La posture offensive de l'Union européenne dans la négociation sur le BREXIT

 

Perçu comme une onde de choc dans le cercle des 27 pays de l’Union européenne (U.E) et outre-manche, le 23 juin 2016, les Britanniques s’exprimaient par référendum pour sortir de l’Union. Le chemin de la négociation vers une sortie du Royaume-Uni qui prendra fin en mars 2019 généré un rapport de force dur entre les deux entités. Pourquoi la mise en application de l’article 50 du traité de Lisbonne donne-t-elle lieu à d’aussi âpres négociations? 

Aux origines du BREXIT : une relation singulière


Dès les prémices de la construction européenne avec la CECA, le Royaume-Uni affirme sa position singulière en refusant d’y participer malgré les ambitions modestes de cette communauté. Le projet européen tel qu’il fut imaginé par ses pères fondateurs n’est jamais apparu par les Britanniques comme une nécessité politique ou comme un enjeu économique. Depuis son adhésion tardive à la communauté économique (CEE), le Royaume-Uni a toujours exprimé vis-à-vis de l’intégration européenne une attitude ambigüe ; mêlant, méfiance ancestrale et pragmatisme de circonstance. Il décide de ne pas intégrer la zone euro car les décisions de ses membres peuvent défavoriser l’économie Britannique et les intérêts de la City (première place financière d'Europe) notamment en interdisant l’entrée sur le marché de produit qui ne satisfont pas aux normes européennes. 

Concernant l’union économique et monétaire, tous les pays de l’union européenne devraient de facto participer à cette union cependant font exception 3 pays qui bénéficient de dérogation dont le Royaume- uni qui déroge une fois de plus à la règle.Le constat est simple et clair plus la construction européenne avance vers d’avantage d’intégration plus le Royaume-Uni fait l’objet de dérogation, ainsi en 1985, il refuse de signer les accords de Schengen. C’est lors de l’adoption difficile du traité de Maastricht que vont apparaître les prémisses d’une divergence au sein de l’union (cas du Danemark, référendum en France où le oui passe in extremis). Le Royaume-Uni, lui, ratifie le traité mais obtient encore un régime dérogatoire puisqu’il refuse l’adoption de l’euro comme monnaie unique et sera non signature du protocole social. 

Au début des années 2000 les mouvements eurosceptiques dans de nombreux pays européens font entendre leur voix lors d’élections nationales. C’est dans ce climat grandissant d’euroscepticisme que J. Cameron en février 2016 obtient un accord sans précédent. Son retour à Londres sera victorieux puisque l’Union européenne à une fois de plus répondu favorablement aux demandes des britanniques. Le nationalisme l’a emporté sur le désir d'Europe. Le Royaume-Uni souffre d’un manque de sentiment partagé d’appartenance à l'Europe et les eurosceptiques alimentent une méfiance de fond vis-à-vis de l’intégration européenne. A l’arrivée, force est de constater que les Britanniques ne font parties ni de la zone euro, ni de l’espace Schengen et pourtant c’est l’un des principaux Etats membres dont l’avis pèse sur les décisions européennes. Point d’orgue de cette bascule vers le souverainisme, le référendum sur le Brexit qui déjà laissait deviner une victoire des eurosceptiques avec la formulation du référendum “ Voulez-vous quitter l’Union Européenne ?” 

L'implication de multiples acteur en périphérie des négociations rend un accord difficile


Même si les deux principaux protagonistes des négociations sont le Royaume-Uni et l’Union européenne, on ne peut faire abstraction des acteurs périphériques qui gravitent autour de ces deux pôles et qui sont en mesure d’influencer les débats. 

Du côté britannique 

L’opinion publique qui depuis le début des négociations entrevoit d’autres réalités peu favorables à leur pays que celles évoquées lors de la campagne par les eurosceptiques. Cette dernière apparaît même en majorité favorable à l’organisation d’un nouveau référendum. Au niveau politique, tout semble bloqué, tant les enjeux économiques liés à la négociation sont clivants. Ainsi, à l’été 2018, la présentation au parlement par T. May de son “livre blanc” pour le Brexit à crée un séisme politique provoquant des démissions successives au sein de son gouvernement. Cela affaiblit la position T.May au sein de son parti et à fortiori vis-à-vis de l’Union européenne. Les hards brexiteurs y voient de la compromission alors que B. Johnson parle du Royaume-Uni comme d’une colonie de l'Europe. Les Américains eux-mêmes en la personne de D. TRUMP n’y voient qu’un bad deal. La City et le patronat britannique sont très inquiets d’une possible absence d’accord, en effet comment se substituer à un marché unique de 450 millions d’européens ? Ces derniers se disent dans les “starting blocks” pour lancer la campagne d’un retour dans l’Union. Aussi, la perte du “passeport européen” interdira toute transaction sur le continent et entraînera de facto des relocalisations d’établissements financiers et d’entreprises au profit des autres capitales européennes (perte estimée de 400 000 postes) Ces derniers font pression sur le gouvernement ; la confédération de l’industrie Britannique (CBI) réclame une augmentation de son budget de 2,3 milliards d’euros, une fiscalité plus favorable aux investissements. L’organisation des British Chambers of commerce (BCC) qui regroupe 52 chambres régionales fait part de son mécontentement grandissant face au manque de clarté de l’après-Brexit. L’incertitude nuit profondément aux investissements.  Même l’industrie musicale fait pression par le biais d’une lettre ouverte adressée à T. May regroupant de nombreuses personnalités de Sting à Ed Sheeran. 

