Le marché du vin connaît des mutations importantes. Ces mutations sont largement le fait d’une augmentation continue de la demande chinoise devenue le 5eme consommateur mondial derrière les Américains, les Français, les Italiens et les Allemands. Si cette demande contribue à une valorisation estimée à près de 25 milliards de dollars, elle n’est pas sans conséquence sur la volonté de la Chine d’être aussi un acteur au niveau international. Sous couvert d’une approche pacifique la Chine étend progressivement sa présence dans l’industrie. La stratégie chinoise s’articule autour de 3 axes forts : augmentation des capacités de productions locales notamment via la mise en place de la loi anti-corruption, implantation à l’étranger avec acquisition régulière dans le bordelais ainsi qu’un travail intensif sur l’image avec une attention particulière à la qualité.
Positionnement actuel de la Chine
La 25eme édition du concours mondial de Bruxelles s’est tenue cette année à Pékin, signe fort de la volonté de chinoise de peser sur ce marché. Sur les 9 000 vins présentés, 480 étaient chinois soit près du double par rapport à 2017. S’il s’agit d’un phénomène de société révélateur d’un certain statut social cet engouement existe car encouragé par l’Etat Chinois qui a ouvert son marché et laissé de nombreux bars à vins s’installer. Le libéralisme économique de la Chine dans le domaine du vin est expliqué par la capacité du marché intérieur de répondre à la fois à l’offre locale et à l’offre internationale. D’après l’Organisation internationale de la vigne et du vin, la Chine est aujourd’hui le deuxième pays au monde en terme de superficie de vignes, avec 847 000 hectares, derrière l'Espagne et devant la France et plus intéressant sera le deuxième marché du vin en 2021 derrière les Etats-Unis.
Acquisition progressive du savoir-faire
Toutefois, cette ouverture de la Chine est parfaitement calculée. Pour mémoire, La stratégie chinoise d’acquisition rapide du savoir-faire a été illustré il y a quelques années par l’ouverture une enquête anti-dumping. L’accord mettant fin à l’investigation stipulait en échange d’un marché toujours ouvert aux géants français des vins et spiritueux Castel, Pernod-Ricard, Moët Hennessy et les Domaines Barons de Roschild qui possèdent des exploitations sur place via des joint-ventures, un accord d’échange de techniques et savoir-faire français. En outre, la Chine avait utilisé en 2012 l’arme protectionniste de la campagne anti-corruption pour taxer entre autre les produits de luxe. Dans le domaine viticole, la volonté n’était pas de freiner les importations mais plutôt de stimuler la production locale, d’augmenter la qualité et de peser à la baisse sur les prix afin de fidéliser les classes moyennes. Dans une logique de fidélisation de ces classes moyennes, la communication des autorités chinoises sur les bienfaits du vin sur la santé s’est intensifiée. Les 10 marques leaders sur le marché chinois ont dû diminuer leur dépendance aux producteurs haut de gamme étrangers consommés par l’élite et certains importateurs se sont lancés dans la production en développant la vente en ligne. Avec cette même volonté, les autorités chinoises ont organisé dans le NIngxia et financé une compétition à laquelle 50 viticulteurs internationaux ont participé. Chaque viticulteur étranger était associé à une exploitation viticole locale avec pour objectif d’augmenter la qualité et de créer de la notoriété. A ce stade, les producteurs essaient de copier le style des Bordeaux avec une utilisation importante de cabernet et un produit final très boisé, l’outil de production est neuf et doté des dernières technologies et la classe moyenne consomme le vin rouge pour le produit en lui-même et non plus uniquement pour l’image renvoyée.
Acquisition d’une image de marque
Cette stratégie de soutien de la demande intérieure et de stimulation de la production locale à destination des classes moyennes s’accompagne d’une implantation progressive dans les vignobles étrangers. A fin septembre 2018, 159 châteaux et domaines viticoles appartiennent à des chinois dont 147 dans le bordelais et 10 vignobles dans d’autres régions françaises et 2 domaines de Cognac. Au-delà du caractère polémique de ces acquisitions sur la nature des financements parfois complexes, il s’agit surtout d’une captation intelligente d’un savoir-faire technique mais surtout d’une assimilation à l’image d’un produit à la réputation d’excellence et de raffinement. Depuis 2016 la Chine reconnaît toutes le AOC bordelaises en tant qu’indications géographiques (I.G.). Seules 5 autres I.G. étrangères en vins et spiritueux sont reconnus par la Chine (Cognac, Champagne, Napa Valley, Scotch Whisky et Tequila). Les autorités chinoises ont donc la possibilité de lutter contre les contrefaçons. Cette reconnaissance s’inscrit dans une volonté de soutenir l’image d’excellence et de qualité du produit. Depuis le début des années 80, l’Etat a joué un rôle très important dans le développement de la filière viticole au niveau local, régional et national et son ambition pourrait désormais se tourner vers l’international.
Une future puissance exportatrice
A ce stade, la filière viticole chinoise n’exporte que très faiblement mais ce constat pourrait rapidement être modifié par l’amélioration constante de la qualité, un outil de production moderne, la captation du savoir-faire, le soutien du marché intérieur. De plus, la forte concentration du secteur en Chine, les 4 plus grands groupes liés capitalistiquement à l’Etat, Changyu, Great Wall, Yantai Wellong et Dynasty représentent 70 % de la production chinoise et 46% du vin commercialisé en volume. Ces grands groupes sont très compétitifs en terme de commercialisation sur le marché domestique et disposent d’une présence importante à l’internationale. Avec le soutien de l’Etat chinois, leur capacité potentielle d’investissement est importante et ils pourraient pénétrer rapidement les marchés étrangers. Avec une amélioration de la qualité et un travail continu (30% des vins chinois testés lors du Concours de Bruxelles en 2017 ont été médaillés vs. 25% pour les vins français) et constant sur l’image (acquisition de domaines à l’étranger : France, Chili, Australie ; formation des viticulteurs à l’étranger ; lobbying et financement des grands évènements : Concours de Bruxelles, VinExpo), la présence de la Chine de nombreux atouts pour s’imposer aussi comme une puissance exportatrice de la filière viticole. La question qui se pose déjà est celle du positionnement de la France qui dans une logique de court terme a déjà adapté sa production à la demande en changeant les processus de vinification pour raccourcir la durée de garde des vins face à une probable stratégie de conquête du marché à long terme de la Chine.
Benoit Roche