Le rapport de force Médecins/Etat sur le déremboursement des médicaments d’ Alzheimer
Depuis le 1er août 2018, les quatre molécules prescrites dans la prise en charge de la maladie d'Alzheimer : Donézépil, Rivastigmine, Galantamine et Mémantine ne seront plus remboursées. La Ministre de la santé, Agnès Buzyn, l’avait annoncé en mai dernier en se ralliant à l’avis de la Haute Autorité de Santé (HAS). Le service médical rendu (SMR) par ces médicaments a été réévalué et conclut à leur faible efficacité et des effets indésirables importants. Agnès Buzyn a expliqué que cette mesure est « purement médicale ». « Tout l’argent qui va être économisé sera intégralement réorienté vers l’accompagnement des personnes atteintes de maladie d’Alzheimer, soit pour les centres mémoire soit pour le secteur médico-social qui les prend en charge ». Le coût annuel pour ces remboursements est de 90 millions d’euros en 2015. En France, la maladie d’Alzheimer touche 900 000 personnes. Ce choix représente une économie alors de 100 € par patient. L'objectif d'Agnès Buzyn est de réduire de 3 milliards d'euros le déficit global de la Sécurité sociale en 2018 et d’avoir un service public de santé rentable. Le déremboursement des médicaments de la maladie d’Alzheimer participe à l’équilibre financier de cette dernière. Les questions de santé sont certes des sujets sensibles mais pas nécessairement rentables.
L'importance mondiale de la maladie d'Alzheimer
Il s’agit d’une maladie neuro dégénérative caractérisée par une perte progressive de la mémoire et de certaines fonctions cognitives, ayant des répercussions dans les activités de la vie quotidienne. Les symptômes évoluent dans le temps. Cette maladie est la deuxième maladie la plus crainte des français derrière les cancers. Elle a en commun certains symptômes similaires à ceux d’un "diabète de type 3". Pour les malades, le plus troublant est la perte de leur capacité d'adaptation, des choses banales sont alors ressenties souvent comme une agression. Selon l’OMS, 47,5 millions de personnes atteintes de démences dans le monde parmi lesquels 60 à 70 % sont atteintes de la maladie d’Alzheimer, soit la 1re cause de démence (selon le rapport 2015 de Alzheimer’s Disease International). Le nombre de cas de démence va presque doubler tous les 20 ans, avec des prévisions en 2030 de 74,7 millions. 9% des malades sont en Asie, 25 % en Europe, 18 % en Amérique et 8 % en Afrique. L’estimation en 2020 est de 1.3 millions, soit 1 Français sur 4 de plus de 65 ans : chaque famille comptera alors un proche atteint par cette maladie. 15% d’entre eux ont plus de 80 ans et 2 à 4 % ont au-delà de 65 ans. C’est la quatrième cause de mortalité, avec une population vieillissante. L’âge est une condition de la maladie et non une cause.
Le débat sur l'utilité des médicaments
Les laboratoires ont mis sur le marché à la fin des années 1990 ces médicaments, ils étaient remboursés à hauteur de 65% jusqu’en 2011. La HAS avait évalué ses traitements en confirmant un SMR élevé et une amélioration du service médical rendu (ASMR) faible. En 2011, le SMR est faible et l’ASMR absent, le taux de remboursement passe alors à 15%.
Le cout moyen mensuel de ces médicaments est de 35 €. Les médicaments mis sur le marché ne permettent pas de guérir la maladie, ni d’empêcher son évolution. Ils servent à stabiliser et à améliorer les troubles cognitifs. Les laboratoires n’ont pas trouvé de traitement miracle contre la maladie d’Alzheimer malgré de nombreux essais cliniques. Beaucoup ont été stoppés en phase III. A ce jour le laboratoire américain Biogen et son partenaire japonais Eisai ont lancé deux produits sur la base d’une molécule. Les résultats de deux études en phase III, attendus en 2022 restent prometteurs. Pour les malades, le déremboursement entraînera une iniquité entre les familles. Le fait d’avoir une prescription permet de consulter son médecin et son pharmacien régulièrement. Les plus démunis ne pourront pas se permettre de continuer ces traitements. Le coût annuel moyen par patient est de 22 000 € (dont 12 146 € par famille et dont 4 225 € à la charge du Conseil général). En France, les malades Alzheimer sont 6 fois plus exposés aux neuroleptiques que la population du même âge. Les neuroleptiques ne soignent pas. Il s’agit juste d’un simple pansement pour calmer le patient et soulager son entourage souvent démuni. Or, la seule indication des neuroleptiques, qui sont remboursés est le traitement des psychoses. A fortes doses, ils entraînent des chutes dû à une sédation, des accidents vasculaires et amplifient les problèmes de communication du patient.
L'opposition des médecins au déremboursement
Les médecins sont défavorables à ce déremboursement. La médecine est une science, mais elle n’est pas mathématique et encore moins comptable. Nombreux affirment comme le Dr Thibaud Lebouvier, CMRR de Lille : « Oui, les traitements symptomatiques de la maladie d’Alzheimer sont efficaces ». Les neurologues, les généralistes, les gériatres confirment que cliniquement le SMR par les médicaments améliorent considérablement la vie quotidienne. La majorité des études industrielles ou académiques, anciennes ou très récentes montrent que le patient communique mieux et se souvient plus facilement des éléments de la vie quotidienne, la qualité de vie se maintient. La maladie évolue moins vite, la perte d’autonomie est retardée et l’entrée en institution aussi. Le recours aux traitements sédatifs est alors limité. Tous ces paramètres ont une réelle répercussion sur la vie des patients et de leur famille ou des aidants. Dans le cadre de cette maladie, la prise en charge n’est pas uniquement médicale mais aussi l'accompagnement à la vie sociale, au maintien de l'autonomie, de la communication. Les études confirment aussi que le soutien des orthophonistes, neuropsychologues, kinésithérapeutes, psychomotriciens, ergothérapeutes uniquement, sans prise de médicament est inefficace. Les orthophonistes ne sont pas si nombreux. Les psychologues ne sont pas forcément remboursés. Les gériatres se sentent démunis, il leur est très difficile de dire à un patient et à son entourage qu’il est atteint d’Alzheimer et qu’il n’a rien à lui proposer pour le soulager. Est-il utile de se faire diagnostiquer dans ces circonstances ? L’absence de traitement demeure le cœur du problème.
L'arrêt de prise de médicaments entraînera une entrée en institution plus rapidement.
La capacité des structures d’accueil au-delà du coût financier ne sera pas suffisante. Le coût mensuel moyen d’un Epadh est de 2900 €, alors que la moyenne des retraites est de 1200 €. Les maisons avec une aide sociale sont gérées par le conseil général donc avec sur un budget de l’État alimenté par les impôts des citoyens. Ce manque d’anticipation devant les chiffres annoncés de la part de Ministre de la santé est irrecevable pour des patients, famille ou corps médical. Non seulement les médicaments se sont plus remboursés, mais les structures d’accueil, formation ne se développent pas plus. Les temps changent, les laboratoires s’associent à des nouveaux partenaires comme les GAFA en termes de recherche. Les gestionnaires et l’économie dirigent de nombreux secteurs et le mot rentabilité est en première ligne avant le bien-être des patients. Les conséquences de ce déremboursement vont devenir un problème sanitaire indéniable.
Sandrine Amar-Daubrée
Sources
Centre mémoire et ressource et recherche CMRR http://www.fcmrr.fr/cmrr.php
La gazette du jeune gériatre http://www.assojeunesgeriatres.fr/
Institut de la mémoire http://institut-memoire.aphp.fr/