Du côté des ressortissants de l’Union européenne (travailleurs, chômeurs, étudiants...) présents sur le sol Britannique seront considérés comme simples étrangers même si ces derniers bénéficient de mesures transitoires jusqu’en 2020, ce qui étouffe leur possible gronde. 

Du coté Union européenne, le Président Juncker a nommé très rapidement Michel Barnier négociateur en chef chargé de la préparation et de la conduite des négociations avec le Royaume-Uni au titre de l'article 50 du TUE.Ce dernier peu apprécié des Britanniques se montre ferme dans la tenue des négociations, le ton est donné. L’Union européenne a annoncé la couleur d’entrée de jeu et n’a plus varié sa politique en dépit d’un intense lobbing Britannique. Les 27 états membres de l’union se sont érigés en mur et font preuve d’une cohésion pour le moment sans faille. 

Un rapport de force à l'avantage l'Union européenne.


Le rapport de force apparait dans ces conditions largement favorables à l’Union européenne, unie face à un gouvernement Britannique qui peine à trouver un consensus dans ses propres rangs. Les Britanniques ont été pris de court par la volonté de l’Union de négocier la sortie d’une seule voix avec un seul interlocuteur en la personne de M. Barnier, ce qui interdit les jeux d’alliances et de connivences pour le Royaume-Uni qui désirait négocier avec chaque pays européen. Cependant, pour M. Barnier « quand un pays quitte l’Union européenne il n’y a pas de punition, pas de prix à payer mais nous devons solder les comptes ni plus ni moins », sur cette question, le Royaume-Uni s’est engagé à honorer sa part du budget jusqu’en 2020 et de continuer à financer les engagements pris sur des projets européens (Galileo, Erasmus, PAC). Même si 80% de l’acte de sortie est signé, reste au moins 2 questions épineuses qui sont le marché unique et l’union douanière d'une part, et le devenir de l’Irlande du Nord d'autre part. 

Le marché unique et l'union douanière.


Les Britanniques toujours en marge de la construction européenne grâce aux dérogations obtenues sans mal auprès des institutions de l’union n’avaient pas envisagé que leur exit puisse se passer autrement. Le Sommet de Salzbourg de septembre dernier est vécu comme un échec par T.May qui avait la conviction d’être en mesure de faire valider ses compromis jugés dans le domaine économique comme inacceptable par les 27 dirigeants européens. Ils ont opposé leur refus d’un libre échange sélectif qui visait renforcé les échanges pour les marchandises et capitaux exclusion faite des personnes et services. Sans doute le Royaume-Uni pensait également jouer sur les divergences au sein de l’U.E, mais il s’est heurté à un bloc. Aucun dirigeant européen n’est prêt à concéder un marché unique à la carte. M. Barnier a explicitement exclu un “cherry picking” accordant des avantages sans contrainte. Face à la position ferme de l’U.E, D. Raab estime que l’absence d’accord est mauvais pour les 2 camps et menace dans ce cas de ne pas payer la facture du divorce. Le Chantage exercé auprès des institutions européennes ne semble pas porteur puisque le ministre des finances Britannique estime inconcevable que le Royaume-Uni n’honore pas sa dette. Aussi, la réponse de l’U.E ne s’est faite attendre : sans paiement du Royaume-Uni point de fond européen. 

Le piège de la question Irlandaise.


Il est improbable de rétablir une frontière physique entre les deux Irlande, ce sur point le gouvernement de T.May et M. Barnier sont d’accord. L’absence de frontière physique rend complexe le contrôle douanier d’où la proposition de ce dernier d’inclure l’Irlande du Nord dans l’union douanière considérant que la seule frontière naturelle est la mer d'Irlande, ce à quoi le Royaume-Uni est fermement opposé.  Dans le “plan chequers”, T.May propose que les contrôles douaniers puissent être pris en charge par l’administration fiscale du Royaume-Uni au profit de l’U.E. A la vue du très récent scandale de fraude douanière qui touche le Royaume-Uni et pour lequel l’U.E réclame le remboursement de 2,7 milliards d’euros de droits de douane non prélevés sur des produits chinois, il n’y a aucune chance que la proposition Britannique puisse aboutir. Sur la question Irlandaise, les points de vue sont pour le moment inconciliables. 

