La stratégie informationnelle des opposants contre Vinci (cas Notre Dame des Landes)

 

Retour sur l'action du 22 novembre 2016


Le 22 novembre 2016, des organes de presse recevaient un faux courrier faisant état d’erreurs dans les comptes de l’entreprise Vinci, acteur mondial des métiers de la concession et de la construction, ainsi que de la démission de son directeur financier. Quelques minutes plus tard, l’agence de presse Bloomberg reprenait cette information, provoquant une chute de près de 19 % du cours de l’action de Vinci. 

Environ une heure et demi après la diffusion du faux communiqué, une revendication est diffusée, attribuant cette attaque aux opposants du projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Le motif invoqué, pour ce qui est présenté comme un « sabotage », est la lutte contre les injustices et les actes inhumains attribués à Vinci à Notre-Dame-des-Landes, au Népal, en Inde, au Qatar et en Russie. 

À ce jour, les résultats de l’enquête n’ont pas été communiqués. La présente analyse se base sur le fait que, d'une part, l’hypothèse d’attaque de la mouvance « zadiste », bien que peu probable, ne puisse être exclue, et que, d'autre part, la revendication soit un élément non négligeable dans le déroulement de la séquence. 

Une analyse détaillée de cette attaque est disponible dans l’article « Cybercommunication et cyber-attaque à « très haute fréquence » : le cas Vinci » du 28 mars 2018, publié sur le site infoguerre.fr. Les éléments précis y sont repris et offrent une analyse par le mode opératoire. 

En complément, le présent article propose une analyse par le rapport de force entre acteurs et permet d’appréhender la situation en appliquant la grille de lecture des « centres de gravité ». Il apparaîtra ainsi que l’attaque du 22 novembre est un succès majeur pour les « zadistes ». 


Le « centre de gravité », un concept militaire appliqué à la compréhension des enjeux économiques 


D’après la définition du Centre interarmées de concepts, de doctrines et d’expérimentations, le « centre de gravité » est défini comme « un élément, matériel ou immatériel, dont un État ou un ensemble d’États, une collectivité, une force militaire, tire sa puissance, sa liberté d’action ou sa volonté de combattre ». 

En d’autres termes, le « centre de gravité » est à une structure ce que le donjon est au château fort : le château est fort car il s’articule autour du donjon. Si la prise d’une muraille est dommageable, la prise du donjon est dramatique car elle signifie la chute, la défaite, la faillite. Le « centre de gravité » est donc le point le plus important d’une structure et, par conséquent, le plus sensible. Cette définition permet de déterminer militairement les cibles adverses à attaquer et les éléments internes à défendre. En ce sens, elle s’adapte parfaitement à une analyse des attaques économiques. 


L’attaque du 22 novembre est efficace car elle touche un « centre de gravité » de Vinci 


L’un des « centre de gravité » de Vinci est le poids financier important de l’entreprise. La faiblesse associée réside dans la nature d ‘une partie de ses richesses : la valeur des actions boursières. 

Il est à noter que les attaques contre Vinci ne sont pas nouvelles. Les campagnes de désinformations ou les dégradations de sites appartenant à l’entreprise sont courantes en France, au moins depuis 2012, date de crispation des tensions autour du projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes. Toutefois, ces actions n’ont jamais eu d’impact significatif sur l’entreprise. En effet, l’envergure financière de Vinci la met à l’abri d’actions locales ou de faible envergure. Les assurances et les contrats passés avec l’État permettent même de percevoir des revenus, sous forme d’indemnités, alors qu’aucun chantier n’a vu le jour. 

Le 22 novembre 2016 est une attaque d’un autre registre. Elle n’a pas vocation à entraver une construction mais à créer une perturbation dans les cours boursiers. S’agissant d’un « centre de gravité », les conséquences sont beaucoup plus importantes : réaction au plus  haut niveau de l’entreprise, impact sur l’ensemble des marchés, publicité sur les accusations contre Vinci à une échelle planétaire, reconnaissance de fait d’une vulnérabilité. 

