la République, ils sont là aussi pour profiter des différents contrats signés par les émissaires (avec le gouvernement centrafricain) et autres intermédiaires proches du président Poutine. A ce jour, le Kremlin reste silencieux sur ces agissements. De son côté, la diplomatie française peine venir à bout ces manœuvres qui, pour autant gagne de plus en plus du terrain. L’ambassadeur de France en poste dans le pays n’est plus invité dans toutes les cérémonies officielles, du jamais vu dans ce pays depuis son indépendance.

Depuis l’apparition de la Russie dans ce qui semble être le terrain de jeu français en Afrique, l’humeur de la France a changé. L’heure n’est plus aux discours bienveillants d’autrefois, mais à l’exaspération. L’entrée des hommes de Poutine sur le territoire centrafricain est considérée dans les plus milieux politique, médiatique, économique et militaire français comme une intrusion. Cette exaspération évolue de jour en jour car d’autant plus que ce sont les instructeurs russes qui ont été envoyés depuis Moscou pour former les militaires des Forces Armées Centrafricaines au maniement des armes livrées par la Russie au grand dam de la France. Ces mêmes instructeurs accompagnent les Forces de Sécurité Intérieur centrafricaines dans leur déploiement sur l’étendue du territoire national (RJDH). Ce qui n’est pas du gout de la France qui y voit là une occupation illégitime de ce que les médias français continuent d’appeler « le pré-carré français ». Une vraie compagne anti français soutenue par les Russes présents à Bangui (d’après certaines sources) bat son plein.

En riposte, le ministre français des affaires étrangères Jean-Yves Le Drian a effectué une mission éclaire à Bangui les 4 et 5 novembre dernier. Dans son viseur, les manœuvres russes visant à écarter les français dans la gestion des évènements. Il a annoncé dans la foulée la livraison à l’armée centrafricaine de 1400 fusils d’assaut ainsi qu’une aide budgétaire de 24 millions d’euros. Son collègue de la défense, Florence Parly se contente de cette réaction : "Toute manipulation intéressée de puissances opportunistes serait inepte, indigne. Apportons notre plein soutien à l’Union africaine pour préserver toutes les chances d’un règlement rapide et pacifique de la crise."  (Centrafrique-Presse). Une déclaration visant la Russie sans la citer. L’opinion publique centrafricaine qui semble être conquise, est quant à elle largement favorable à la collaboration russo-centrafricaine. Faille-t-il voir derrière cela le début d’une nouvelle guerre froide ? Ou un positionnement d’ordre économique ?

Ce qu’il faut retenir


L’exemple syrien semble être un très bon cas d’école pour le nouveau locataire du Kremlin qui prend goût à ne reculer devant rien. L’administration russe entend poursuivre son implantation en Afrique sud-sahélienne quitte à se chercher de nouveaux alliés. Le renforcement des liens et accords militaires avec le Soudan et récemment avec le Burkina Faso (ex colonie française) devrait pousser les autorités françaises à revoir leur politique tant sur le plan économique que militaire avec les pays africains, surtout francophones. De nos jours, la guerre économique a pris une autre tournure. Dans cette dernière, il n’y a plus d’alliée. Chacun cherche à se positionner et il est grand temps que la diplomatie française intègre cela dans son agenda.

 

Ozias Keta Wapoutou