Quel vainqueur du BREXIT


Il est à supposer qu’aucune des parties ne sort grandie ou enrichie d’un divorce même consentit et à l’amiable. Ce Brexit laissera des traces pour les deux économies cependant il est raisonnable d’estimer que le Royaume-Uni a plus à perdre que l’U.E; son PIB sur les 15 prochaines années est évalué à  – 7,7% alors que celui de l’U.E est de -1,5%. Aussi, des institutions européennes implantées sur le sol Britannique (agence du médicament, l’autorité bancaire) devront être relocalisées avec les pertes d’emplois que cela entraine. Surtout, le Royaume-Uni devra concentrer seul un certain nombre de savoir-faire alors partagé sur le plan financier mais aussi de la recherche et du développement par l’ensemble de l’U.E (notamment dans le domaine nucléaire avec EURATOM). Cependant, M. Roche qui vient de publier “le Brexit va réussir”, “l’Europe au bord de l’explosion”, estime que défait des réglementations européennes, le Royaume-Uni deviendra un état voyou et que la City qui n’est pas concurrencée en Europe pourra voir émerger un paradis fiscal. L’auteur prévoit l’augmentation des inégalités sociales mais avec un effet positif dû à la culture anglaise qui croit en la loi du plus fort et que chacun forge son propre destin. Dans ce cadre comment vont réagir les eurosceptiques et souverainistes qui désiraient un recentrage de l’économie sur leur pays pour une vie meilleur. L’U.E peut se considérer non pas comme gagnante mais au moins grandie et renforcée par cette première négociation en application de l’article 50 du traité de Lisbonne. L’objectif des institutions européennes et des dirigeants nationaux pro U.E est bien de montrer à tous les états de l’UE qu’un exit est synonyme de malheur et d’échecs afin de contenir les tentations souverainistes des peuples. 

 

Marie Landini


  

  

Sources: 

Articles de presse : 

BOULET Jean-François et DELEFOSSE Marie-Sarah « Aux origines du Brexit. Royaume-Uni et Europe : une histoire mouvementée » Centre permanent pour la citoyenneté et la participation, au quotidien du 03/2017. 

BOURDILLON Yves « Dominic Raab nous ne resterons pas membre d’une union douanière », les échos, du 6/08/2018 

COLLOMP Florentin  « Brexit : cinq raisons pour lesquelles les Britanniques veulent nous quitter » publié le 17/02/2016  sur le FIGARO.fr. 

COUNIS Alexndre « Marc Roche le brexit va permettre au Royaume-Uni de décupler ses atouts », les échos, 20/09/2018 

MUDRY Philippe «  Brexit without exit », AGEFI hebdo, du 27/09/2018. 

JOUYET Jean-Pierre « Brexit va t on vers un no deal ? » France info, avenue de l’europe, Interview du 13/09/2018. 

SASSIER Pierre, « Brexit un accord de plus en plus improbable », Médiapart, le 15/10/2018 

SYLVESTRE jean-Marc « Le Brexit va permettre à l’Angleterre de revenir au libéralisme sans contrainte. L’Union européenne va devoir démontrer que sa logique est de protéger ses peuples »,  Blog de Sylvestre Jean- Marc, du 

SYLVESTRE Jean-Marc «Avec ou sans accord, le Brexit va réussir ET transformer le Royaume-Uni en paradis fiscal. Un ex-Européen convaincu explique pourquoi » Atlantico, 22/09/2018. 

SYLVESTRE Jean-Marc « Fuck business ! »: 3 scénarios qui se dessinent pour le brexit augurent rien de bon pour l’économie Britannique », Atlantico, 2 juillet 2018. 

Par Challenges « Fraude Douanière, l’union européenne réclame 2,7 milliards à Londres », Challenges, 24/09/2018 

Par Challenges « Vers un accord d’ici une semaine », Challenges, 10/10/2018 

Les Echos « Brexit théresa May aurait évoqué un accord imminent », les échos, 11/10/2018 

Le monde « Londres pose ses conditions au règlement de la facture du Brexit » Le monde, 22/07/2018 

  

Rapports : 

Observatoire du Brexit. 

COMMISSION Européenne communiqué de presse du 27/07/2016 site Europa. 

Synthèse « Traité de Maastricht »Toute l’Europe du 01 août 2018. 

  

Emissions Radio : 

BOURGEOIS Raphael, CHALANDON Mélanie et  GENTON Antoine« Théresa May : l’impossible Brexit ? » émission grain à moudre, 12/07/2018 

LEYMARIE Jean, interview de Mr Marc ROCHE auteur du livre « le Brexit va réussir », France info, l’interview eco, 14/09/2018. 

OCKRENT Christine « Le Brexit et la question Irlandaise », France Culture, émission affaire étrangère du 19/05/2018 

OCKRENT Christine « Brexit les négociations » France Culture, émission affaires étrangère du 24/06/2017 

VIENNOT Marie « Brexit quelle facture » France culture, le billet économique du 29/03/2017 

SCHLEGEL Tara « Brexit un an après : un Royaume toujours uni ? » France culture, le magasin de la rédaction du 19/08/2017.