Qui que soit l’auteur initial du faux courrier, il a réussi là où les oppositions classiques ont échoué, faire chuter, même momentanément, l’action à un niveau inquiétant pour l’entreprise. 


L’opposition, renforcée dans son « centre de gravité », est incitée à renouveler ses attaques 


Si la mouvance d’opposition à l’aéroport de Notre-Dame-des-Lande en particulier, et à Vinci en général, sort victorieuse de la journée du 22 novembre 2016, c’est en raison de la revendication de cet acte. Qu’elle en soit réellement à l’origine ou non, cette menace a été prise au sérieux par la presse et par Vinci. 

Pour appréhender ce point, il est nécessaire de comprendre, d’une part, que Vinci n’est pas la seule cible de cette opposition et, d’autre part, que le « centre de gravité » de l’opposition s’est vu renforcé par cette attaque. 

Ces opposants, communément appelés « zadistes », s’inspirent de philosophies libertaires. Ils doivent donc être considérés comme une mouvance d’individus libres et autonomes, et non comme une organisation d’opposition structurée et cohérente. La défense des territoires contre les « grands projets imposés et inutiles » (GPII) est un élément important de leurs objectifs idéologiques. Pour eux, Vinci est une entreprise capitaliste exploitant la terre et les populations à des fins purement mercantiles. L’attaque économique est, dans cette perspective, à la fois une attaque contre Vinci et une déstabilisation plus globale du « monde capitaliste ». 

Le « centre de gravité » de la mouvance « zadiste » est sa capacité à mener des actions totalement autonomes et déconcentrées. Chaque individu, par opportunité ou par une action ciblée, agit pour l’objectif final du groupe. Cette flexibilité et cette adaptation, points forts de cette mouvance, induisent une potentielle faiblesse : la nécessité d’actions symboliques fortes pour fédérer les individualités et inciter à continuer les actions. 

Le rédacteur de la revendication de l’attaque du 22 novembre 2016, en liant ce fait à la situation de Notre-Dame-des-Landes, a convaincu l’ensemble de la mouvance que l’auteur était l’un d’entre eux. Il a donc eu un impact positif sur leur « centre de gravité ». Il faut noter que, pour les "zadistes", l’hypothèse d’une attaque informationnelle menée par un ou plusieurs d'entre eux n’est pas incohérente. La mouvance bénéficie du soutien de hackers, dont certains ont déjà été condamnés en 2015 en France pour des piratages sous couvert du collectif « anonymous ». 

La conclusion tirée par les « zadistes » est que Vinci a été ébranlée, que la victoire de leur cause est plus que jamais à portée de main et que le combat doit continuer. 

Où en est-on depuis novembre 2016 ?


Pour Vinci, les conséquences de cette attaque de 2016 sont quasi inexistantes sur le long terme. Les hausses des cours boursiers ont permis d’effacer les pertes et des enseignements ont été tirés de cette expérience. Cependant, le monde de la construction a évolué en Europe occidentale. L’abandon du projet d’aéroport de Notre-Dame-des-landes en janvier 2018 a projeté les « zadistes » sur une dynamique de victoire. Leur « centre de gravité » s’est considérablement renforcé, leur permettant une visibilité et un poids important dans l’opposition aux grands projet de construction. Que ce soit dans le cadre des projets de « Center Parc » en Isère, d’expansion d’une mine de charbon en Allemagne, de champs d’éoliennes dans le Tarn, d’un centre commercial en Haute-Garonne, ou encore de transformateur électrique dans  l’Aveyron, aucun projet d’envergure ne peut plus se faire sans intégrer la dimension « menace d’opposition de la mouvance zadiste » dans les phases de développement de projets économiques. Cette évolution risque d’impacter durablement la conduite de projets économiques sur le territoire. 

 

Georges Perout